Des podiums à Instagram, l’upcycling est la dernière vague green qui déferle sur la planète mode. Décryptage d’un phénomène à suivre.
Faire du neuf avec du vieux. L’idée ne date certainement pas d’hier. Et pourtant, elle suscite un regain d’intérêt auprès d’une nouvelle génération de créatrices de contenu ultra-connectées et préoccupées par les enjeux environnementaux.
Recyclage par le haut
En phase avec le principe d’économie circulaire, l’upcycling est la tendance écolo qui se démarque. Contrairement au recyclage, l’upcycling (ou « surcyclage ») n’a pas besoin de décomposer un vêtement pour lui donner une seconde vie, l’idée étant de valoriser une pièce déjà existante. C’est une façon de recycler par le haut, en réutilisant les matériaux d’un produit pour lui apporter une valeur ajoutée et cela sans produire de déchets. En résumé : « Rien ne se perd, tout se transforme. » Alors qu’on estime qu’on se débarrasse chaque année en Europe de 4 millions de tonnes de textiles*, l’upcycling apparaît comme l’une des solutions pour limiter les dégâts puisqu’il permet de porter nos vêtements plus longtemps, en les
« pimpant » pour les remettre au goût du jour.
Les upcy-queens d’Instagram
L’upcycling monte en flèche sur Instagram, réseau social prisé par une génération sensibilisée au changement climatique. Si les influenceuses sont souvent accusées d’inciter à la surconsommation à coups de « haul » démesurés qui donneraient des sueurs à n’importe quel banquier, de nouvelles voix plus ecofriendly s’élèvent. Elles aussi ont un sens aiguisé du style, partagent leurs coups de cœur et postent des photos de leurs outfits qui génèrent des milliers de likes. La différence ? Elles ont dit adieu à la fast fashion et font de leur mieux pour consommer de façon plus responsable.
Sans tomber dans le discours moralisateur, ces néo-influenceuses prônent une mode écoresponsable : « Je fais vraiment attention à mon impact écologique dans la mode. Depuis deux ans, j’ai tiré un trait sur les enseignes de fast fashion pour me tourner exclusivement vers la seconde main, les marques durables, la couture et l’upcycling », témoigne la Bruxelloise Marie Conscience du compte @consciencethriftshop.
Voir cette publication sur Instagram
Pour la Lilloise Tess Rifa, aka @rosabohneur sur Instagram, le déclic s’est produit lorsqu’elle a réellement pris conscience des désastres de la fast fashion via des reportages. « J’ai fait un bilan sur moi-même et je me suis rendu compte que j’étais hyper influençable, je ne m’étais jamais posé la question de savoir pourquoi c’était si peu cher et qui en faisait vraiment les frais. » En mai 2019, elle décide de changer radicalement sa manière de consommer la mode et se tourne vers les friperies. Modeuse dans l’âme et accro aux tendances, Tess refuse de sacrifier son style pour autant. Elle trouve alors dans l’upcycling le moyen de se confectionner les pièces qui lui font envie sans culpabilité : « Je me challenge de suivre les tendances avec des pièces chinées ou upcyclées et j’essaie de montrer à ma communauté qu’on peut s’habiller à la mode sans avoir d’impact négatif sur l’environnement ni sans exploiter l’homme. » Un défi relevé haut la main pour celle qui comptabilise plus de 53.000 followers à ce jour.
Booster sa créativité
Au fil de leurs posts Instagram et vidéos YouTube, elles prouvent à leurs milliers de followers que la mode écolo est loin d’être ennuyeuse. Au contraire, upcycler permet même de booster sa créativité. Contrairement aux looks des adeptes de fast fashion semblant pour la plupart être copiés/collés, ces filles se démarquent par leurs styles éclectiques. « L’upcycling me permet d’avoir un impact positif sur l’environnement, car je réutilise et transforme des vêtements qui “dorment” chez moi, mais c’est aussi devenu une passion qui me permet de jouer avec ma créativité et me procure de la fierté puisque ce que je porte est unique ! », assure Marie Conscience. Un sentiment que partage également l’influenceuse Rubi Pigeon : « Je me sens tellement moi lorsque je porte quelque chose que j’ai réalisé moi-même. C’est une satisfaction et une fierté qu’on ne peut pas trop décrire. »
La Bruxelloise Juliet Bonhomme a elle aussi vu son style évoluer au fil de sa transition vers un mode de vie zéro déchet. « Quand j’achetais de la fast fashion, je subissais ce qu’on me proposait en magasins, ce que je voyais sur les blogueuses, les mannequins, dans les publicités… Aujourd’hui, je suis dans un processus de recherche et de création. Je cherche des idées de looks et d’associations sur Pinterest. Et depuis que je chine, je fais moins attention à la marque, mais plus au vêtement en lui-même. Mon style est unique, car il n’existe pas 15 exemplaires de la même pièce en rayon. »
Voir cette publication sur Instagram
Dépoussiérer la récup’
La plupart d’entre elles sont autodidactes et ont appris à retoucher leurs vêtements en regardant des vidéos. Conclusion : pas besoin de sortir d’une école de stylisme pour insuffler une nouvelle vie à ses fringues oubliées au fond de l’armoire. Une machine à coudre et du wifi suffisent. « Quand je fais des tutos pour upcycler une pièce, j’essaie toujours d’imaginer quelque chose qui sera faisable pour mes abonnés, de proposer un upcycling assez simple qui peut se faire rapidement avec des pièces que tout le monde a dans son placard, de façon à ce qu’une couturière débutante puisse le reproduire », explique Justine, experte en authentification pour le site de dépôt-vente de luxe Vestiaire Collective et créatrice du compte Instagram @jorjadela suivi par plus de 14.000 abonnés.
La force de cette nouvelle communauté d’influenceuses, c’est qu’elle renvoie une image accessible de la couture, mais surtout la rend à nouveau cool. « Il faut aussi que cela reste tendance », poursuit la Lilloise, « et pour cela, je m’inspire beaucoup des défilés des grandes maisons de mode. Je regarde ce que font les marques, quelles sont les couleurs, les designs, les coupes à la mode. À partir de ça, je regarde ce qui peut être upcyclé dans mon dressing, des vêtements trop grands, abîmés ou démodés… Je choisis une pièce, je réfléchis à une idée et je réalise ma création. » Résultat ? Un ancien blazer d’homme oversize devient un ensemble veste/mini-jupe pile dans la tendance tandis qu’un col roulé basique se transforme en top sexy. Au-delà de l’aspect écologique, ces créatrices de contenu aux feeds inspirants dépoussièrent la récup’ et nous redonnent envie de fouiller au fond de nos armoires pour trouver notre prochaine pièce à upgrader.
Influencer sans culpabiliser
Être influenceuse mode et parler d’écologie, un paradoxe ? Loin de là. Car si elles cartonnent autant, c’est aussi parce qu’elles maîtrisent les codes de l’influence qu’elles ont adaptés à la sauce green : partage de bons plans, adresses de friperies préférées, sélections Vinted, tutos DIY… Sensibiliser sans faire culpabiliser, c’est le challenge que doivent relever ces nouvelles influenceuses à qui certaines mauvaises langues reprochent injustement de ne pas être irréprochables sur tous les plans.
Pour Rubi Pigeon, son histoire avec l’upcycling a commencé avant même que le terme ne fasse son apparition : « Vers 14-15 ans, je vendais des fringues en ligne sur l’application Depop et celles qui ne se vendaient pas, je les customisais. » Aujourd’hui complètement convaincue par cette nouvelle façon d’aborder la mode, Rubi a lancé avec sa sœur jumelle Yasmine la plateforme « Rusmin » sur laquelle elle partage des vidéos sur le thème de l’upcycling, des hauls de friperie et autres tutoriels de couture. « On veut offrir une solution aux gens au lieu de juste leur dire que le monde va mal et qu’il faut absolument trouver une solution. On n’est pas du tout dans une démarche culpabilisante. Le but n’est pas de dire “devenez des extrêmes de l’écoresponsabilité”, mais dire “soyez plus responsables de ce que vous achetez et sachez qu’il y a d’autres alternatives qui sont super.” »
Dans une société noyée par le rythme effréné de la mode « prêt-à-jeter », l’upcycling permet d’actualiser sa garde-robe et de réinventer son style de manière intelligente et responsable. Il nous aide à libérer notre côté créatif en donnant naissance à des pièces uniques. Plus qu’une tendance, l’upcycling est un vrai phénomène de société qui nous force à repenser notre rapport à la mode et doit être vu comme une solution innovante qui profite autant au consommateur qu’à la planète. Et ces influenceuses nous prouvent que la mode écolo peut être stylée. Et carrément désirable.
*Source : Rapport «La mode sans dessus-dessous », ADEME (Agence de la transition écologique)
A LIRE AUSSI
Le bijou d’ongles : quel est cet ovni mode ?
Qui sont ces créateurs qui ont perdu leur nom dans la mode ?