Pouvez-vous me citer le nom de magiciennes célèbres ? D’une magicienne qui vous a fait rêver ? Non ? Eh bien moi non plus. Et pourtant, jamais personne ne s’est posé la question.

Il y a quelques mois, slate.fr mettait en ligne son nouveau podcast : « Magicos ». Une série de six épisodes qui dévoile les coulisses de cet univers bien mystérieux et parfois un peu hermétique qu’est la magie. Épisode 3 : « Tant de magiciens, mais si peu de magiciennes ». Tiens ! Le constat est plutôt hallucinant. Il n’y a pas de chiffres, pas d’avis d’experts, pas d’articles, personne ne semble s’intéresser à cette étrange conjecture : de tous les domaines artistiques, celui de la magie serait-il le plus imperméable aux femmes ?

Pour le savoir, j’ai appelé le flamboyant septuagénaire Philippe Vander Maren, président de la Belgian Magic Federation. Cette fédération réunit 16 clubs de magie dans toute la Belgique, soit 325 magiciens. D’emblée, il me parle de Suzy Wandas, une magicienne belge qui déplaçait les foules dans les années 50, virtuose de la manipulation. Voilà qui est prometteur ! Qui sont ses héritières ? « Je ne saurais pas vous donner le nom d’une magicienne dans un club. Mais nous avons dans le conseil d’administration deux membres féminins très actifs: la secrétaire et l’assistante du responsable du championnat belge de magie. »  Sont-elles magiciennes ? « Elles font des spectacles avec leur mari. Vous savez qu’en général, les assistantes des magiciens sont souvent des femmes. » Douche froide. Les choses ont quand même évolué depuis l’invention de la magie moderne par Robert Houdin (au XIXe, quand même) ? « Il y a plus de magiciennes en France ! », annonce le président. Il est peut-être temps de passer la frontière.

Des petites mains

« Le milieu de la magie est un des milieux les plus misogynes que je connaisse ! J’adore rentrer dans le lard des magiciens à ce sujet. » Voici Guillaume Natas, l’auteur du podcast « Magicos ». Il me décrit les travers d’un univers sclérosé par le sexisme. Entrepreneur et magicien amateur, il déplore cette situation. « Parfois, le débat vole tellement bas que je n’y vais même plus ! Je n’ai pas le courage d’aller expliquer à des masculinistes de soixante piges que s’ils passent leur journée à faire des blagues sexistes aux femmes de leur club de magie, elles vont juste arrêter de venir. » Il y a encore des croyances qui subsistent remettant en cause la place de la femme et ses capacités physiques.

« Je me souviens de cette fille qui jouait avec un petit jeu de cartes. Ça n’allait pas du tout ! Quand tu fais de la manipulation, les jeux sont calibrés, tu peux avoir des cartes truquées. Avec un petit jeu, elle était super limitée. Elle m’a répondu que c’est parce qu’elle a des petites mains. Mais y a des mecs qui ont des petites mains, y’a des nains magiciens, des enfants : tout  le monde joue avec des jeux normaux. Il n’y avait pas de raison qu’une femme ait un autre jeu ! »

Heureusement, certaines ont bravé cette montagne de clichés ! Dans le podcast, on entend Marine Metral, petite-fille du célèbre magicien français Mireldo et fille de Viviane Mireldo (seule magicienne à s’être produite au Lido). Elle a assurément un pedigree magique qui fait rêver. « Quand ma mère a eu 18 ans, elle a commencé à jouer seule, une précurseure de la magie féministe, sans le savoir. Elle a décidé que c’était elle qui découperait les hommes  (rires) ! Cette femme est mon modèle. Elle a rencontré mon père, Marc Metral, ventriloque, et j’ai grandi dans cet univers. Mais c’est pour me rapprocher de mon grand-père, que je n’ai pas connu, que j’ai trouvé ma voie vers la magie. » Une enfant de la balle, donc. Mais ce n’est pas pour autant que l’accès lui a été facile. « Ce n’est pas évident de devenir magicien, de trouver une école. Quand une femme entre sur scène, on va attendre certaines choses d’elle alors qu’un homme n’a pas d’ardoise. Il faut avoir le cran de s’affirmer : “Non, je ne vais pas me foutre à poil, non, je ne vais pas minauder !” Il faut encore sortir des carcans. C’est pour ça que j’ai fait des concours, je voulais bousculer les injonctions et raconter des histoires. » Elle ajoute : «  Souvent, ce ne sont pas des pensées propres, ce sont des héritages de pensées inconscients qui sont reproduits parce qu’il n’y a pas de remise en question. » Marine pratique la magie scénique. Elle a étudié la manipulation en Corée avec un des meilleurs techniciens, Lukas Lee. Elle a gagné le deuxième prix de manipulation au Championnat de France grâce à ce travail-là, en 2018. Carrément badass.

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« Il faut qu’il y ait une magie au féminin ! On doit creuser notre nid pour faire des émules, c’est comme ça que les mecs ont fait de toute façon » Alexandra Duvivier  

Un féminisme magique

Sa consœur Caroline Marx a elle aussi un sacré parcours. Auteure du show « Girl Power », magicienne vedette de l’émission « Diversion » sur TF1, elle a su imposer son style avec élégance et fermeté. Dans son spectacle, il y a du mentalisme, du spiritisme, du « close-up », du « quick change » (cette discipline où on change de vêtement très vite – notre rêve à toutes), beaucoup d’humour et d’interactivité. Il s’ouvre avec des images de femmes fortes qui ont fait avancer la société à travers les siècles, Marie Curie, Georges Sand. Elle explique son parcours de magicienne en taclant un peu les mecs au passage, ça ne fait pas de mal. « À quatre ans, j’ai vu ma maman découpée en morceaux dans la salle à manger. C’était terrible. Mon père était en répétition. C’est comme ça que j’ai découvert qu’il était magicien. À six ans, ils m’ont monté mon premier numéro. Mais ce qui m’a fait croire en mon métier, ce sont toutes ces femmes fortes qui m’ont précédée. »

Cependant, une famille dans la magie ne garantit pas le respect de ses pairs. Le chemin est périlleux. « Dans mes débuts, quand je faisais mes concours, j’avais des réflexions sexistes insinuant que j’avais gagné pour mon look, mon décolleté et pas ma technique. Je ne supportais pas ! Quand j’ai commencé à faire de la télé, ils ont vu mon travail, j’ai créé des tours uniques, et j’ai gagné le respect. » Un look, des gestes, une histoire : existerait-il une magie au féminin ? « Oui, qui a aussi évolué. Dans mes premiers congrès, il y avait quelques filles. Elles proposaient une magie avec des fleurs, de la danse, des foulards. Je trouvais que ça manquait de modernité. Sur scène, je surprends en faisant apparaître une boule de bowling qui tombe alors que je tiens un bloc de dessin ! J’ai aussi un tour où je demande à un spectateur de choisir une carte, je mélange le jeu, je le lance et je donne un coup de talon aiguille et sa carte s’enclave dans le talon. C’est féminin, mais c’est subtil. »

La magicienne Alexandra Duvivier partage également ce point de vue. « Il faut qu’il y ait une magie au féminin ! On doit creuser notre nid pour faire des émules, c’est comme ça que les mecs ont fait de toute façon. » J’ai tout de suite adoré le franc-parler d’Alexandra. C’est Caroline Marx qui m’a conseillé de l’interviewer. Magicienne depuis 30 ans, elle est également formatrice au théâtre familial, le Double Fond, un diplôme officiellement reconnu par l’État français. C’est surtout avec sa maîtrise du close-up, la magie rapprochée, qu’elle a bâti sa réputation. « La magie n’est pas le premier métier où on se dit: “Oh c’est génial, je vais faire ce métier parce que j’ai vu une assistante de magicien !” C’est ce qu’on voit le plus : comment veux-tu t’identifier ? »

Elle a commencé la magie à 15 ans, en 1988. « Mon père m’a emmenée à la FISM (Fédération internationale des sociétés magiques), les Jeux olympiques de la magie. Quand j’ai vu la standing ovation de 700 personnes pour mon père, j’ai eu une espèce d’éclair en découvrant que la magie pouvait procurer toutes ces émotions. Le deuxième déclic, dans ce congrès, fut la magicienne Lisa Menna qui faisait du close-up.
Quand je l’ai vue jouer de sa féminité sans être aguicheuse, j’ai su que c’était ce que je voulais faire. »

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« Souvent, ce ne sont pas des pensées propres, ce sont des héritages de pensées inconscients qui sont reproduits parce qu’il n’y a pas de remise en question » Marine Metral

Faut-il naître dans une famille de magiciens ?

Marine, Caroline et Alexandra sont toutes tombées dans le chaudron à la naissance, mais est-ce toujours une histoire de famille ?  « Moi, j’ai eu de la chance que mon père soit magicien, mais il ne m’a jamais facilité la tâche. Il ne m’a jamais montré de tour de magie quand j’étais petite. Au contraire, il s’est dit qu’il n’allait pas m’en montrer pour me donner le goût, et ça a hyper bien marché », précise Alexandra. « Étant très timide, ça a été tout un périple pour apprendre à me maîtriser. Je fais du close-up et c’est une discipline où on est encore moins nombreuses qu’ailleurs. On est en première ligne, sans filet. Il faut s’imposer. Un tour avec un jeu de cartes, s’il rate, tout le monde le voit. C’est la magie la plus difficile, mais c’est la reine des magies. »

D’où l’importance de la formation. Le Double Fond a été créé en 1988 par Dominique Duvivier, c’est une salle de spectacle et aussi une école de magie qui fournit un diplôme équivalent à Bac+2. « C’est énorme : on a légitimé la magie ! Si tu veux être magicien, il suffit de pousser les portes. »

Et pour devenir magicienne ? Comment encourager les femmes à se lancer ? « Ça peut paraître basique, mais quand une femme se pointe dans un club de  magie,  il  faut la respecter ! Travailler sur  l’inclusivité dans un lieu qui jusque-là a été non mixte », propose Guillaume. « Pour avoir plus de femmes, il faut fédérer, informer, déconstruire les archétypes comme dans tous les domaines. Il faut normaliser en exposant des femmes », ajoute Marine. « Je ne serais jamais devenue magicienne si je n’avais pas vu Lisa Menna. Les artistes inspirent, elles doivent donc être visibles », conclut Alexandra. Alors, si on commençait par offrir une mallette de magie à nos filles ?

Les magiciennes à suivre

Caroline Marx et sa tournée « Girl Power ». Alexandra Duvivier et son spectacle « De très près » au Double Fond à Paris. Marine Metral est en train de monter son nouveau spectacle. Mais aussi : la Québécoise Ekaterina, spécialiste de l’illusion ; Lea Kyle et son numéro de quick change ; Tina Lennert et son numéro poétique avec un balai animé ; Casey Kathleen et ses close-up sur Instagram et, bien sûr, les magiciennes qui s’illustrent dans le show génial « Fool Us » sur Netflix !

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