De plus en plus sensible à l'empreinte environnementale de nos achats de mode, on oublie ou ignore encore souvent le poids écologique insoupçonné d’un sac ou d’une ceinture. Accessoirisons responsable, pour replacer la durabilité au cœur d’une certaine fantaisie.
Dans une peinture classique représentant Adam et Eve dans le plus simple appareil, que regarde-t-on en premier ? La pomme et les feuillages habilement répartis. Depuis toujours, semble-t-il, « l’accessoire » est mal nommé. Sujet à part entière, selon les tendances sociohistoriques (ou sociohystériques envers certains it-bags), il sert d’élément différenciant pour situer son propriétaire dans un contexte de hype, de code de reconnaissance, ou d’héritage culturel. Anne Etienne-Reboul, présidente de Peclers Paris, agence de conseil en tendances, style et innovation, observe que les accessoires ont plus que jamais le vent en poupe : « D’abord, ils prennent moins de place que les vêtements, et matérialisent une valeur refuge – les bijoux en particulier. Ils permettent aussi de démultiplier les options des tenues que l’on possède déjà. Ils se transmettent plus facilement d’une génération à l’autre.
Les accessoires sont, comme la mode, le reflet de l’introspection de la société. Et l’accessoire véhicule une notion de durabilité puisqu’il circule. » L’accessoire en cuir, notamment. Carine Montarras, cheffe de produit mode et spécialiste du cuir auprès de Première Vision, souligne que la grande différence entre le cuir et ses alternatives réside précisément dans la durabilité : « Le cuir peut être réparé, nourri, ciré. La nuance écologique se fait dans le rapport à l’entretien et à la pérennité. Dans une logique de consommation durable, c’est un facteur à prendre en compte. » Une réflexion globale qui nous concerne tous : en matière de consommation domestique, selon une étude Frosch et Dedicated Research*, 60 % des Belges seraient sensibles aux questions environnementales, et nombre d’entre eux auraient déjà adapté leurs comportements.
Le cuir nous (et se) met dans tous les états
Pour Carine Montarras, « le cuir est encore une matière peu et mal connue, qui pose beaucoup de questions en ce moment. Il faut rappeler ses fondamentaux pour éduquer face aux fausses vérités qui circulent. Le cuir vient de l’animal qu’on mange. La notion de "cuir vegan" est une erreur de langage et un contresens, qui joue sur l’ambiguïté selon laquelle ce serait forcément une matière éthique. On entend beaucoup parler en ce moment de "cuir végétal", qui laisserait entendre qu’il s’agit d’une matière fabriquée à partir de plantes. Or il s’agit en réalité d’un cuir animal tanné à base d’extraits végétaux. Il existe aussi depuis longtemps des alternatives au cuir issu de la pétrochimie, comme le skaï. Mais depuis quelques années, on développe par exemple des toiles conçues avec une enduction de bio polyuréthane, nouvelle génération de matières plastiques, issues de restes de végétaux (des « bio plastiques ») et qui sont un peu plus écologiques.
Le cuir est le premier acte de recyclage de l'histoire de l'humanité.
Toutes les innovations sont intéressantes, avec chacune sa marge de progression. » Du point de vue des comportements d’achat, Anne Etienne-Reboul observe qu’il subsiste « cette idée pas forcément exacte que si l’on s’offre des accessoires en cuir, ce sont forcément des produits plus écologiques. Or, 70 % de l’empreinte carbone d’un produit est liée aux matières premières. L’échange d’une tonne métrique d’un polyester vierge contre une tonne de polyester recyclé peut permettre d’économiser 80 % de toxines, 60 % d’énergie, et 40 % de CO2. Les fibres biosynthétiques issues des déchets de l’agriculture sont donc aussi très intéressantes ».
La maroquinerie en pleine (r )évolution
Carine Montarras souligne qu’il y a eu ces vingt dernières années un travail sur l’optimisation des moyens de production (énergie et eau), sur le recyclage des eaux usées et le filtrage des produits, ainsi que sur la traçabilité. « Le cuir suit les avancées des filières de la viande. Des certifications ont été mises en place, comme celle du LWG (Leather Working Group), pour réglementer et encadrer les bonnes pratiques au sein des tanneries. C’est un processus international, qui se développe fortement en Asie. En Europe, la réglementation des produits de traitement est déjà très stricte. D’un autre côté, le tannage végétal a beaucoup évolué, et il a très bonne presse en ce moment. »
Quand on a tout, il reste l’accessoire.
Mais que cela concerne les sacs, les chaussures ou les ceintures, l’impact écologique ne se niche pas dans la forme que prend le cuir, mais dans sa source d’approvisionnement, puis dans les traitements et les différents éléments métalliques et textiles ajoutés à la pièce finale. Carine Montarras énumère : « Idéalement, il faudrait aussi se demander quelle est la composition du thermocollant, des renforts – tous ces petits éléments en tissu composite au fond du sac – des contreforts d’une chaussure, des parties qui renforcent le passant de la ceinture… C’est évidemment très compliqué à mesurer, mais ça pèse dans la balance écologique. » Les accessoires ont connu un peu de retard sur le textile, mais de plus en plus, les consommateurs qui entrent dans une boutique veulent savoir où le produit a été fabriqué, et par qui. « Alors, de nombreuses marques commencent à divulguer sur leur site des informations techniques, qui avant n’intéressaient que les professionnels. On arrive à une génération de "consommateurs experts", plus avisés, plus curieux. Et pour les marques, ça permet de créer du lien avec leur communauté. La vigilance, le respect, la compréhension des produits, c’est de l’interaction. » Et l’interaction, c’est du business.
Les bijoux : une fantaisie économique qui coûte cher en impact écologique ?
Selon Anne Etienne-Reboul, les petits bijoux, précieux ou breloques, que l’on range dans une boîte, prennent moins de place que les vêtements : « On les voit moins, donc on les prend moins en compte. Or, au titre des effets délétères des accessoires bas de gamme, on peut citer les mauvais placages et les métaux de piètre qualité, très polluants. Mais de nouvelles marques émergent et séduisent une clientèle jeune avec des pièces uniques upcyclées, à l’instar de Kitesy Martin. » D’autre part, dans le précieux, on note un développement de l’utilisation d’or et d’argent recyclés. Dans ce secteur, le Responsible Jewellery Council veille à l’engagement des fabricants à propos de l’éthique, du respect des droits de l’homme et de l’écologie.
Poids psychologique et statutaire de l’accessoire, pièce phare de l’investissement en seconde main
Les sacs, les lunettes de soleil, les montres véhiculent des informations importantes, compréhensibles dans le monde entier, et dans toutes les langues. Ici, la seconde main joue un rôle clef, en démocratisant le luxe. L’agence Peclers Paris organise régulièrement des sessions de « living lab », panels qualitatifs de comportements de consommateurs. En matière de seconde main, Anne Etienne-Reboul constate que les acheteuses craquent plus facilement sur des modèles fantaisies et spectaculaires, « moins engageants et plus faciles à revendre ensuite, mais aussi sur des pièces plus statutaires et intemporelles qui correspondent à des envies plus raisonnées. Ce marché ne peut que croître ».
Les créateurs-recycleurs
Avec leur collection de couvre-chefs upcyclés, Juana et Ddiddue Etcheberry ont remporté en 2020 le Prix accessoire de mode au Festival d’Hyères, pour leur marque Owantshoozi. En basque, cette expression typique des millennials exprime une exclamation d’étonnement. Pourtant, leur démarche s’inscrit dans une réflexion virale pour la génération Y. Ils recyclent, ils récupèrent, ils réinventent. « Ce concept nous est venu des emballages que nous voyions dans les déchetteries près de chez nous. Nous avons une sorte de fascination pour l’observation des déchets des gens, des matériaux jetés qui auraient droit à une seconde vie. Ces déchetteries, c’est notre "petit zoo". On y va comme on va voir une expo, on explore les formes, les histoires, et le potentiel de revalorisation. » Frère et sœur, ils sont trentenaires et ont respectivement étudié l’architecture d’intérieur à Tournai, et le stylisme/modélisme auprès de la Chambre syndicale de la haute couture à Paris. « Le recyclage est un processus très complexe. Quand on retravaille le plastique ou le caoutchouc, il faut adapter des outils destinés au cuir. Parce qu’on a moins de recul sur ces matériaux-là qu’avec le bois ou le métal. Bientôt, on va recycler des ballons stratosphériques, mais nous devrons adapter nos machines.
Nous en avons assez du gaspillage. Les objets ont une âme.
On retravaille aussi des plaques de métro, des chambres à air de tracteurs, des pots de fleurs en plastique. On croit à l’âme des objets. C’est un peu trop facile de jeter les choses. L’obsolescence, ça suffit. » L’absence de sens, aussi. C’est en tout cas l’engagement de François Cardona, fondateur belge de la marque de design social 21A, qui crée des accessoires de mode issus de l’économie sociale. Il a commencé sa carrière chez Thierry Mugler et Balenciaga, avant de développer une ligne de sacs en collaboration avec l’entreprise bruxelloise de travail adapté L’Ouvroir et Bruxelles-Propreté, en revalorisant des uniformes défectueux (appelés « jardinières ») pour fabriquer des tote bags. Sur chaque jardinière, 80 % de la surface est recyclée. Pour François Cardona, l’essence de sa marque réside en la dimension sociale, humaine, l’échange avec les ouvriers qualifiés, la notion de « donné-rendu ». « Tout n’est pas recyclable, il faut l’admettre aussi. » Mais sa démarche est d’offrir une opportunité professionnelle à des personnes qui développent un véritable potentiel de création, « et une seconde vie à des objets qui seraient jetés ».
Les laboratoires des sentiments accessoires
Pour Anne Etienne-Reboul, « actuellement, la consommation se situe plus dans une démarche raisonnée et dans une production à la demande ». À l’affût des initiatives qui expriment les préoccupations et les évolutions de l’époque, elle cite des marques émergentes emblématiques d’un mouvement de fond, qui travaillent en séries limitées : « Western Affair par Olivia Pudelko, des chaussures conçues à partir de cravates ; Babyreworkparis, qui recompose des sacs "à la Chanel" avec de grosses chaînes à partir de vêtements de sport pour proposer une nouvelle esthétique. Dans la même idée d’appropriation expérimentale avec une touche de subversion, le collectif d’artistes de Brooklyn MSCHF a récemment défrayé la chronique en croisant un sac Hermès et des Birkenstock. » Cette génération accouche de chimères de mode, d’hybridations de pièces iconiques transculturelles, avec un propos artistique. Et les géants de l’industrie apportent leur contribution à cette évolution du secteur : le programme Space Hippie Nike transforme en chaussures les rebuts et déchets de leurs usines. Anne Etienne-Reboul rappelle qu’« il y a beaucoup de technologie derrière ces initiatives, et une grande ambition de développement.
Dans la même optique, Nike collabore avec Central Saint Martins pour préparer la nouvelle génération de designers au recyclage pré et postproduction et pour mettre, comme presque tous les grands groupes, la rationalisation de la production au cœur de leur développement ». Adidas possède depuis déjà cinq ans sa ligne de baskets réalisées à partir de déchets plastiques récoltés dans l’océan, tandis que des chaussures végétaliennes signées BOSS Homme sont fabriquées en Piñatex®, composé à 100 % de fibres de feuilles d’ananas. Chez Prada, le projet Re-Nylon interprète des modèles de sacs emblématiques de la marque, revisités dans un nouveau nylon recyclé. Une nouvelle conscience socioécologique, conséquence vertueuse du contexte inédit de l’année écoulée, qui pourrait bientôt devenir essentielle, en matière d’accessoires.
À LIRE AUSSI
Qui sont les créateurs à suivre en 2021 ?