« Portrait de la jeune fille en feu »,« La leçon de piano », « I love Dick », « La servante écarlate », « Wonder Woman » : dans son livre « Le regard féminin, une révolution à l’écran », Iris Brey analyse ces cinq œuvres qui incarnent le « female gaze ».
Il faudra du temps pour que la plaie des Césars ne se referme, pour les femmes et le cinéma. Du temps ou des films. L’avantage des seconds, c’est qu’il y en a déjà à foison, et que certains prouvent que l’espoir est permis : l’espoir qu’un jour, les corps des femmes cessent d’être objectifiés et violentés par les hommes et les caméras, qu’on les révèle pour ce qu’elles sont ; des sujets. C’est d’ailleurs tout le propos de l’ouvrage « Le regard féminin, une révolution à l’écran » de la docteure en études cinématographiques, professeure et critique française Iris Brey.
Elle y théorise la notion de « female gaze », un terme régulièrement utilisé ces dernières années, et qui est « un regard qui donne une subjectivité au personnage féminin, permettant ainsi au spectateur et à la spectatrice de ressentir l’expérience de l’héroïne sans pour autant s’identifier à elle », écrit l’autrice. Il s’oppose en quelque sorte au « male gaze », expliqué dès 1975 par Laura Mulvey : la manière dont la caméra se fait relai du regard du personnage masculin — le héros — pour objectifier le corps des femmes. Dans son livre, Iris Brey interroge le « male gaze » qui domine la majorité du petit et du grand écran et réfléchit à une autre manière de mettre en scène le corps féminin. Au fil de la lecture, on découvre alors des films et des séries qui font office de modèle en la matière, du chef-d’œuvre de Céline Sciamma à « La servante écarlate ».
« Portrait de la jeune fille en feu », de Céline Sciamma
Ce visage, on ne l’oubliera pas. Celui d’Adèle Haenel, sur le plateau de Mediapart, venue pour dénoncer les attouchements et le harcèlement sexuel que le réalisateur Christophe Ruggia lui a infligés quand elle n’était encore qu’une adolescente. Celui encore, à côté de son doigt levé, qui crie « La honte » à la cérémonie des Césars, alors que Roman Polanski reçoit le prix du meilleur réalisateur. Céline Sciamma, un temps sa compagne, a écrit « Portrait de la jeune fille en feu » pour elle : l’histoire d’une jeune noble promise à un homme qu’elle n’a jamais vu et qui refuse de lui offrir une image d’elle, un portrait, qui scellerait leur union. Une peintre (Noémie Merlant) est alors engagée pour la lui voler — c’était sans compter les sentiments qui habitent les deux femmes.
« La leçon de piano », de Jane Campion
C’est le film qui a, pour la première fois, fait réaliser à Iris Brey qu’il existait un autre regard cinéma que celui qui filme la femme comme un objet. Dans « La leçon de piano » de la réalisatrice Jane Campion, Ada McGrath est une jeune mère muette — tout un symbole —, débarquée en Nouvelle-Zélande avec sa fille et son piano pour épouser un homme qu’elle ne connait pas, elle non plus. Mais son nouveau mari va vendre son précieux instrument à un autre homme, chez qui elle devra se rendre pour en jouer. Ces « leçons de piano » vont bouleverser la vie de la jeune femme. Un film superbe et un bel exemple de « female gaze ».
« I love Dick » (Amazon), de Jill Soloway et Sarah Gubbins
Après avoir été un livre féministe, « I love Dick » est devenu une série. L’histoire singulière d’une cinéaste, Chris, mariée à un universitaire, Sylvère, qui lui fait rencontrer Dick — un autre symbole — au cours d’une fête. Les deux hommes s’y livrent à une analyse complice et paternaliste de Chris, qui restera gravée par cette soirée. Petit à petit, au fur et à mesure de lettres non postées, elle devient obsédée par Dick et ce dernier devient le centre d’une relation réinventée avec son mari.
https://www.youtube.com/watch?v=N7m8Xu2iwOk
« La servante écarlate » (Hulu) de Bruce Miller
Le livre était culte, la série avait tout pour le devenir. Dans l’adaptation de « La servante écarlate », Defred (Elizabeth Moss) est la propriété d’une famille bourgeoise d’un État dystopique, dans lequel les servantes habillées de rouge « aident » les puissants à procréer. La série a été critiquée pour son utilisation exacerbée de la violence à l’encontre des femmes (viols, tortures, violences psychologiques), mais donne paradoxalement à voir des femmes qui sont bel et bien des sujets, pas des objets.
https://www.youtube.com/watch?v=Eb1YmKhujBY
« Wonder Woman », de Patty Jenkins
Un film de super-héros américain avec une demi-déesse en jupe, un film emprunt de « female gaze » ? Absolument, d’après Iris Brey, pour qui son visionnage a été une révélation. « La réalisatrice, Patty Jenkins, ne filme jamais son héroïne comme un objet mais comme un sujet superpuissant », écrit-elle, avant d’expliquer : « Même lorsque la jeune femme apparaît pour la première fois en superhéroïne au bout de 1h15 de film, avec toute sa panoplie – jupette, bustier et bottes montantes –, la mise en scène ne s’attarde ni sur son costume ni sur son corps taille mannequin, mais sur ses accessoires. On passe d’un gros plan de son bouclier, à un gros plan de ses bottes qui escaladent une échelle, à un autre de son lasso le long de sa cuisse ». Une pépite ultra-accessible.
« Le regard féminin, une révolution à l’écran » de Iris Brey, éditions de L’olivier.
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