L’hypersensibilité : véritable trait de personnalité ou phénomène marketing ?

Mis à jour le 3 juin 2021 par Anna Venet et ELLE Belgique
L’hypersensibilité : véritable trait de personnalité ou phénomène marketing ? ©Shutterstock

Emotions intenses, cerveau toujours en fonctionnement, sensorialité exacerbée… Ces caractéristiques sont propres à environ 20% de la population mondiale : les hypersensibles. Attention, l’hypersensibilité n’est pas une pathologie mais un tempérament, qui doit être apprivoisé et compris par la personne concernée mais aussi par son entourage.

Barack Obama, Albert Einstein, Emma Watson, Martin Luther King ou encore Angelina Jolie… Toutes ces personnalités se situent dans la catégorie des hypersensibles. Avant le début des années 90, ce terme n’existait pas. C’est grâce aux travaux de la psychologue et chercheuse américaine Elaine Aron que cette appelation a vu le jour. Selon elle, cette caractéristique concernerait 1 personne sur 5. En France, c’est au début des années 2000 que l’hypersensibilité s’est lentement fait connaitre. Même si le phénomène reste récent, le terme est aujourd’hui bien connu du grand public et de plus en plus de thérapeutes prennent en compte cette notion dans leur diagnostic et leur accompagnement. Depuis 2019, l’hypersensibilité a même sa journée dédiée, le 13 janvier. Initiée par le psychologue Saverio Tomasella, cette date n’est pas reconnue officiellement mais reste très symbolique pour les concerné.e.s. Aussi, nombreux sont les livres qui fleurissent sur le sujet : “L’hypersensibilité pour les nuls” par Cédric Vitaly et Saverio Tomasella paru en 2020 ou “Suis-je hypersensible” écrit par le philosophe Fabrice Midal dévoilé en janvier 2021. Les podcasts aussi sont très populaires : “HyperSensible”, “Emotions” ou encore “Le blabla dans ma tête”. Autant de travaux de référence à lire et à écouter si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet.

“L’hypersensibilité pour les nuls”, écrit par Cédric Vitaly et Saverio Tomasella
“L’hypersensibilité pour les nuls”, écrit par Cédric Vitaly et Saverio Tomasella

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Une caractéristique difficile à identifier 

L’hypersensibilité intéresse de plus en plus mais porte encore très souvent à confusion. Il est nécessaire de faire la différence entre sensibilité et hypersensibilité, qui sont deux choses bien différentes. La définition de ce terme est encore floue aussi bien pour les personnes concernées que pour leurs proches, qui ont aussi parfois du mal à gérer. En psychologie, l’hypersensibilité désigne les personnes qui possèdent une sensibilité plus haute que la moyenne. Ce n’est pas une pathologie, mais bel et bien un tempérament, une caractéristique, comme le défini Elaine Aron en 1996. Pour Anne Landry, psychanalyste et auteure du livre “L’hyperempathie : révéler ce don extraordinaire et le développer” (ACHETER CE LIVRE), “il en existe plusieurs types : l’hypersensibilité sensorielle, l’hypersensibilité émotionnelle et l’hypersensibilité empathique”. Toutes possèdent des caractéristiques communes mais sont pourtant bien différentes. L’hypersensibilité sensorielle concerne les sens, comme un odorat plus développé, ou une sensibilité aux sons accrue. L’hypersensibilité émotionnelle concerne plutôt les émotions et les pensées, souvent débordantes. “Les personnes concernées sont très sensibles à une scène difficile, à une remarque ou à un film par exemple”, affirme Anne Landry.

Enfin, l’hypersensibilité empathique, ou hyperempathie, rassemble les caractéristiques les plus connues. Les hyperempathiques connaissent des sautes d’humeur, se mettent très souvent à la place de l’autre, sont de véritables éponges à émotions et détestent l’injustice. Il est possible d’être concerné par plusieurs types d’hypersensibilité ou de n’en ressentir qu’une seule. Pour Charlotte Wils, coach spécialisée dans l'accompagnement des personnes hypersensibles, “l’hypersensibilité est souvent associée aux émotions mais ce n’est pas que ça, cette caractéristique concerne bien d’autres aspects de la vie. Elle est finalement plus tournée vers les autres que sur nous-même”, affirme-t-elle. Cependant, l’origine de l’hypersensibilité reste assez mystérieuse. Les chercheurs ne s’accordent pas sur la part "innée" et "acquise". Viendrait-elle de nos gènes ? Est-elle due à notre environnement ou à notre histoire ? Ces questions restent encore sans réponse. 

Encore mal comprise, l'hypersensibilité n'est pas toujours facile à accepter.
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L’hypersensibilité impacte le quotidien à tous les niveaux

Quoiqu'il en soi, cette caractéristique n’est pas un défaut, ni une faiblesse mais peut créer des situations difficiles pour les personnes concernées. Ludmilla, étudiante en école d’art, a été diagnostiquée hypersensible par sa psychologue à l’âge de 13 ans : “je l’ai toujours vécu physiquement. Je suis très fragile au niveau de l’ouie et du toucher. Je ne peux pas participer à de grosses fêtes avec de la musique forte et je ne peux pas porter certaines matières, par exemple.” Niveau émotions, la jeune femme est aussi affectée dans son quotidien. “Je vais tout recevoir plus fort que la moyenne. Quand j’ai une grosse journée, je vais être beaucoup plus fatiguée que les autres, par exemple. C’est assez difficile à vivre”. Noémie, journaliste au Elle.fr, se sent elle-aussi concernée, mais n’a pas eu de diagnostic : “j’ai compris que j’étais hypersensible avec mes relations avec les autres. Je prend tout à coeur et je suis touchée pour un rien. Ca peut même déclencher des crises de larmes.” Enfin, Agathe, étudiante en design de joaillerie, a su qu’elle était hypersensible, en particulier hyperempathique, à l’adolescence : “je ne suis pas née avec ça. Je pense que c’est venu avec les épreuves que j’ai surmontées, dont mon harcèlement scolaire. Depuis, j’attend beaucoup d’attention de la part des autres et je ressens aussi beaucoup leurs émotions”.

Pour elles, l’hypersensibilité joue un rôle crucial dans leur vie et toutes ont mis du temps à l’appréhender. Mais, il faut aussi savoir qu’être hypersensible n’a pas que des inconvénients. Cette caractéristique apporte de très nombreux avantages et doit justement être valorisée dans un monde qui laisse finalement peu de place aux émotions. Pour Noémie, son hypersensibilité la pousse à aller au bout des choses. “J’aime rentrer dans les détails avec les gens. Tout est plus intense. Je ne reste jamais à la surface des choses.” Ambre, étudiante en droit, voit principalement les qualités de son hypersensibilité. “Je peux percevoir ce que d’autres personnes ne perçoivent pas. Comme la tristesse cachée d’un ami ou l’amour dissimulé derrière des attitudes froides.”, affirme-t-elle. Agathe, quant à elle, se sent beaucoup plus créative et à l’écoute des autres. “J’ai l’impression de pouvoir entrer en connexion avec le monde”. Selon la psychanalyste Anne Landry, “il faut développer son hypersensibilité pour être plus à l’aise dans sa vie. Sinon, le corps va hurler à l’intérieur”. 

L'hypersensibilité fait ressentir les émotions de façon très intense.
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Un phénomène qui questionne

Souvent, les personnes hypersensibles ont du mal à gérer cette caractéristique de leur personnalité. L’un des freins majeurs à cette acceptation sont les proches, la famille et les amis qui ne comprennent pas et ne savent pas toujours quel est le bon comportement à adopter. Cécile ne comprenait pas le comportement de sa fille qu’elle sait aujourd’hui hypersensible : “elle prend toujours les choses trop à coeur, a des réactions exacerbées. Ses émotions sont toujours fortes, que ce soit dans le négatif ou dans le positif”. Pendant longtemps, sa relation avec elle a été impactée par ces caractéristiques et a créé de nombreux conflits. Cela ne fait que quelques mois que cette femme de 52 ans connait l’existence de l’hypersensibilité et commence petit à petit à adapter ses réactions. “Même en sachant qu’elle est hypersensible ça reste difficile de bien l’intégrer et de bien réagir dans la vie de tous les jours. Sur le moment, on y pense pas forcément et nos émotions aussi entrent en jeu. Maintenant qu’elle a grandi, on a pu échanger sur le sujet et on arrive mieux à se comprendre”. Elle qui pensait que sa fille avait parfois mauvais caractère a désormais bien compris que c’est un trait de personnalité, souvent non-maîtrisable pour la personne concernée. Ambre aussi, a connu des moments compliqués avec sa famille : “au début, je détestais cette hypersensibilité car elle m’éloignait de ma famille qui ne comprenait pas mes réactions souvent perçues comme excessives. Je crois que lorsque j’ai accepté cette part de moi, j’ai permis à mes proches de faire de même”.

Au final, la clé pour comprendre et accepter son hypersensibilité ou celle de ses proches c’est bien la communication. Selon Anne Landry, “il faut valoriser la parole, ne jamais rompre le dialogue. Il est nécessaire d’exprimer ce que l’on ressent face à la personne concernée et toujours respecter ses réactions et sa sensibilité”. D’ailleurs, beaucoup d’influenceuses et de professionnel.le.s communiquent de plus en plus sur le sujet via les réseaux sociaux essentiellement. Le 27 août 2020, la youtubeuse et influenceuse aux 1,8 millions d’abonnés Emma CakeCup partageait sur Instagram une publication dans laquelle elle confiait être hypersensible. “Ce n’est pas une maladie, mais une différence. J’ai eu beaucoup de mal à l’accepter étant jeune, surtout que les gens en général sont très durs”, écrit-elle. Puis, l’instagrammeuse Kim J Lewin, qui prône l’acceptation de soi, a pris la parole sur son hypersensibilité en février dernier dans l’émission “Ça commence aujourd’hui” sur la chaîne française France 2. Enfin, des comptes Instagram se créent sur le sujet comme “je.suis.hypersensible”, se déclarant comme “la première communauté dédiée aux personnes #hypersensibles”. Soit de belles initiatives qui participent à délier les langues sur le sujet et à le faire connaitre au plus grand nombre. 

 

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Une publication partagée par EmmaCakeCup 🧁 (@emmacakecup)

Mais l’hypersensibilité ne date pas d’hier

Cependant, il faut savoir différencier réelle hypersensibilité et émotions fortes par moment car beaucoup se disent hypersensibles, sans connaitre réellement les caractéristiques de ce tempérament. On en vient donc à se demander si toute l'actualité tournant autour de l'hypersensibilité relève d'une véritable prise de conscience ou alors d'un phénomène de mode ? “Même si c’est une mode, je trouve que c’est positif car ça autorise enfin à en parler. On peut enfin poser les bons mots sur les maux”, affirme la psychanalyste Anne Landry. Pour Charlotte Wils, coach spécialisée, “ce n’est pas une mode, car ça a toujours existé. Jusqu’à présent, la société voulait que l’on soit tous uniformes, avec des personnes lisses, sans émotions. Aujourd’hui, le monde s’ouvre et accepte la différence. L’hypersensibilité n’est pas un problème, le problème c’est de faire taire les hypersensibles”.

Et pourtant, la sensibilité est une propriété essentielle à l’être l’humain qui rend le monde vivant et donne un sens à l’existence. Sentir son coeur qui palpite quand on est amoureux, la sensation que l’on ressent quand on lit un bon roman ou encore le plaisir que l’on a à regarder un beau paysage… Tout comme la sensibilité, l’hypersensibilité est sans aucun doute l’un des trésors les plus précieux que l’on peut avoir, comme un diamant brut à façonner et à apprivoiser au fil des années.

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