Chaque mois, ELLE revient sur le destin de femmes qui ont changé la face du monde. Qui sont les Guerilla Girls ?
Personne ne sait vraiment qui elles sont ni combien elles sont. Anonymes, artistes, féministes et carrément pas contentes du tout, c’est ainsi qu’on peut les résumer. Leurs « nicknames », elles les empruntent aux quelques rares femmes connues, reconnues et méconnues de l’Histoire de l’art : Kathe Kollwitz, Frida Kahlo, Hannah Höch, Rosalba Carriera…
Depuis 1985, année de leurs premiers coups de griffe, 55 membres se sont succédé, toutes repérées et cooptées par une ancienne. Certaines sont passées durant quelques semaines, d’autres mènent le mouvement depuis des années. Derrière les masques de gorille, les Guerilla Girls sont des artistes qui ont envie de se concentrer sur la cause (le féminisme intersectionnel) sans se faire emmerder dans leur taf et leur vie privée. En vrai : un acte manqué. Au moment d’écrire « Guerrilla Girls », la fille chargée de le noter comprend mal. « Gorilla/Guerilla », la figure sur singe sauvage apprivoisé est finalement adoptée. Pour justifier ce choix, elles se réfèrent à une nouvelle de Kafka, « A Report to An Academy » (l’histoire, un singe qui, après avoir appris à se comporter comme un humain, explique à des académiciens comment il en est arrivé là), à la figure de la virilité sauvage façon King Kong, et finalement à la domination masculine.
En 1985, elles naissent et manifestent devant le Metropolitan Museum of Art, à New York, pour signifier le manque d’œuvres d’artistes de genre féminin et d’origines diverses dans les collections du musée. La rétrospective titrée « An International Survey of Painting and Sculpture » ne comptait que 13 femmes sur 169 artistes. C’est le début d’une longue série de statements, de cris, d’affiches collées dont celle qui les pas rendues célèbres : la Grande Odalisque d’Ingres allongée et surmontée d’une tête de gorille et cette déclaration : « Les femmes doivent-elles être nues pour entrer au Met. Museum (New York) ? Moins de 5 % des artistes des sections d’art moderne sont des femmes, mais 85 % des nus sont féminins. » Dans leur statement et dans le communiqué officiel – tout en ironie – qu’elles lancent, des phrases choc qui rappellent les réalités des femmes artistes. « Les avantages à être une femme artiste : travailler sans subir la pression du succès ; aucune obligation d’exposer avec des hommes ; mener de front quatre boulots d’appoint qui offriront des possibilités d’évasion ; une carrière qui pourra prendre son essor quand tu auras 80 ans ; la certitude que quoi que tu fasses, ton art sera toujours considéré comme féminin. Pas de mains liées par un poste de professeur d’université ; tes idées qui fleurissent dans les œuvres des autres ; la chance de pouvoir choisir entre carrière et maternité. Pas d’obligation de fumer de gros cigares ni de peindre dans des costumes italiens. Pas de risque d’être considérée comme un génie. Ton portrait dans une revue d’art déguisée en gorille. »
Au fil des années, leur féminisme s’affirme, s’affine et se déploie avec des revendications antiracistes, anticoloniales. « Reinventing the f word » devient l’un de leurs principaux slogans, invitant à réinterpréter le mot de féminisme qui crispe et effraye. Elles lancent des « weenie counts » (« le compte des quéquettes »), et établissent l’inventaire et le ratio entre les œuvres d’artistes masculins et féminins dans les collections des musées.
Ironie ou coup de génie, des institutions du monde entier (MoMA, Tate Modern, Centre Pompidou) les considèrent comme un mouvement artistique à part entière. Elles sont exposées, publient des ouvrages, détournent des images comme avec le « The Guerrilla Girl’s Museum Activity Book » et ses activités ludiques révélant les inégalités des collections muséales.
Vers la fin des années 1990, le groupe se scinde : GuerrillaGirlsBroadBand et leurs events multimédias interactifs, Guerrilla Girls On Tour et leurs représentations théâtrales... Depuis la pandémie, elles assurent des statements et ateliers au militantisme par Zoom. Grrrrrr.
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