Face à un contexte environnemental angoissant, certaines femmes font le choix de ne pas avoir d’enfants.
“Tu es trop jeune pour dire ça”, “tu finiras par changer d’avis”, “tu n’as pas encore rencontré le bon”... Si le désir de devenir mère n’est jamais remis en question, le choix de ne pas avoir d’enfant est souvent incompris. D’autant plus lorsqu'il est en partie motivé par une conviction écologique. Pourtant, à l’heure où de nombreux expert·e·s tirent la sonnette d’alarme quant au futur de la planète, ne serait-ce pas amplement légitime de se questionner sur ce que nous allons léguer aux prochaines générations ? Voici les témoignages de femmes qui - contrairement aux préjugés - ne pensent pas sauver le monde, mais ont décidé de vivre en accord avec leurs valeurs.
Isabelle (*prénom d’emprunt), 43 ans, assistante dentaire, Namur, mariée.
Je me suis positionnée sur mon non-désir d’enfant dès mes 18 ans, mais à l’époque, on ne parlait pas autant de l’environnement. C’est plus tard, vers mes 25-30 ans que l’aspect écologique est venu s’ajouter à ma décision. Lorsqu’on a commencé à parler de plus en plus du changement climatique, je me suis renseignée en lisant des articles ou en regardant des reportages sur le sujet et, au fur et à mesure, j’ai pris conscience qu’on allait vraiment dans le mauvais sens. J’étais encore moins rassurée de mettre un enfant au monde dans ce contexte.
Au début, mon entourage a eu beaucoup de mal avec cette décision. Au fil des années, il a fini par l’accepter même s’il ne le comprend pas forcément. Je pense que les mentalités ont évolué depuis, mais le modèle premier dans la société reste toujours un couple avec des enfants. Pour autant, je ne vais pas à l’encontre des gens qui veulent des enfants, je trouve ça bien de la part des futurs parents de prendre en compte l’écologie pour inculquer de bonnes valeurs dès le début.
“La stérilisation m’a permis de me réapproprier mon corps”
À 37 ans, j’ai eu recours à la stérilisation. J’estime que j’ai eu de la chance, car la stérilisation volontaire est encore difficile d’accès. La première gynécologue que j’ai été voir a refusé catégoriquement. Je suis alors allée consulter un deuxième gynécologue qui était plus ouvert d’esprit et surtout à l’écoute de mes motivations. Lui a accepté de m’opérer. La plupart des praticien·ne·s ont encore du mal avec la stérilisation volontaire et peuvent nous faire des réflexions. On entend qu’on est trop jeune, qu’on risque de le regretter...
C’était important pour moi de passer par la stérilisation, car même si j’étais sous pilule, j’angoissais qu’elle me fasse défaut un jour et faire un déni de grossesse. J’avais très peur de ça, j’en faisais des cauchemars et je ne voulais pas avoir à attendre jusqu’à la ménopause pour être rassurée. Je craignais qu’on m’impose par la force de la nature de tomber enceinte alors que je ne le voulais pas.
Le premier sentiment que j’ai ressenti après ma stérilisation, c’était du soulagement. Elle m’a apporté de la sérénité et une tranquillité d’esprit. J’ai également eu l’impression que je reprenais enfin le contrôle sur mon corps et que je pouvais pleinement en disposer sans avoir en tête cette angoisse d’une éventuelle grossesse non désirée. Ça m’a permis de me réapproprier mon corps. Je ne regrette absolument pas cette décision.
Irina (prénom d’emprunt) 30 ans, médecin généraliste, Ardenne, en couple depuis trois ans.
Depuis toute petite, j’ai envie d’une famille, mais je n’ai pas de projet en tête de ce qu’est la famille idéale. En grandissant, j’ai été interpellée par l’avenir de la planète. J’ai commencé à réfléchir à ma consommation, à ne plus prendre l’avion, etc. Avant de rencontrer mon compagnon, je n’étais pas du tout fixée sur ce que je voulais. Je n’ai jamais spécialement eu envie de vivre une grossesse ou un accouchement. Lorsque la discussion est venue sur le tapis, nous avons réfléchi aux solutions qui existaient pour créer un foyer tout en conciliant nos convictions. Et l’aboutissement, c’était cette décision de ne pas faire d’enfant.
Ce cheminement est arrivé au fil de ma conscience écologique et de ce que j’étais prête à faire par rapport à cette conscientisation. Au début, c’était des petites actions, et plus elle a grandi, plus je voulais poser des actes forts et plus j’étais prête à faire de grosses concessions. Pour moi, ça reste une concession même si je la fais de bon cœur, dans le sens où si ça n’avait pas été dans ces conditions, je n’y aurais peut-être pas renoncé.
“Plus ma conscience écologique grandissait, plus j'avais envie de poser des actes forts”
Je n’ai pas envie de mettre un enfant au monde pour le laisser face à un avenir incertain. Souvent les gens comprennent ce qui nous préoccupe, mais ça n’a pas l’air de les préoccuper. Ils ne nous disent pas qu’on exagère les conséquences, mais plutôt « autant vivre et en profiter ». On sait que ce n’est pas à notre échelle qu’on peut changer les choses, mais au moins on aura fait ce qui était possible pour nous.
Nous avons un projet d’adoption qui va bien-tôt être lancé. Nous avions quand même envie d’une famille et c’était moins angoissant de savoir que cet enfant est déjà là et qu’on ne va pas lui imposer le futur, mais plutôt pouvoir l’accompagner. C’était aussi un dilemme : on va peut-être accueillir un enfant qui vient d’un pays où il a un faible impact carbone pour le mettre dans une société de surconsommation. On a eu cette réflexion un peu caricaturale de se dire que si seuls les gens qui s’en fichent de la planète continuent à faire des enfants, et si celles et ceux qui sont touchés par l’écologie arrêtent d’en avoir, qu’est-ce qui va être transmis finalement ? Même si le fait de ne pas être élevé là-dedans ne veut pas forcément dire qu’on ne devient pas sensibilisé à l’âge adulte, ça nous a confortés dans notre choix de créer un foyer autrement et de transmettre les valeurs qui sont importantes pour nous.
Je me sens en accord avec moi-même, j’ai l’âge et le recul nécessaires pour prendre la bonne décision. J’ai l’impression que je ne regretterai pas quelque chose qui a été fait de façon réfléchie et pour la bonne cause. Ma famille comprend tout à fait ce choix, car j’ai toujours eu une idée de la famille « hors des normes ».
Par contre, on évite d’en parler avec nos amis parce qu’on a l’impression qu’ils sont sur la défensive et se sentent jugés, alors que ce n’est pas du tout le cas. Je pense que ça les renvoie à leurs choix personnels et qu’ils pensent qu’on les met sur le banc des accusé·e·s. Avoir des enfants, c’est naturel et je ne juge personne, même s’ils en font quatre ou cinq. Chacun·e a ses propres convictions et nous voulons vivre selon les nôtres. Ce n’est pas parce que nous sommes stressés pour le futur qu’on veut imposer ça aux autres ou qu’on ne les comprend pas. On aimerait qu’on respecte également notre point de vue sans nous faire passer pour des extrémistes.
Noémie, 23 ans, étudiante institutrice préscolaire, Saint-Ghislain, en couple depuis deux ans.
Je n’ai jamais désiré avoir d’enfant pour des motivations à la fois écolos et personnelles. Je suis future institutrice maternelle, donc, des enfants, j’en aurai tout le temps autour de moi et je les adore. Au quotidien, je remarque qu’ils engendrent une dépense supplémentaire de consommation, car ils ont des besoins spécifiques qu’on ne peut assouvir qu’avec des choses qui polluent. A contrario, je vois de plus en plus de parents faire des gestes pour la planète et je trouve ça super de vouloir transmettre une conscience écologique à ses enfants.
Avec la Covid-19, on a pu voir que lorsque l’Homme ralentissait, la planète reprenait ses droits. Ça m’a frappée de me dire que c’était vraiment de notre faute si on était en train de pourrir la planète et ça m’a encore plus confortée dans ma décision, car je pense que si on mettait un coup de frein général, ça irait beaucoup mieux. Je me questionne vraiment sur ce qu’il restera de la nature étant donné la façon dont on la traite en ce moment.
Mon copain et moi sommes sur la même longueur d’onde.
Au quotidien, on a adopté un mode de vie plus écoresponsable même si on sait que ça ne représente pas grand-chose. Ma position ne changera pas, mais je préfère attendre mes 30 ans pour envisager une procédure définitive. Le fait de me dire qu’on enlève une part de moi-même, ce qui – en partie – fait de moi une « femme », prête à réflexion. De toute façon, je pense que ce serait compliqué de trouver un·e gynécologue en Belgique qui accepte de m’opérer à mon âge.
“Si on avait respecté la planète, on n'aurait pas à s’inquiéter de l’avenir de nos enfants”
Je dis souvent à ma maman que pour moi ce serait un drame d’avoir un enfant, mais elle a beaucoup de mal à le concevoir. Elle veut être grand-mère – ce que je peux comprendre –, mais ce n’est pas ce à quoi j’aspire pour l’avenir. Nous ne partageons pas les mêmes préoccupations écologiques, donc c’est un peu le choc des générations. Elle essaie de me faire changer d’avis et me demande pourquoi ce serait à moi de faire un effort pour les autres. Ça l’a encore plus choquée lorsque je lui ai dit que je ne me voyais pas avoir un enfant et le « livrer » au monde actuel.
Lorsqu’on ne veut pas d’enfant par conviction écologique, disons que c’est la cerise sur le gâteau ! Je pense qu’on vit dans une société hyper égoïste et que si l’on en vient à dire que les enfants sont un problème, c’est qu’on a raté quelque chose. Si on avait respecté la planète correctement et fait attention à notre manière de vivre et de consommer, on n’aurait pas à s’inquiéter de leur avenir.
Chloé (@thegreenmonki) 27 ans, activiste pour la justice climatique, Bruxelles, en couple depuis sept ans.
À l’heure actuelle, je ne souhaite pas avoir d’enfant. Si un miracle se produit et qu’on arrive à faire les bons choix pour l’avenir, peut-être que je reconsidérerai cette décision. Mon métier, c’est essayer d’influencer les politiques environnementales et je vois au quotidien où en est... Ça ne donne pas énormément d’espoir pour le futur si on ne change pas radicalement dans les prochains mois.
La survie de l’humanité est menacée. Je n’ai pas envie de mettre la personne que j’aimerai le plus au monde dans une situation comme celle qu’on va probablement devoir affronter dans les années à venir. Même si on est hyper privilégiés en Europe, on va connaître des changements assez importants par rapport au climat ou à la gestion des ressources.
“La priorité aujourd'hui, c'est de faire changer les politiques”
On me dit que j’ai une vision pessimiste, mais je pense plutôt que je suis réaliste et que beaucoup de gens sont dans le déni. Ils pensent que rien ne va changer et donc, pour eux, faire ce choix, c’est trop radical parce que ça implique une vision trop pessimiste de l’avenir. La majorité des personnes qui utilisent cet argument sont très peu informées sur ce qui se passe réellement.
Ce n’est pas du tout la surpopulation qui pose problème, surtout qu’on sait que la population en Europe est déclinante. C’est la façon dont on utilise les ressources qui est problématique. C’est pourquoi je ne juge pas du tout les gens qui ont des enfants, car la priorité, aujourd’hui, c’est de faire changer les politiques. Pendant des années, les politiques et les grosses entreprises ont fait un truc incroyable en marketing : ils ont remis la responsabilité sur le·la consommateur·trice.
C’est pour ça qu’aujourd’hui ,on pense qu’en faisant nos courses de façon différente, on a un impact. Et c’est vrai, mais il est minime par rapport à l’impact qu’ont ces grosses entreprises. C’est toute la fameuse dichotomie entre « system change » et « individual change ». C’est super si tu « upcycles » tes fringues, tu vis « zero waste » et tu n’as pas d’enfant, mais même si tout le monde agissait comme ça, ça n’aurait pas un impact suffisant si l’industrie et l’économie ne changent pas radicalement.
Le panel d’expert·e·s pour le changement climatique de l’ONU donne la date de 2030. Il y a un budget carbone, un certain nombre de tonnes de gaz qu’on ne doit pas émettre, ce sont de pures maths. La priorité, c’est de se concentrer sur les prochains mois et années. Même avec un enfant maintenant, éduqué de façon écolo, dans vingt ans, ce sera peut-être un super activiste et il aura un mode de vie hyper réduit, mais ce sera trop tard. On doit réduire notre empreinte carbone aujourd’hui, c’est maintenant que les gestes comptent.
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