Comment imaginer un espace public plus juste ? Encore trop nombreuses au sein de la société, les inégalités entre les femmes et les hommes peinent à disparaître. C’est à vélo, que certaines d’entre elles mettent en route la construction d’un espace égalitaire. Mais son utilisation soulève certains problèmes comme l’accessibilité. Comment le deux-roues peut participer à l’écoféminisme et devenir un outil d’émancipation ? Enquête.

Professionnelles, privées, culturelles, nécessaires, nos activités du quotidien mettent en lumière un espace public où certaines problématiques s’observent. Difficulté de se déplacer, insécurité, aménagement urbain en construction. Pour espérer un changement, les femmes, principales concernées par ce sujet, doivent imaginer un chemin vers un monde où l’écoféminisme pointe doucement le bout de son nez. Et c’est à vélo, devenu un outil indispensable, qu’elles ont entamé cette lutte. Qu’est-ce qui se cache derrière l’objet que le groupe Queen mettait fièrement à l’honneur dans un de ses tubes des années 70 ?

Queen

I want to ride my bicycle, Queen, 1978

L’écoféminisme, c’est quoi ?

Plus qu’un objet de déplacement, le vélo apparaît comme un véritable outil d’émancipation. Qui dit affirmation de soi, dit droits des femmes. Il faut remonter au 20ème siècle pour voir certaines femmes prendre les devants. Avant d’utiliser la bicyclette, les mouvements féministes étaient déjà apparus dans les pays du monde entier. On comprend dès lors que les différents combats féministes cachent derrière eux, une volonté d’amélioration de l’environnement. De la déforestation au nucléaire en passant par le droit de vote, le concept d’écoféminisme s’est répandu sur la planète. Explication.

En 1974, ce mouvement apparaît en France par l’intermédiaire de Françoise d’Eaubonne, essayiste et militante. Il a pour but d’utiliser des stratégies non violentes pour manifester et faire passer des messages importants. Si l’idée s’est petit à petit lénifiée chez nos voisins, une relève mondiale est apparue comme un second souffle. Au Kenya, avec The Green Belt Movement, en passant par l’Inde et le mouvement Chipko contre l’exploitation commerciales des forêts, les contestations féministes n’ont pas manqué à l’appel. Si le vélo est utilisé aujourd’hui comme porte-parole de la cause féminine, c’est qu’il existe un lien entre la dégradation de la planète et l’oppression des femmes.

Pour contrer les défaillances écologiques, elles se sont portées volontaires pour sauvegarder notre espace de vie. De la lutte contre les déchets toxiques à la réappropriation de la fécondité, l’écoféminisme regroupe un ensemble d’idée avec un objectif clair : s’affirmer par ses propres moyens. C’est pourquoi le vélo apparaît aujourd’hui comme la réalisation de ce processus.

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La destruction des sols et l’épuisement des ressources signalées par tous les travaux écologistes correspondent à une surexploitation parallèle à la surfécondation de l’espèce humaine – Françoise d’Eaubonne

Le vélo un moyen de transport égalitaire ?

Les précédents exemples de mouvements féministes ne sont que le présage d’un courant contestataire sur le traitement accordé au public féminin aujourd’hui. Le mouvement #Metoo a notamment lancé une vague de revendications féministes à travers le monde. Le vélo entre dans l’espace public comme un moyen de s’affirmer à travers différents combats. Mais sa pratique est-elle de base égalitaire ?

En 2019, le rapport de l’Observatoire du vélo à Bruxelles a montré que seulement 36% des femmes utilisaient le vélo comme moyen de transport. Si l’augmentation par rapport au début des années 2000 est à souligner (23% il y a 20 ans), on constate que l’utilisation du deux-roues reste très masculinisée. Pourquoi ?

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La pratique féminine du vélo est souvent perçue comme courageuse quand la pratique masculine est jugée banale.

Balade à vélo

©Pro Velo

L’idée qu’une femme puisse rouler seule ne réjouit pas bon nombre d’individus masculins. Si cette pratique paraît aux yeux de certains comme obscène, le vélo n’a pourtant pas de genre, ni de sexe. L’utilisation du vélo par le public féminin apparaît en premier lieu comme ayant un effet positif sur la santé. Mais des problématiques apparaissent aux yeux des femmes, lorsqu’il s’agit de penser au vélo pour se déplacer. Peur des véhicules et vulnérabilité face aux autres, tenue vestimentaire ou milieu urbain instable, sont dans la longue liste des freins à l’utilisation de ce moyen de transport écolo. Pour encourager la pratique du vélo chez les femmes, 4 grands défis sont à relever :

1. Exister en tant que femme à vélo dans le trafic motorisé

Pour contrer ce sentiment de vulnérabilité, les femmes doivent s’adapter sur les routes bruxelloises. Les enquêtes révèlent que l’insécurité et le danger face aux automobilistes existent bel et bien et qu’en conséquence, elles échappent volontairement à la proximité avec les voitures. C’est pourquoi des itinéraires et des stratégies différents apparaissent. Par exemple, éviter les affluences du centre-ville et utiliser des routes secondaires moins fréquentées s’inscrit comme une solution plus sécurisée. Les femmes préconisent également un relief plus propice à la pratique du vélo pour ne pas se mettre en danger comme rouler sur du plat, éviter les routes cabossées et les dénivelés.

2. Gérer des éventuels conflits avec les autres usagers de l’espace public

“Les enquêtes soulignent également à quel point l’agressivité et la conflictualité avec les autres usagers de la route affectent négativement leur expérience à vélo. En cas de conflit, les femmes ont peur que cela débouche sur des interpellations sexistes.” explique Thaïs Baugniet, chargée de communication pour l’ASBL Pro Vélo. Si l’entrée en piste est parfois un mauvais souvenir, c’est grâce au dialogue que les femmes gèrent des situations parfois compliquées. Le vélo apparaît alors comme un outil de protection. En cas de danger ou de conflit, le vélo permet de s’échapper d’une situation délicate. À pied ou en transport en commun, l’aspect du danger n’est pas le même si une femme reste seule face à autrui. Le vélo est à lui seul une barrière contre les usagers outrageux.

3. Le défi corporel du vélo

La question ne se pose pas forcément pour un homme de savoir la tenue qu’il pourra revêtir sur sa bicyclette. Quand on est une femme, l’apparence “féminine” est un vrai défi. Comment s’habiller pour aller au travail en robe sans être gênée dans sa pratique ? La transpiration peut-elle nuire à la féminité ? Toutes ces questions entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de prendre son vélo en tant que femme. L’adaptation est une nouvelle fois l’arme appréciée par ces rideuses pour contrer ces désagréments. Voici quelques tips pour rouler plus sereinement :

  • Tenue de rechange conseillée. Les femmes à vélo prévoient parfois une seconde tenue pour arriver au travail. Cela permet de se rafraîchir sans penser aux regards des autres.
  • Une garde robe adaptée au vélo est aussi une solution. Des baskets tendances pour être à l’aise, accompagnées d’un pantalon ample, confortable peut être le mariage parfait à la conduite de votre bicyclette.
  • L’équipement de son vélo facilite les trajets. Sacoches ou porte-bagages peuvent être une solution pour éviter d’avoir un sac à dos par exemple.

4. Le défi de l’accompagnement et du transport

Très souvent, les femmes profitent de leur bicyclette pour multiplier les tâches du quotidien. Vrai couteau suisse de la route, le vélo est utilisé pour faire les courses ou accompagner les enfants. Mais combiner différents types de trajets s’avère être une véritable épreuve. La présence d’un ou plusieurs enfants à vélo demande une énergie supplémentaire pour les femmes. L’intégrité physique des individus et l’insécurité permanente poussent à prendre des mesures. Certaines renoncent à cet effort dans le trafic bruxellois tandis que d’autres apprennent à trouver un certain équilibre. “On constate que malgré le stress et les difficultés, les femmes arrivent à affirmer leur place dans l’espace public. Que ce soit dans l’accompagnement ou dans l’utilisation du vélo comme porte-charges, elles trouvent des solutions et de nouveaux équipements. On ressent surtout cette notion chez les cyclistes expérimentées ” détaille Thaïs Baugniet.

les nouveaux équipements du vélo

Vélo cargo ©Pro Velo

Accompagner ses enfants en vélo

Le vélo comme porte-charges ©Pro Velo

 

 

 

 

 

Pédaler pour sensibiliser à l’écoféminisme

En Belgique, la campagne ” En sELLE ” a été lancée par l’ASBL Pro Vélo. Pour confronter ses peurs à la réalité et déconstruire les idées patriarcales, cette initiative encourage les femmes à la pratique du vélo. Elle les accompagne et leur propose des solutions dans leur utilisation de ce moyen de transport. Un premier pas vers l’émancipation et l’acceptation de soi dans l’espace public. Faire du vélo, c’est aussi éprouver un sentiment de liberté. C’est un moyen simple d’aller vite partout sans rouler vite. Il permet d’être flexible et visible.

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La bicyclette a fait plus pour l’émancipation des femmes que n’importe quelle chose au monde – Susan B. Anthony

 

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Pro Velo organise également plusieurs évènements pour inciter le public en général à découvrir le vélo et partager des expériences du quotidien. Des balades mais aussi des ateliers mécaniques pédagogiques pour les femmes sont prévus dans un agenda très exhaustif. Grâce au développement d’une communication digitale, le partage d’expérience bénéficie à toutes celles qui envisagent de se mettre en selle pour la première fois.

Peur de prendre son vélo et de rouler pour la première fois, l’idée de faire un petit tour à son rythme pour débuter est conseillée. N’hésitez pas à regarder un itinéraire à l’avance pour un trajet en particulier et éviter les carrefours très fréquentés. Le vélo permet de découvrir des endroits inaccessibles. La liberté de voyager tout en pédalant procure des sensations uniques. Prendre son temps pour garder le plaisir de rouler, voici une philosophie à adopter.

L’heure est à la vélorution

Concevoir le vélo comme simple exutoire s’apparente peut-être à masquer la dimension sociale qu’il peut jouer dans l’espace public. Faire du vélo n’est pas une action banale pour une femme. Comme le droit de vote ou l’avortement, se mettre en selle n’a pas été si simple pour les femmes quand on sait que cet acte est encore considéré comme un délit en Iran ou en Afghanistan. Mais le combat de certains collectifs et l’initiative de femmes inspirantes, démontrent la volonté de parité dans nos sociétés contemporaines.

  • Les Suffragettes, l’esprit culotté

Dans cette conception de la New Woman; une femme émancipée, éduquée, qui peut prendre des décisions sans l’aide de son mari, les Suffragettes ont joué un rôle majeur. Ce mouvement britannique du 19ème siècle a permis de défendre la cause féminine en menant des actions spectaculaires. À une époque où les femmes étaient vêtues de longues robes, coincées dans leur corset, la conduite était difficilement imaginable. Mais les bloomers, ces fameux pantalons bouffants, ont débarqué pour permettre une assise confortable et se déplacer en toute sécurité. Quand pédaler devient un droit à la mobilité, on imagine alors que les barrières morales tomberont pour laisser la femme s’épanouir dans son espace.

  • Shannon Galpin, à la conquête du voile roulant 

Cet espace, Shannon ne le pensait pas aussi compliqué à apprivoiser en arrivant en Afghanistan. Exploratrice et militante américaine, elle se rend en Afghanistan avec comme objectif de montrer une nouvelle vision de la femme. Le vélo, interdit à l’intérieur des frontières, devient rapidement un vecteur de justice sociale selon ses dires : “Ici, l’accès au vélo permet de faire tomber certaines barrières sur l’éducation des filles. Dans les espaces ruraux, les trajets et les distances se multiplient et laissent place à une insécurité grandissante. Le vélo permet de contrer les violences sexuelles et de s’affirmer en tant que fille et future femme”. En 2009, Shannon Galpin devient la première personne à pratiquer le vélo de montagne en Afghanistan. Elle fonde Mountain2Moutain pour soutenir le développement du cyclisme dans ce pays et entraine en 2013 la première équipe nationale afghane. Malgré les contestations politiques et les refus moraux entretenus pendant des siècles où l’homme affirmait sa surpuissance, la femme a bien sa place sur un vélo et dans la société. C’est exactement ce que la brigade de Los Angeles entretient depuis plusieurs années dans les quartiers chauds californiens.

  • Ovaire et contre tout

The Ovarian Psycos Bicycle Brigade“, c’est le nom que porte la brigade féminine de la côte ouest californienne. D’origine latino-américaine, ces femmes embarquent sur leur vélo à travers les rues pour dénoncer les actes qu’elles subissent. Agressions, violences sexistes, elles sont souvent livrées à elles-mêmes face à ces agissements. C’est pourquoi ces femmes racisées se réunissent autour d’un moyen de locomotion et tentent de communiquer un message fort : combattre le racisme. Grâce à leur signe distinctif – leurs doigts sous la ceinture forment avec le pouce et l’index une représentation des ovaires – elles pointent la vulnérabilité des femmes dans les rues où 4 cyclistes sur 5 sont des hommes. Avec leur courage et leur détermination, les Ovas comme on les surnomme, véhiculent pour les générations futures un engagement sans précédent. Elles sont la preuve que le vélo, utiliser comme symbole de lutte, peut réunir une communauté et faire face à la précarité et les menaces ambiantes.

 

Road to the Rising Sun

Outil d’émancipation, acte écoféministe, plaisir personnel et sentiment de liberté, le vélo possède de multiples facettes où les femmes se sentent unies. Chacune l’utilise à sa façon et adopte un comportement adapté à son quotidien. Localement ou à travers le monde, les expériences du public féminin sur un deux-roues sont enrichissantes pour toutes les générations. Manon Brulard en est l’exemple type. Activiste et engagée pour la cause des femmes dans la société, elle contribue à leur donner la parole dans l’espace public. La jeune bruxelloise et son compagnon se lancent, le 3 février 2019, dans une aventure humaine incroyable : rallier Tokyo à vélo au départ de Bruxelles.

Près d’un an d’efforts pour parcourir les 13 000 km qui séparent les 2 capitales et une traversée de l’Europe et de l’Asie pour les 2 cyclistes, qui arrivent au Japon le sourire aux lèvres. Mais derrière cette épreuve, se cache un message que Manon a voulu véhiculer tout au long de son périple : donner la parole aux femmes. Par l’intermédiaire de ce voyage, elle a mis en lumière des femmes cyclistes du monde entier. Autant de rencontres, qui permettent de se reconnaître, de s’affirmer et de s’imaginer sur un vélo sans que cela ne devienne anormal au regard de la société. Les interviews que Manon a effectuées témoignent du pouvoir de solidarité et de liberté que transmet le vélo. Toutes différentes selon leur culture, leur approche face à cet outil, les cyclistes retrouvent l’espoir d’un espace public où la femme est l’égal de l’homme.

L’écoféminisme : les femmes en première ligne

Aujourd’hui, le combat que mènent les femmes pour l’égalité n’est pas encore gagné. Les défaillances restent nombreuses dans l’espace public belge mais les prises de parole sont réelles. Seules ou en groupes, à pied ou à vélo, les volontés de changement sont possibles. Elisa Vandekerckhove, réalisatrice du documentaire “Les Nouvelles Guérillères“, dévoile les coulisses des collectifs féminins bruxellois. Après avoir travaillé pour le domaine culturel et des ONG à l’étranger en tant que vidéaste, elle s’est lancé un nouveau défi lors du premier confinement en mars 2020. Touchée par les questions sur la place de la femme dans la société, elle a donné la parole aux actrices du domaine public; celles qui luttent, réunissent, encouragent au quotidien. Grâce à cette émulation collective et une liberté sans frontières, Elisa nous plonge dans un décor saisissant.

 

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“Les Nouvelles Guérillères” sont peut-être le début ou la continuité, d’une idée où les femmes résistent face à une domination sans partage. Si le vélo a traversé les époques, il réunit d’Istanbul à Bruxelles, de Tokyo à Belgrade, des femmes de caractère au parcours unique. Malgré les difficultés, l’adaptation et la solidarité sont les maîtres mots pour exister sur les routes, dans les rues, de jour comme de nuit.

Le vélo apparaît comme un outil très développé où les femmes peuvent y glisser un message. Certaines l’utiliseront comme moyen de contestation et d’affirmation pour pointer un espace public inégalitaire. D’autres rouleront uniquement par plaisir et participeront directement ou non à l’écoféminisme. Une chose est sûre, chaque femme peut avoir accès au vélo. Moyen évident de déplacement écologique universel, l’avenir du féminisme et de la parité réside sans doute à travers les rayons de vos bicyclettes.

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