À l’ère numérique, tous les outils semblent à disposition pour se rencontrer. Le confinement a rendu le dating via les applications de rencontres plus hype que jamais. Pourtant, le nombre de célibataires ne cesse d’augmenter. Comment expliquer cette ambivalence ?
Tout a commencé au détour d’une conversation. « J’ai une amie qui est sur Fruitz, apparemment c’est le nouveau Tinder », a lancé quelqu’un autour de la table. Fruitz ? C’est effectivement un genre de Tinder, mais qui va droit au but. Vous choisissez d’emblée le fruit qui correspond à votre envie du moment, de la cerise « pour trouver sa moitié » à la pêche pour « pécher avec toi ».
En ligne, des centaines d’applications de rencontres se déclinent, des traditionnelles aux ultra-libertines. Tinder a connu un trafic record en 2020, avec 3 milliards de « swipes » en une seule journée. Paradoxalement, en Belgique, on compte 54,74 % de célibataires parmi la population des plus de 18 ans selon Statbel. On sait aussi que 30 % des foyers européens sont aujourd’hui occupés par des personnes seules.
« C’était mieux avant »
Ah la belle époque ! Celle du mariage rapide, où le choix d’un partenaire se limitait à son cercle de connaissances. Puis, les bals ont été remplacés par les bars, les boîtes et les soirées chez les potes. Il est heureusement permis de se tromper plusieurs fois avant de faire son choix et des centaines de partenaires potentiels se trouvent à portée de clic. « Une heure de “swiping” représente le survol de 720 profils. 720 “chopages de numéros” potentiels », écrit France Ortelli dans « Nos coeurs sauvages ». À l’heure du « digital love », plus nous aurions de choix, plus grandes seraient nos chances de rencontrer l’âme soeur.
Les études scientifiques prouvent pourtant le contraire. On appelle ce phénomène « le syndrome Starbucks », car la promesse d’infinité des apps de rencontres nous placerait dans le même état de frustration qu’à la caisse du géant américain. Si votre coeur balance entre l’iced mocha blanc, le frappuccino cookie ou le pumpkin spice latte, il y a fort à parier que vous quittiez la boutique insatisfait.e. « L’embarras du choix nous aurait rendus bien trop exigeants, jusqu’à nous paralyser et nous plonger dans un cercle vicieux », résume France Ortelli.
« On pense qu’on peut toujours trouver mieux. Il suffit qu’une petite chose nous déplaise pour nous convaincre que l’on pourra rencontrer quelqu’un d’autre la minute qui suit », explique François Saltiel, journaliste et auteur de « La société du sans contact ». Un phénomène renforcé selon lui par le caractère virtuel de la rencontre à distance, qui tend à alimenter le fantasme. En ligne, les bribes que nous dévoile l’autre par écrans interposés attisent l’imagination au détriment de l’expérience crue de la rencontre.
Pour éviter la déception, beaucoup succombent au syndrome « Tinderella », profitant de l’effet euphorisant du flirt sans jamais affronter le premier rendez-vous. Réalité parfaitement illustrée par Judith Duportail (« L’amour sous algorithme »), qui parle de « narcissisme en intraveineuse » pour illustrer le boost d’ego procuré par un match. En 2019, elle révélait comment la plus rentable des apps de rencontres notait ses utilisateurs en fonction de leur désidérabilité pour faire se croiser des profils au pouvoir de séduction similaire. Tinder a annoncé avoir supprimé cet algorithme aujourd’hui. François Saltiel raconte quant à lui comment Tinder – partant du constat qu’il est encore mal vu de se rencontrer via une app – propose des profils aux expériences communes, soit autant de mythologies potentielles de rencontre à raconter. « Le fonctionnement des algorithmes nous échappe. Les personnes qui pourraient nous plaire ne nous sont pas forcément proposées », explique-t-il.
Les apps de rencontres ne sont pas les seules responsables de l’augmentation du nombre de célibataires. En Belgique, aujourd’hui, les couples se marient en moyenne la première fois entre 30 et 33 ans, selon Statbel. Les femmes belges vivent leur première maternité en moyenne à 29 ans. L’épanouissement personnel et professionnel a pris le pas sur l’amour. Cette quête mène progressivement à une dédiabolisation du célibat, voire à une forme d’empowerment. Fini la vieille image de la femme à chats. Aujourd’hui, être célibataire permet avant tout de mener à bien ses ambitions.
Faut-il réformer nos contes de fées ?
Vivre seul.e peut entraîner son lot d’incertitudes et le couple reste pour beaucoup une aspiration existentielle. « Qui n’a pas envie d’aimer et d’être aimé.e ? », m’interrogeait un jour ma colocataire. Mais qui a envie de vivre en pensant chaque jour « je ne serais rien sans lui ou sans elle », avais-je réfléchi tout en songeant qu’il était peut-être temps de penser l’amour différemment. Pour y arriver, peut-être devrions-nous repenser l’individualité et l’ordre binaire qui organise la société entre personnes « en couple » et « célibataires » ? Une dualité dont les apps de rencontres se font l’écho, en réduisant la pluralité des modèles possibles à une dichotomie tyrannique : l’amour ou le sexe, swipe droit ou swipe gauche… Selon Judith Duportail, il s’agit de se décharger du fardeau social qui pèse sur nos épaules et d’être plus réaliste pour faciliter notre approche de l’autre.
Dans ce sens, la proposition du sociologue Elyakim Kislev est pertinente et ambitieuse : enseigner aux enfants, dès l’école primaire, les principes du célibat, afin de les encourager à entrer en relation et trouver un sens à la vie sans faire nécessairement partie d’une famille ou d’un couple. Un pari qui nous débloquerait peut-être de la recherche constante de l’amour et redonnerait vie à la spontanéité des rencontres, liée au hasard, au destin, vecteurs de coups de foudre, que ce soit pour une nuit… ou pour la vie.
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