Perdues ou oubliées, les femmes auteures belges reprennent fièrement le chemin des librairies grâce à la nouvelle maison d’édition Névrosée. Poussée par sa curiosité et une solide intuition, l’éditrice Sara Dombret et son mari ont remis 12 femmes de lettres « back in business ». 12 romans, de 12 femmes différentes, variant les époques et les genres afin de présenter un échantillon de la richesse de ce trésor enfoui. Rencontre avec Sara Dombret qui nous en dit plus sur cette folle aventure.

– Comment est née l’idée du projet ? 

Tout est parti d’une question posée lors d’une rencontre littéraire : «  Pourquoi y a-t-il eu tant d’autrices anglo-saxonnes et si peu chez nous ? ». Suite à cette interrogation, j’ai entamé quelques recherches et je me suis rendue compte que non seulement il y en avait eu, des auteures belges et qu’elles étaient nombreuses ! Le soucis était qu’elles étaient très difficiles à trouver… J’ai alors commencé une sorte de recensement et j’ai, bien sûr, voulu lire leurs œuvres – ce qui releva presque d’une chasse aux trésors. Au fur et à mesure de mes lectures, j’étais de plus en plus frustrée de voir que ces auteures et leurs œuvres avaient été oubliées et étaient, pour la plupart, devenues quasiment introuvables. Elles ne le méritaient pas. Avec l’aide de mon compagnon, Romain Michel, je venais d’auto-éditer mon roman « A nos membres fantômes », nous étions fiers du résultat, et nous nous sommes dit, simplement et surtout naïvement, que ce que nous avions fait pour mon roman, nous pouvions le faire pour elles.  Ensuite, tout s’est enchaîné. 

– Pourquoi avoir appelé la maison d’édition Névrosée ?

Le nom de la maison d’édition ne laisse pas indifférent. Personnellement, je trouve que « névrosée » est un très beau mot. C’est un mot qui chante. Il est malheureux qu’il soit si souvent associé à des concepts négatifs alors que, de manière contradictoire, l’inconscient collectif considère que le talent et la névrose ou la folie vont souvent de pair. J’aime la folie. Trop souvent mal considérée, je la trouve, au contraire, pleine de richesses. La vie n’est-elle pas toujours un peu folie ? Appeler notre maison d’édition Névrosée, c’était remettre le langage en question d’une part et renvoyer l’insulte à l’envoyeur, en s’appropriant un mot que nous refusions, à l’avenir, de voir comme une insulte. Névrosée, c’est donc retourner le stigmate, notre manière de faire l’éloge de la folie et réhabiliter, en même temps que ces femmes, un mot qui mérite plus de nuances et de subtilités que ce que le langage commun lui donne aujourd’hui.

– Comment avez-vous choisi les auteures ? 

Nous avons commencé par les recenser. Ensuite nous avons lu les ouvrages que nous trouvions et ceux que nous avons réédités se sont imposés d’eux-mêmes. Une affaire d’intuition et de cœur. Il s’agit d’une œuvre de mémoire, réalisée avec le cœur. En tant qu’éditeur, nous avons aimé ces œuvres, elles nous ont touchés, chacune pour des raisons très différentes et nous souhaitions les rendre aux lecteurs. Qu’ils puissent, à leur tour, éprouver les sensations qu’elles nous avaient offertes.

– Quel a été le plus gros défi de la fondation de la maison d’édition ?

Apprendre le ou plutôt les métiers. Nous savions que ce ne serait pas facile, mais chaque jour nous devions acquérir de nouvelles compétences. C’est compliqué de rendre compte de cette aventure, parce qu’il y avait tant de choses à faire et à apprendre, que bien souvent, nous avions à peine le temps d’y réfléchir, de prendre conscience de ce que nous faisions. Après le choix des textes, le travail de collaboration avec les illustrateurs belges qui ont imaginé les couvertures et les défis techniques de mises en page – c’est Romain qui a assuré de ce côté-là – il a fallu trouver un imprimeur, nous voulions un belge, trouver un diffuseur, mais aussi trouver des moyens de promotions adéquats pour donner à la collection la meilleure visibilité possible. Personnellement, là où j’ai dû développer le plus de créativité et de persévérance fut dans la recherche des ayants-droit : il m’est arrivé d’entrer le nom de famille des ayant-droits que je cherchais dans l’annuaire et d’appeler toutes les personnes que je trouvais pour leur demander s’ils étaient liés à l’autrice !

– Quelques semaines après le lancement de la collection, quel a été l’accueil du public, des libraires, de la presse ? 

Excellent, à part des petites polémiques isolées sur le choix du nom de notre maison d’édition, sur le concept, le public et les professionnels du livre sont assez unanimes. Pourtant, avant le lancement de la collection, les sceptiques étaient nombreux, on me disait des choses telles que : « si on a oublié ces auteures belges ce n’est pas pour rien, si ça valait quelque chose, on ne les aurait pas oubliées ». Certains y ont vu aussi une sorte de stratégie marketing. Aujourd’hui que les premiers textes sont sortis, les gens peuvent se rendre compte par eux-mêmes et, en général, ils sont plutôt impressionnés par la qualité et la modernité des textes.

– En tant qu’auteure et éditrice, pensez-vous que la place des femmes en littérature a évolué cette dernière décennie ?

Le problème ne se situe pas tant au niveau de la place que leur pérennité. Ces auteures belges avaient une place dans les milieux littéraires. Louis Dubrau était très active, sont talent reconnu de son vivant. D’autres ont reçu des prix – les deux premiers Prix Rossel ont d’ailleurs été attribués à des femmes.  Mais comment expliquer qu’Anne François, qui obtient le prix Rossel en 1991 (c’est à dire avant-hier), ait disparu de la mémoire des éditeurs et des lecteurs ?  Donner une place aujourd’hui aux femmes en littérature est une chose, mais elles n’ont pas de véritable place dans l’histoire littéraire. C’est là que le bât blesse. Dans les cours de littérature belge donnés à l’école ou à l’université, les femmes sont, sinon inexistantes, à tout le moins totalement insignifiantes. C’est cela aussi qu’il est urgent de changer.

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