Une voix radieuse, des accords venus d’ailleurs… À 25 ans, Lubiana propose une musique métissée à l’image de son héritage belgo-camerounais.
Avril 2020, les premières notes de Feeling Low passent à la radio. Une mélodie entraînante, des paroles bienveillantes et la voix enivrante de Lubiana. De quoi rebooster le moral en plein confinement. Un an plus tard, l’artiste nous a donné rendez-vous à Bruxelles dans une maison d’art baptisée “Le Beau à une adresse”. Dès les premiers instants dans cet endroit qui semble taillé pour elle, Lubiana parle de “signe du destin”. Elle a eu un véritable coup de cœur pour le lieu en lisant un article. Et c’est précisément comme ça qu’elle fonctionne... Tombée amoureuse du jazz adolescente en découvrant le titre “In a sentimental mood” de Sarah Vaughan, bercée par les voix de Nina Simone et Lauryn Hill, Lubiana s’est nourrie de ses nombreux voyages et de sa double culture pour créer une musique qui lui ressemble. Elle mélange des sonorités pop et jazz aux notes de la kora, un instrument traditionnel africain dont elle est l’une des rares femmes à jouer. Rencontre avec une artiste solaire dont le talent n’a pas fini de nous éblouir.
Comment définis-tu ta musique ?
C’est avant tout un voyage à l’intérieur de soi. Une invitation à apprendre à se connaître, à s’aimer et à se respecter. C’est aussi un voyage à travers le monde aux couleurs de mon métissage. Ce que je propose, c’est une évasion entre lumière et profondeur. Il y a un côté très solaire et à la fois un côté plus profond dans ce que je fais.
Tu as toujours su que tu voulais faire de la musique ?
Je l’ai su très vite mais, au début, c’était pour les mauvaises raisons. J’avais 5-6 ans la première fois où je suis montée sur scène et j'ai tout de suite remarqué que tout le monde me regardait, m’écoutait et m’applaudissait. J’aimais cette sensation car j’avais l’impression d’être aimée et d’être à ma place quand la lumière était sur moi. Je me suis un peu oubliée dans cette recherche désespérée d'être aimée par les autres. C’est plus tard, vers mes 18-19 ans, que j’ai réellement entamé un voyage intérieur et que mon rapport à la musique a énormément changé.
Comment s’est passée ta rencontre avec la kora ?
J’ai découvert la kora il y a six ans au travers d’un rêve alors que je cherchais ma voie. J’étais perdue, j’hésitais à arrêter mes études au conservatoire et j’ai demandé à la vie de m’envoyer un signe pour savoir si oui ou non la musique était faite pour moi. Pendant des semaines, je faisais le même rêve où je me voyais avec un instrument un peu mystérieux. Plus tard, je suis partie à Majorque avec ma maman et c’est là que j’ai entendu le son de la kora pour la première fois. J'ai vu devant moi cet instrument dont j’avais rêvé et j’en suis instantanément tombée amoureuse.
Qu’est-ce qui t’a séduite ?
La kora m’a amenée à me replonger dans mes origines et à me retrouver. J’ai découvert que c’était un instrument d’Afrique de l’Ouest qui est traditionnellement réservé aux hommes et se transmet de père en fils. On appelle les joueurs “les griots”. Ce sont des conteurs et sorciers dont la mission dans la société est de transmettre l’histoire car c’est une tradition orale. La musique ne s’écrit pas, elle se chante et s'écoute. Étant moi-même issue d’une tribu au Cameroun, je porte beaucoup de respect aux cultures et traditions. J'ai eu la chance d'être invitée par Toumani Diabaté, l'un des plus grands joueurs de kora au monde, et quand je lui ai parlé de mon rêve, il m’a dit que ça signifiait que la kora m’avait choisie et m’a donné sa bénédiction.
C’est une fierté d’être l’une des seules femmes à travers le monde à en jouer ?
La kora m’est tombée dessus, c’est elle qui m’a choisie. Pour moi, c’est une histoire d’amour et j’ai rencontré mon âme sœur. Je ne me suis pas posé la question de savoir ce que les gens allaient penser ou de ce que j’allais représenter. Je me suis juste dit que j'avais besoin d’en jouer. C'est l’un des rares instruments qui se joue face à soi, posé sur les jambes, et dont on ressent toutes les vibrations. Je propose une approche différente de la kora puisque je ne viens pas de la culture des griots. Mon jeu est basé sur mon oreille européenne et mes influences musicales de pop et de jazz.
Tu es très attachée à tes racines et ton héritage. C’est important pour toi de transmettre toute cette richesse à travers ta musique ?
C’est important car c’est qui je suis. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles j’ai mis si longtemps à m’aimer, c’est parce que je ne savais pas ce qu’être métisse voulait dire. Il y a peu j’ai fait un retour aux sources au Cameroun après 10 ans sans y avoir été. Ça m’a permis de comprendre qui j’étais. Aujourd’hui, j’ai envie de mettre en avant mes origines, la culture de mes ancêtres dont je porte les noms de la tribu Bamilékés… J’avais besoin de cette reconnexion. Je me sens autant belge que camerounaise mais ayant grandi en Belgique, j’ai encore cette fascination à découvrir ma culture africaine. Il y a tant de choses que je ne connais pas. J’ai la chance d’avoir mes grands-parents pour me les transmettre et avec qui j’apprends notamment la langue Bangoua de mon village. Je me sens aussi très connectée au côté spirituel de la culture africaine et je pense que cela se ressent dans ma musique.
Dans Self Love, tu parles de la difficulté de s’aimer soi-même. C’est quelque chose pour laquelle tu t’es longtemps battue ?
Je pense que l’amour de soi est quelque chose qui évolue sans cesse. S’aimer ne veut pas simplement dire accepter son corps tel qu’il est, c’est aussi se rendre compte qu’on a constamment une voix dans sa tête, et que si on n’y prête pas attention, on a des pensées qui sont très dures envers nous-mêmes. Il faut faire un travail sur soi pour arriver à se distancer de cette voix et prendre conscience de la façon dont on se traite. J’ai des insécurités et ça m’arrive encore parfois de me dire que je ne me suis pas respectée. Mais j'essaie constamment d'être en accord avec moi-même. Je trouve ça magnifique lorsque les gens disent qu’ils s’aiment complètement, mais j’ai du mal à y croire car je pense que c’est le travail d’une vie.
Est-ce que, comme dans les paroles de Feeling Low, tu t’es parfois sentie perdue ?
J’ai eu plein de moments de désillusion où j’avais l’impression que rien n’allait, d’être bloquée dans des impasses. Je me disais “j’ai tout essayé”. J’ai tout fait et j’étouffais. Et Feeling Low, c’est une chanson avec des mots simples pour dire quelque chose qui n'est pas si simple qui est de croire au renouveau. J’aime me dire que pour aller plus haut il faut accepter de descendre afin de pouvoir gravir la montagne suivante. Le message de ce morceau, c’est d'accepter d'être dans des périodes plus basses et que chaque expérience nous fait grandir. Quand je vis une période difficile, je me dis que c’est un test et j’ai hâte d’en sortir pour avoir du recul et comprendre pourquoi j’ai vécu ça.
Quelle est l’histoire de Mamy Nianga, le premier titre de ton album qui sortira en septembre prochain ?
Mamy Nianga, c’est une façon taquine au Cameroun de dire que tu fais très attention à ton apparence. C’est comme ça que mon papa m'appelait quand j’étais ado et que je me préparais pendant des heures dans la salle de bain (rires). Cette chanson parle du fait que l’apparence extérieure ne m’atteint plus. Elle porte un message d'authenticité et encourage chacun à accepter sa dualité, avec ses parts d’ombre et ses parts lumineuses. Accepter qu’on ne soit pas parfait. Même s’il n’y a rien de mal à prendre soin de soi, on n’a pas tout le temps besoin de coquetterie dans la vie pour être une belle personne et prendre possession de qui on est.
Tu as sorti ton premier EP en avril 2020 en plein confinement. Comment as-tu vécu cette période compliquée en tant qu’artiste ?
La plupart des titres qui arrivent sur mon album ont été créés pendant cette période. Je considère la créativité comme un muscle et j’ai décidé pendant le confinement d’écrire un morceau par jour, sans me poser de questions. J’aime l’idée de laisser chaque jour sortir tout ce que j’ai en moi. Il y a aussi moins de pression. Pendant cette période de pandémie, je me suis demandé ce que je pouvais faire à mon niveau pour essayer d’aider mon prochain. J’ai eu envie de partager à travers des vidéos, j’ai créé un podcast pour permettre aux gens de s'évader. Je pense que c’est justement dans ces moments-là qu’en tant qu’artistes on est le plus essentiel.
Pourquoi as-tu eu envie de te livrer à travers une autre forme que la musique ?
J’ai longtemps rêvé de devenir chanteuse mais je n’avais ni les contacts ni les ressources financières et je ne savais pas comment faire pour y arriver. J’étais un peu frustrée car j'aurais voulu que des gens me parlent de leur expérience, mais tout ce que je voyais, c’était la success-story d’Ed Sheeran ou de Beyoncé. C’est génial mais ce sont des artistes auxquels je ne pouvais pas m’identifier. Je me suis longtemps demandé pourquoi c'était si dur. Il m’a fallu presque 10 ans pour pouvoir sortir mon premier EP. J’avais l’impression que toutes les portes étaient fermées et je me suis promis que le jour où je commencerai à avoir les clefs, je les transmettrai. J’ai envie de pouvoir aider tous ceux qui ont un rêve, artiste ou non, et qui n'osent pas se lancer. Dans ce podcast, je parle de choses universelles comme l’échec, la peur, l’angoisse...
Un avant goût de ton prochain album ?
Il est intimement lié aux podcasts, il y a toute une histoire que je raconte à travers eux et cet album en est le point culminant. Il joue sur les contrastes, il est à la fois solaire avec des titres dansants, et propose en même temps des titres plus profonds. Je l’ai créé pour transmettre des messages positifs, pour donner… C'est une ode à la vie.
Merci à “Le beau à une adresse” pour l’accueil. 313 Avenue Molière, 1180 Bruxelles. lebeauauneadresse.com
À LIRE AUSSI
Dvtch Norris, le rappeur anversois à suivre de près
Aloïse Sauvage : l'indomptable révélation française
Yseult : une artiste flamboyante qui irradie la pop française