Belge d’origine guinéenne, Siré Kaba est chargée de communication, créatrice de mode et maman de 2 filles. Sa marque Erratum est un élégant mélange de sa vie en Belgique et de ses origines guinéennes.

Prenez un projet qui va surpasser la simple marque de vêtements et un canvas pour se réapproprier la narration de l’histoire de l’Afrique et sa culture complexe. Ajoutez un atelier social basé à Molenbeek qui engage des personnes en réinsertion professionnelle. Saupoudrez le tout d’une vision slow fashion. Et découvrez la marque Erratum en quelques mots.

Comment est née la marque Erratum ?

En fait, ce qui m’a amené à créer ma marque c’est mon parcours personnel. C’était pour répondre à une interrogation que m’avait formulée ma fille. Elle m’a un jour demandé quelle était la place des personnes noires et métissées en Belgique. On revenait d’un voyage au Sénégal qui avait été très révélateur, très riche en rencontres et en créativité. J’avais acheté sur place du tissu pour me faire des pièces, mais jamais dans l’idée d’en faire mon métier. J’ai donc confectionné quelques créations, et de retour ici, elles ont eu du succès auprès de mes amis. Mais le projet Erratum n’était pas encore né. Quand ma fille m’a posé cette question, tout s’est mis en place dans ma tête, comme les pièces d’un puzzle. Je me suis dit que je pourrais raconter une histoire au travers de vêtements. J’avais vraiment envie de pouvoir utiliser ces tissus en Belgique, dans un cadre qui me correspond, pour aller au travail, prendre un verre, etc. Et puisqu’on saurait tout de suite que ce sont des tissus venus d’ailleurs, je pourrais faire un lien entre mes origines et puis ma vie de Belge d’origine africaine.

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« On a beau dire que l’habit ne fait pas le moine, mais ce n’est pas vrai. »

Erratum, ça veut dire quoi ?

Erratum, c’est la correction des erreurs passées. Il y a un lien très fort à mon histoire, donc l’idée est vraiment de valoriser ces textiles et en ce faisant, amener un petit peu la discussion avec les autres, ouvrir des portes, créer des ponts. Le vêtement, c’est quelque chose de tellement sociologique, ça dit beaucoup de nous. On a beau dire que l’habit ne fait pas le moine, mais ce n’est pas vrai. L’habit fait le moine. La manière dont on s’habille est liée à un code, un langage. Le code que je voulais développer, c’était par rapport à l’Afrique. Je voulais briser les stéréotypes dans lesquels on nous enferme souvent. Quand on porte un vêtement qui nous plait, on crée un lien affectif avec le vêtement. Donc en plus, si c’est un tissu qui vient d’ailleurs, je me dis que ça ne peut que créer une certaine ouverture, une envie d’en savoir un peu plus sur d’où il vient. Malheureusement, si on demande à des gens de nous dire ce à quoi ils pensent quand on leur parle d’Afrique, ce sont souvent des images négatives qui viennent. Il y a une méconnaissance sur ce qu’est vraiment l’Afrique. Ce que je veux faire à travers ma marque, c’est partir d’une page blanche pour construire quelque chose de plus réel et de plus ouvert.

Ces changements vers une plus grande ouverture d’esprit, vous les avez remarqués ?

Oui. Quand j’ai commencé c’est vrai que c’était vraiment une niche, on n’en parlait pas beaucoup. Il y avait beaucoup de gens qui s’interdisaient la couleur, qui disaient que c’était pour les Africains. Mais pas du tout, il faut choisir la couleur qui vous va, mais tout le monde peut porter ces vêtements. On voit d’ailleurs de grandes marques comme Dior, Burberry et j’en passe qui utilisent de plus en plus le wax dans leurs collections. Je trouve aussi qu’il est très important que des personnes afro-descendantes comme moi puissent s’emparer de ces textiles qui racontent une partie de leur histoire. Ça nous permet de participer à la nouvelle narration de l’Afrique, telle que nous la vivons.

 

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Avec quels tissus travaillez-vous ? Comment sont-ils choisis et sourcés ?

Depuis que j’ai acheté mes premiers tissus au Sénégal, j’ai de bons contacts qui font beaucoup de trajets vers la Belgique et qui me procurent des tissus. Il y a quelques mois, j’ai aussi été en Guinée, mon pays d’origine, donc j’en ai profité pour acheter beaucoup de tissus. Non seulement du wax, qui vient originairement d’Indonésie, mais aussi des tissus typiquement africains. C’est vraiment le tissu qui est à la base de toute création. Quand je crée une pièce, je me demande « comment est-ce que je peux mettre le tissu en avant ? Quel modèle est-ce que je peux utiliser pour ce tissu ? » L’idée, c’est de laisser les imprimés parler. C’est pour cette raison que mes modèles sont assez simples. En plus, le wax est souvent disponible en rouleaux de 5m30 et produit en petites séries. Donc c’est en quelque sorte une contrainte que j’ai transformée en force. Cela me permet de développer le côté unique que nous avons toutes.

Quel est la philosophie derrière Erratum ?

Quand j’ai créé un prototype de vêtement et que je lance la production, c’est toujours en très petit nombre. Je trouve cela très chouette de pouvoir proposer des pièces en série limitée. Et si je refais les mêmes modèles, ce sera dans d’autres tissus, donc ce ne sera jamais pareil. Je travaille vraiment dans un esprit de slow fashion et pour cette raison, je ne crée pas de collections. Je préfère imaginer comment chaque pièce peut venir compléter une garde-robe déjà existante pour, petit à petit, enrichir ce que j’ai déjà fait. J’aime particulièrement les robes-chemises, les combinaisons, les kimonos et les manteaux.

Où vos créations sont-elles confectionnées ?

Je travaille avec un atelier situé à Bruxelles qui emploie des personnes qui sont en réinsertion professionnelle. Je trouve ça très important dans ma démarche de garder un lien social. Je suis chargée de communication au CPAS de Molenbeek. Je suis donc confrontée à la problématique de la pauvreté, à des personnes qui sont éloignées du milieu de l’emploi. Des structures comme celles-là sont très importantes pour des projets comme les miens et inversement, des projets comme les miens sont importants pour eux. Cela leur permet de poursuivre leur apprentissage, de continuer à apprendre le français ou le néerlandais, et puis d’avoir des cartes en plus pour s’insérer sur le marché de l’emploi. Il est tellement important qu’il existe des structures comme ça en Belgique.

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« Le vêtement doit m’accompagner, il doit être mon allié durant la journée. »

Quel a été le plus gros défi pour vous dans la concrétisation de ce projet ?

Mon projet est né d’une réflexion, des interrogations que j’avais par rapport à une histoire familiale. Et puis il y a aussi cette question d’héritage et de transmission, de ce que j’ai envie de laisser à mes filles. J’ai envie de trouver comment je peux participer à construire une société dans laquelle elles se sentent à leur place. C’est à travers ce projet-là que j’ai trouvé mon cheminement pour le faire. C’est très enrichissant. J’ai fait énormément de rencontres et tous les jours, ça me nourrit. À tort, on me dit que la mode est quelque chose de futile, mais pour moi ça a été révélateur. C’est au-delà de la mode. C’est quelque chose que je veux construire durablement, pour que les gens se rendent compte de toute la richesse de la culture africaine et qu’on arrête de la réduire à quelque chose de très large. Elle est tellement complexe et riche. Pendant longtemps, on ne nous a pas laissé raconter notre histoire. Il est important maintenant que l’on s’empare de notre propre narration, qu’on arrive à raconter notre histoire et qu’on en montre ainsi la diversité. Les parcours des personnes afro-européennes sont tous différents. Mon parcours est différent de celui d’une autre Belge d’origine africaine. C’est toute cette diversité et cette richesse-là qu’il faut apporter.

Défilé Mode Siré Kaba

Quand vous restez chez vous, comment vous habillez-vous ?

J’adore les combinaisons, donc on me retrouvera souvent en combi (rires) et toujours avec des badges, parce que j’adore ça. Quoi qu’il en soit, ce sera toujours quelque chose de confortable. Je suis une maman, donc je cours tout le temps. J’ai une une adolescente de 12 ans donc pour moi le vêtement doit m’accompagner et être mon allié durant la journée. Il faut que je me sente confortable, mais il faut aussi que je me sente bien dans ma peau et c’est là que le vêtement est le parfait allié.

Retrouvez les créations de Siré sur la page Facebook Erratum

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