En se plongeant dans l’interprétation musicale de leur livre fétiche, le groupe belge Coline & Toitoine nous dévoile un EP engagé. Lyrique et esthétique.
Lyrique parce qu’on ne peut pas détacher son oreille de la voix envoûtante et ronde de Coline, la chanteuse. Esthétique, parce derrière ce mini album dont la cover a été dessinée par Coline, il y a un vrai univers visuel, la promesse d’un voyage savamment intellectualisé. Mais laissons en parler les deux intéressés…
Tout est parti d’un livre, Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, comment l’avez-vous découvert ?
Coline: L’année passée, Toitoine était confiné chez moi, et il y avait ce livre. Ma maman l’avait lu et je savais que c’était un classique, façon 1984 d’Orwell. Avec la pandémie, on vivait une situation presque futuriste, et on s’est dit qu’il résonnait avec ce que l’on vivait.
Dans l’EP, on parle du climat, la technologie, le burnout, le fait de vieillir, autant de thèmes actuels qui ont exacerbé nos doutes par rapport à l’avenir.
Quand avez-vous décidé de mettre tout ça en musique ?
Toitoine: Nous avons commencé le groupe il y a trois ans et ça faisait un petit temps qu’on avait envie d’un projet qui lie les chansons à travers un fil rouge fondateur. On a déjà fait des singles distincts. Mais plutôt que d’agréger des chansons, on préférait se lancer le défi d’un album concept.
Votre EP s’intitule SOMA, pourquoi ça ?
T: Le livre pose la question du bonheur. Il s’agit d’un univers dystopique dans lequel les gens sont programmés pour être heureux. S’ils ne le sont pas, il existe une pilule appelée le Soma, qui leur permet d’atteindre le bonheur. Nous avons directement fait un parallèle entre cette drogue fictive et la musique qui peut provoquer les mêmes effets.
C: Le Soma est une drogue sans effet secondaire ! La prendrait-on si elle existait ? Au risque de perdre notre liberté pour vivre dans une illusion de bonheur.
SOMA, la pilule du bonheur, pourtant les sujets que vous abordez sont parfois durs et engagés. N’est-ce pas paradoxal ?
T: C’est là qu’est toute la question ! Faut-il succomber au bonheur instantané ou, au contraire, est-ce qu’il ne réside pas dans la liberté de bouger pour améliorer les choses ? Ce qui est la quête du personnage principal du livre d’ailleurs. La musique peut nous pousser à changer les choses.
C: On parle de ces sujets avec des mélodies groovy et happy, il y a donc plusieurs niveaux de lectures des chansons.
Coline, dans la chanson Under My Arms, tu parles de la première fois que tu as dû te raser les aisselles. Anecdotique au premier abord, c’est une vraie satire des canons de beauté. C’est une pression que tu ressens, à 21 ans ?
C: À l’adolescence, j’ai ressenti cela comme un acte imposé. J’ai souffert du regard des autres et c’est seulement en grandissant que j’ai pu m’émanciper. Mais je vois une évolution. Notamment avec les réseaux sociaux. Je suis cheffe guide et je suis en contact avec des jeunes qui se posent des questions que je ne me posais pas du tout à leur âge. On sent une vraie ouverture d’esprit. Parce que c’est un vrai tabou, les poils !
T: C’est aussi à nous de décider d’améliorer nos perceptions pour les prochaines générations. J’étais d’ailleurs assez content quand Coline est venue avec le thème de la chanson parce que c’est important de garder l’esprit ouvert.
En parlant de garder l’esprit ouvert, racontez-moi qui est la Welfare Queen?
C: Lorsque le futur président Nixon a fait campagne pour le parti Républicain, il a voulu fustiger les aides sociales. Il a développé l’idée de Welfare Queen, une femme qui abusait des aides sociales. Elle se baladait en Cadillac et veste en fourrure.
T: La population à l’époque s’est sentie injustement abandonnée par le système et a pointé du doigt ces Welfare Queens. Notre chanson est très ironique.
C: On retrouve cette perte de confiance envers les dirigeants aujourd’hui. La Welfare Queen, c’était la fake news de l’époque.
Quel est le secret de cette pochette ?
T: Il faut savoir que c’est Coline qui a toujours peint les pochettes de nos singles avec ce principe de traits répétitifs. Pour l’EP aussi, l’idée part du dessin de Coline, ensuite on a essayé de réfléchir ensemble à la référence à la pilule.
C: Nous l’avons imaginée avec la graphiste Llywelin Nys. Quant aux couleurs, c’est venu un peu par hasard. On s’est habillés comme ça et c’est resté, les gens ont fini par nous identifier en rouge et bleu. Et ça faisait aussi écho aux pilules dans Matrix.
T: Cela évoque notre complémentarité. Je remarque que systématiquement quand Coline est forte dans un domaine, je ne le suis pas et inversement. La chanteuse, le producteur, la littéraire, le matheux, froid, chaud, rouge, bleu.
Une belle complémentarité qui participe à l’harmonie de ce joli album qui, avec ses sons pop, mélange ballade mélancolique et électro futuriste. C’est la promesse d’une jolie histoire à raconter.
SOMA est à découvrir dès à présent sur les plateformes de streaming musical.