Témoignages : quand la chirurgie esthétique vire au cauchemar

Mis à jour le 21 août 2020 par Emmanuelle Steels & Bénédicte Desrus et ELLE Belgique
Témoignages : quand la chirurgie esthétique vire au cauchemar © Shutterstock

Un simple moment entre copines. Chacune parle de ses petites imperfections, de ce qu’elle aimerait améliorer dans son apparence physique. De cette conversation anodine surgit la décision de recourir à un nouveau traitement aux résultats miraculeux. Et voilà la bande de potes en route vers le domicile d’une esthéticienne qui injecte du collagène… Témoignages de médecins et de victimes de chirurgie esthétique ratée.

Marisela Castillo se souvient avec amertume de l’enchaînement de circonstances qui l’a menée, il y a vingt-trois ans, à se faire administrer une série d’injections pour augmenter le volume de ses fesses, qu’elle jugeait trop plates. Elle et ses amies aspiraient toutes à plus de rondeurs, selon les canons de beauté en vigueur au Mexique et en Amérique latine. « J’y suis retournée plusieurs fois », raconte cette femme brune de 52 ans dans le salon de sa maison en briques blanches, dans un quartier proche du centre de Mexico. Pour motiver le groupe d’amies, l’esthéticienne leur présente d’autres personnes à qui elle a injecté du collagène et qui exhibent leurs courbes parfaites, preuves des résultats spectaculaires obtenus. « La femme qui réalisait les injections me persuadait que j’avais besoin de plus, toujours plus… » Marisela aura dépensé plus de 12.000 pesos (un millier d’euros à l’époque) dans ces infiltrations. 

Ce que la pseudo-esthéticienne – sans aucune formation professionnelle – présente alors comme du collagène est en réalité du silicone mélangé à de l’huile alimentaire. Quand Marisela recommence à courir, après ces injections, sa peau est durcie et rougie. Cinq ans plus tard, les sensations deviennent insoutenables. « Je ressentais comme une brûlure et j’avais l’impression que mes os allaient exploser », raconte cette femme qui aime se vêtir de couleurs vives, en contraste avec la tristesse qui empreint sa voix. Au fil des années, l’inflammation s’accentue et les douleurs se font de plus en plus violentes. Marisela cherche l’aide d’un chirurgien esthétique, qui refuse de la soigner et la renvoie chez elle en affirmant : « Ce que tu t’es injecté va te tuer. »

Les conséquences sont en effet dévastatrices pour le groupe d’amies. Selon Marisela, plusieurs d’entre elles sont mortes des suites de ces injections : thromboses, problèmes pulmonaires, infections... Elle-même souffre de fibromyalgie, une maladie auto-immune provoquée par cette substance étrangère contre laquelle son corps ne cesse de lutter. Pour retirer l’huile qui menaçait de migrer dans ses jambes, elle subit huit opérations en quelques années. « J’ai passé des mois sans pouvoir m’asseoir. » Rongée par la culpabilité, elle affirme : « Mon erreur a été de faire confiance, de ne pas vérifier ce que je me mettais dans le corps. Aujourd’hui, ma vie tient à un fil. »

Pour les femmes mexicaines qui, comme Marisela, se sont laissé tenter par les discours de charlatans, le supplice est souvent tardif, mais irréversible. Les mutilations s’enchaînent au rythme des opérations, qui mènent parfois à des amputations. La douleur devient leur compagne au quotidien. Le mal incurable porte un nom : la « enfermedad por modelante », littéralement la « maladie des modelants ». Les spécialistes de l’Hôpital général de Mexico (Hospital general de México) ont ainsi baptisé le syndrome qu’ils observaient chez leurs patient.e.s : des milliers de personnes atteintes de symptômes concordants depuis les années 2000. « Au Mexique, il y a énormément de cas », affirme le Dr Gabriel Medrano, rhumatologue de cette institution de santé publique et l’un des plus grands experts de cette maladie. « Comme les médecins ne savaient pas comment soigner ces patients, ils les ont tous canalisés vers l’Hôpital général. Alors, nous avons acquis une grande expérience », explique-t-il. « En général, les manifestations cliniques sont extrêmement tardives. Les patients ne font pas le lien avec ce qu’ils se sont injecté dix ou quinze ans auparavant. Ils disent qu’ils viennent pour autre chose. » Du fait de la clandestinité de ces pratiques, la plupart des personnes ne savent pas exactement ce qu’on leur a introduit dans le corps. « Les symptômes sont différents d’un patient à l’autre », explique le Dr Raymundo Priego, l’ancien chef du service de chirurgie plastique de l’Hôpital général. « Pour comprendre ces disparités, nous avons fait analyser ces substances par des chimistes et nous avons questionné les patients en profondeur. C’était un travail de détective. »  Ces recherches ont mené les spécialistes à des découvertes étonnantes quant à la variété des substances injectées : huile minérale, huile végétale comestible, huiles industrielles ou automobiles, silicone, polyméthacrylate injecté sous forme de polymères liquides… « Ceux-là provoquent des brûlures terribles. Et comme ils sont injectés à l’aveugle, ils peuvent aller directement dans une artère et provoquer la mort en l’espace de quelques minutes », alerte le Dr Priego. 

Les femmes qui ne meurent pas au moment de l’injection développent des inflammations sévères de la peau, parfois jusqu’à dix ou quinze ans après l’injection. Elles voient leur peau noircir, se nécroser ou se couvrir d’ulcères. Elles deviennent de plus en plus vulnérables face aux infections à répétition. Certaines développent des maladies auto-immunes, comme le lupus, l’arthrite rhumatoïde ou la fibromyalgie, toutes les défenses du corps étant mobilisées contre l’intrusion infiltrée dans ses tissus. Le foie et les poumons sont souvent atteints. À l’inverse, certaines personnes peuvent ne ressentir que de légers effets, en fonction de leur bagage génétique et de leur système immunitaire. En général, le rhumatologue prescrit un traitement à base de cortisone pour contenir l’inflammation. Certaines patientes ne peuvent pas être opérées pour se faire retirer la substance injectée, car leur peau est trop endommagée, à cause de l’inflammation ou des ulcères.

Corps d'une femme sculpté au marqueur en vue d'une opération de chirurgie esthétique.
Corps d'une femme sculpté au marqueur par un chirurgien esthétique ©Shutterstock

Combattre la clandestinité

Le plus difficile, selon les deux spécialistes, est de lutter contre un mal méconnu, honteux, indicible. « Nous ne connaissons pas le nombre réel de personnes atteintes », déplorent-ils. Mais leur base de données donne une idée de l’étendue du mal : 4.785 patients ont été diagnostiqués avec la maladie des modelants entre 2009 et 2019, uniquement dans cet hôpital. Il s’agit en grande majorité de femmes, dont un certain nombre de femmes transgenres, et une minorité d’hommes. « Ces patients sont dans les limbes car la maladie est incurable et les conséquences psychologiques peuvent être dévastatrices », déplore le Dr Medrano. Ce spécialiste semble regretter tant les limites de la médecine, qui ne peut pas toujours leur venir en aide et les sauver, que l’absence de prévention et l’ignorance, qui poussent les gens à s’injecter, aujourd’hui encore, des produits nocifs. « Actuellement, je vois entre dix et quinze nouveaux patients par mois, cela ne diminue pas », observe-t-il. « Et beaucoup de malades ne veulent pas consulter un médecin. Certaines refusent même d’admettre s’être injecté quoi que ce soit. »

Beaucoup de femmes gardent leur maladie secrète. C’est le cas de Lili , une Mexicaine de 55 ans. Elle est parvenue à cacher à son mari des années durant les conséquences d’injections réalisées quand elle avait 25 ans. À la même époque, elle avait été brièvement séquestrée par des hommes qui l’avaient frappée pour la forcer à retirer de l’argent à un distributeur. « J’ai fait croire à ma famille que mes blessures étaient des conséquences de ce kidnapping. Puis j’ai dit à mon mari qu’on m’avait injecté une substance étrange pendant mon enlèvement. » Il y a deux ans, en proie à une angoisse dévorante, elle a fini par tout raconter à son mari. Pour extraire progressivement l’huile minérale injectée dans ses fesses et ses seins, Lili a subi une trentaine d’opérations. « Je me sens comme une survivante, avec toutes ces cicatrices. » Elle ressent de la rancune vis-à-vis de certains médecins, qui ont exploité sa détresse, lui infligeant des opérations inutiles. « La chirurgie esthétique, c’est ce qu’il y a de mieux », déclare cette femme volubile et coquette. « C’est beaucoup moins coûteux que de s’injecter des saloperies, que l’on paie finalement très cher. » 

Alors, pourquoi les femmes mexicaines voient-elles dans ces traitements douteux une alternative à la chirurgie esthétique traditionnelle ?

« Comment dire... » Zucey Gil lève les yeux au ciel dans un style théâtral pour poser cette question rhétorique à laquelle elle répond immédiatement : « C’était bon, beau et pas cher » (« bueno, bonito y barato »). Cette femme de 50 ans a des ulcères ouverts sur les jambes qui ne cicatrisent pas. « Je ne supporte même plus la sensation de l’air sur ma peau », confie-t-elle, alors qu’elle doit laver ses blessures en profondeur, plusieurs fois par jour, pour éviter les infections. Elle a reçu plusieurs injections dans les jambes et les fesses au salon de beauté où elle travaillait comme masseuse lorsqu’elle avait une vingtaine d’années. « Un jour, ce produit est arrivé et on nous l’a présenté comme étant de fabrication allemande, le dernier cri des traitements esthétiques. C’était comme de l’huile pour bébé. La propriétaire, une dermatologue, l’a injecté à toutes les employées. Ensuite, les clientes arrivaient et elles voulaient la même chose. » Des formes sculpturales, sans bistouri, sans anesthésie, en un clin d’œil. Raquel Ballina, la propriétaire du salon où travaillait Zucey, et sa fille, du même nom, ont amassé une petite fortune grâce à ces injections. L’ancienne employée ne se rappelle plus quel était le tarif pratiqué pour ces « soins », mais elle se souvient des clients, hommes et femmes, qui ont commencé à éprouver des douleurs et des inflammations. Puis, il y a eu les premières morts mystérieuses. Les plaintes contre le salon et sa propriétaire ont débouché sur une enquête de police. Raquel Ballina est morte elle aussi, mais sa fille a déménagé de Mexico à Guadalajara, dans le nord du pays, où elle a prodigué ses enseignements à Miriam Yukie Gaona, plus tard connue comme « la Matabellas » (la « Tue-belles »). Les deux femmes ont été arrêtées en 2002 suite à la mort d’une cliente. La Matabellas, aux lèvres proéminentes bourrées de silicone, passera douze ans en prison. La piste de son mentor s’est évaporée… 

Se méfier du bon marché

En 2018, le gouvernement mexicain a mené une large opération de révisions de 4.400 établissements qui proposent des traitements esthétiques. Des irrégularités ont été détectées dans 500 d’entre eux et ils se sont vu retirer leur licence d’activité. Le problème, c’est que les injections ont souvent lieu au domicile des particuliers ou des « cliniques » clandestines. « Pour chaque chirurgien plastique spécialisé, il y a au Mexique douze charlatans actifs », reconnaît Álvaro Pérez Vega, un ancien responsable de la Commission fédérale de protection contre les risques sanitaires (Cofepris), la plus haute autorité mexicaine en matière de contrôles sanitaires. « Maintenant, ces charlatans se cachent, ils déménagent, comme des nomades, et il nous est arrivé de constater qu’ils avaient disparu quand nous les recherchions », explique cet expert. « Nous avons renforcé notre travail d’enquête. Nous traquons les annonces sur internet, sur les réseaux sociaux. Nous avons détecté des traitements, comme des liposuccions ou des injections, pratiqués dans des chambres d’hôtel, dans des garages de domiciles particuliers… Si un traitement semble trop bon marché, les consommateurs doivent se méfier. »

Dans certains cas, ce sont des médecins eux-mêmes qui pratiquent ces injections, comme l’explique le Dr Raymundo Priego. « Certains médecins qui ne sont pas sélectionnés pour la spécialisation de chirurgie plastique reportent leurs ambitions sur les traitements esthétiques car ils y voient un butin économique… Mais il y a aussi des esthéticiennes et des entraîneurs de salles de fitness qui injectent. » Dans le quartier de la San Rafael, proche du centre de Mexico, la façade rose délabrée du Gym Bosco, frappée de grandes lettres noires, se dresse au-dessus d’une teinturerie. L’endroit a définitivement fermé ses portes trois ans plus tôt et le gérant, Arturo Luna, est en fuite, recherché par les autorités suite aux plaintes déposées par plusieurs femmes. « J’étais amie avec sa nièce et je me suis laissé convaincre. Toutes les clientes de la salle de fitness se sont laissé injecter par Arturo », raconte une ancienne usagère, qui tient à conserver l’anonymat. Le Gym Bosco appartient au passé, mais les injections restent très prisées dans le quartier. « Ici, les gens s’injectent toutes sortes de produits dans les vestiaires, des hormones et des modelants », lâche Jagger, un jeune homme mince et musclé, en désignant la salle de fitness dont il sort, à deux rues du Gym Bosco. Le gérant se contentera d’affirmer que le règlement interdit tout type d’injection dans ses installations.

Non loin de là, dans le quartier de la Roma, un institut esthétique qui a pignon sur rue propose des injections de produits de comblement dans le visage à 3.500 pesos (165 euros) la seringue de quelques millilitres. « C’est un produit autorisé par la Commission fédérale des risques sanitaires », ment tranquillement l’employée. La substance en question, Probcel, n’a pas obtenu l’aval des autorités et elle fait l’objet d’un nombre important de plaintes enragées d’internautes, photos de visages défigurés à l’appui. En 2009, un scandale a contribué à faire connaître au grand public le drame des injections clandestines. La célèbre rockeuse mexicaine Alejandra Guzmán a failli perdre la vie suite à une injection de polymères dans les fesses. La chanteuse a été raillée dans la presse et a subi une vingtaine d’opérations pour contenir le mal. Cet épisode a servi de campagne de prévention auprès de milliers de femmes tentées par ces traitements frauduleux.

La chirurgie esthétique peut parfois virer au cauchemar. Image d'une fesse dessinée au marqueur.
Au Mexique, les femmes sont prêtes à tout pour transformer leur corps. ©Shutterstock

Le poids du jugement

Alors que les huiles minérales étaient très utilisées dans les années 1990 et 2000, désormais, depuis une dizaine d’années, ce sont les dénommés « biopolymères » qui font fureur. Ces injections, en réalité des polymères synthétiques à base de silicone selon les spécialistes, ont proliféré ces deux dernières décennies en Amérique latine, en particulier au Vénézuéla, en Colombie et au Mexique. « La mort a le derrière rebondi », titrait le journal colombien « El Espectador » en 2017, au sujet des ravages causés par ces produits. « La société nous bombarde de messages qui nous mettent sous pression. Il faut maigrir, puis avoir des implants, puis se faire refaire le nez… », soupire Marisela Castillo. En Amérique latine, où beaucoup de femmes subissent ces diktats, la beauté est synonyme de formes volumineuses, perçues comme des signes de féminité. 

Depuis quelques années, des centaines de chirurgiens plastiques établis au Mexique ou dans les régions à forte présence hispanique aux Etats-Unis ont découvert un nouveau créneau lucratif : les opérations d’extraction de polymères. Mais les biopolymères sont encore très utilisés, notamment au sein de la communauté transgenre de Mexico, où l’injection d’un litre revient à quelque 9.000 pesos (420 euros). Même lorsqu’elles ont conscience des dangers encourus, les femmes trans veulent à tout prix modifier leurs corps. Pour celles qui n’ont pas les moyens de s’offrir une ou plusieurs opérations, les injections semblent une solution. À l’inverse, ceux qui refusent de traiter ces patientes s’appuient sur un verdict sans pitié : c’est une maladie auto-infligée. Dans le milieu des chirurgiens plastiques, les survivantes de ces injections qui peuvent être létales ont la réputation de réclamer encore et toujours une solution à cette maladie pourtant incurable, de ne jamais être satisfaites… Certains spécialistes issus des institutions de santé publique ont pourtant fait le choix de les aider. « C’est frustrant, pour le patient comme pour le médecin », affirme la Dr Adriana Lozano, chirurgienne et spécialiste du traitement des blessures et des ulcères causés par ces injections. « C’est une maladie très dure. Quand une blessure se ferme, une autre s’ouvre et c’est comme ça toute leur vie. Je ne reproche jamais à ces patientes les conséquences de leurs actes. C’est déjà tellement difficile pour elles », observe la Dr Lozano. « Pourquoi ? Pourquoi l’ai-je fait ? » Zucey imite le ton inquisiteur des médecins moins empathiques, ceux qui l’interrogent et la culpabilisent. « Ils nous jugent. Je préférerais qu’ils me disent clairement qu’ils refusent de me soigner. Je ne veux pas être réprimandée, grondée... N’ai-je pas suffisamment souffert ? », demande cette femme au regard vif, mère de deux enfants dont un petit garçon autiste.

Le chirurgien Raymundo Priego a tenté d’élucider le « pourquoi » de la question. « Au bout du compte, les injections ne sont pas si bon marché. Elles sont moins chères qu’une opération, certes, mais le coût n’est pas décisif. C’est plutôt le facteur magie qui joue : en cinq minutes, on m’injecte le produit et je peux me relever immédiatement et retourner travailler. En plus, c’est une amie qui l’a recommandé et elle a un corps parfait. C’est la magie de la solution immédiate. » Ni magiques ni miraculeuses, ces injections causent encore tous les jours des ravages au Mexique, au grand dam des rescapées qui osent en parler et des médecins qui les soignent.

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