À quoi ressemble le workation ? Imaginez vous réveiller à quelques minutes d’une plage de sable fin à Haleiwa, à Hawaï. Dans cette cachette idéale, vous surfez sur les plus belles vagues du monde. Puis travaillez quelques heures en dégustant cette délicieuse salade de fruits aux ananas. À midi, vous visitez le marché artisanal de Waialua. Retour à votre ordinateur portable durant l’après-midi, avant de passer la soirée au Surfer the Bar pour découvrir la musique locale.
« Workation »
C’est le nom donné à ce mode de vie qui fait rêver. Fusion de « work » (travail), et « vacation » (vacances), ce concept désigne le fait de continuer à travailler tout en explorant de nouveaux horizons. Ce ne sont donc pas tout à fait des vacances puisque Slack reste allumé, mais pas tout à fait du travail non plus puisqu’il fait 28°C et que vous sirotez une virgin piña colada sur une plage de Santa Cruz. Le concept n’est pas nouveau. Le prestigieux « Wall Street Journal » s’interrogeait déjà sur le phénomène en 2015, dans un article intitulé « Pourquoi pas un workation cet été ? » et illustré par le dessin désuet d’un homme en costume cravate adossé à un palmier. Cette pratique de niche est cependant en train de faire un gros bond avec la généralisation du télétravail imposé en confinement.
Les nomades digitaux
Certains en ont même fait une véritable « way of life ». On les surnomme les « digital nomads » (nomades digitaux), des travailleurs ou entrepreneurs free-lance qui explorent les quatre coins du monde. Un mode de vie qui n’est pas à la portée de tout le monde. Plus facile de télétravailler depuis une terrasse ensoleillée à Lisbonne quand vous êtes développeur ou community manager que polici.er.ère ou infirmi.er.ère.
Pourtant, on estime qu’il y aura 1 milliard de nomades digitaux en 2035. En cause ? La hausse du nombre de free-lance, la rapidité et l’accessibilité de plus en plus grande d’internet, l’évolution des mentalités vers des choix de vie plus flexibles, mais aussi des transports plus simples et abordables qu’autrefois. Mais le travail en vacances n’est pas réservé qu’aux nomades qui décident de faire le tour du globe. Quelques jours, semaines ou mois de vacances sont aussi les durées privilégiées le temps de refaire le plein d’inspiration et de vitamines D. Des plateformes dédiées au « workation » ont même vu le jour, comme Outsite.
Des espaces de coworking à travers le monde
Outsite, c’est le concept génial lancé par un Belge, Emmanuel Guisset. Il a vu le jour en 2014 en Californie. Aujourd’hui, il s’exporte dans le monde entier : Costa Rica, Mexique, Portugal, Nicaragua, France… « On choisit des villes avec une bonne qualité de vie, pas trop chères et avec un climat agréable toute l’année », explique Emmanuel Guisset.
L’entrepreneur de 38 ans habitué du télétravail à l’étranger ne trouvait rien qui corresponde à ses attentes. « Je voulais créer un réseau d’espaces de coliving haut de gamme, mais accessibles où il est agréable de travailler (bon wifi, bureaux ergonomiques, espaces climatisés, salles de réunion, cafés à proximité…) et où on peut rencontrer des gens avec le même style de vie », explique-t-il. Car le networking constitue un point central dans la stratégie d’Outsite. Des événements sont organisés pour susciter les rencontres, des espaces de coworking sont mis à disposition et les télétravailleurs d’un même logement peuvent communiquer via un groupe WhatsApp.
Airbnb demeure également la plateforme privilégiée. Le célèbre site de location de logements a observé une hausse du nombre d’hôtes proposant des locations mensuelles, avec des réductions pour les voyages prolongés. Depuis le début de la pandémie, l’occurrence « workation » a triplé et l’usage du filtre « animaux admis » a augmenté de 90 % par rapport à la même période l’année précédente. De son côté, Club Med a mis à disposition des « work hubs» dans la plupart de ses villages de vacances. Ces espaces de travail calmes, aménagés et ultraconnectés permettent de continuer à travailler tout en profitant du all inclusive et d’une prise en charge des enfants. Des bateaux de coworking ont même vu le jour. Coboat propose d’embarquer jusqu’à douze voyageurs désireux detéléworker en pleine mer, de la Méditerranée aux îles caraïbes. Plusieurs pays tentent d’attirer ce nouveau public cible comme la Barbade qui a été l’un des premiers pays à proposer un visa de « travailleur nomade » pendant un an. D’autres pays lui ont emboîté le pas, comme Dubaï, l’Estonie, les Bermudes, Anguilla ou la Géorgie.
Bien-être et productivité
Oui, le workation s’invite partout. Mais pourquoi fait-il tant rêver ? « On observe d’abord une remise en cause des avantages du salariat. Dans un monde du travail de plus en plus précaire, certains songent à devenir indépendants », raconte Fabrice Dubesset, auteur de « Libre d’être digital nomad ». « La digitalisation de l’économie, de façon globale, facilite notre attrait de l’ailleurs. Mais la raison principale vient d’une quête de sens, d’une importance beaucoup plus forte donnée à l’épanouissement personnel aujourd’hui qu’il y a trente ans. » Digital nomade depuis une dizaine d’années, Fabrice décrit à quel point changer d’environnement a eu un impact sur son bien-être et sa productivité. Le dépaysement et le contact avec la nature permettent une prise de recul et dynamisent l’inventivité selon lui. Pour certains, c’est aussi un moyen de jouir d’un meilleur pouvoir d’achat et donc d’une meilleure qualité de vie, tout cela dans un cadre paradisiaque. C’est d’ailleurs la Thaïlande, Bali, Budapest ou le Portugal que l’on retrouve les plus cités parmi les destinations de choix.
Comment on s’organise ?
« Quand tu travailles à Bali, qu’une vague de surf est parfaite et qu’il y a une street food délicieuse au coin de la rue, difficile de rester concentré », raconte en riant Maxime Brousse (« Les Nouveaux nomades »). Ce journaliste indépendant rappelle l’importance de l’autodiscipline dans un tel contexte. « À l’inverse, j’ai rencontré un chef d’entreprise en Australie qui travaillait pendant 6 heures intensives le matin, l’après-midi il découvrait le pays. »
Selon lui, pour se lancer dans le workation, l’idéal est de tester d’abord une destination durant une courte durée. Des vacances en « staycation » permettent de prendre peu de risques. Quant aux destinations plus exotiques, Maxime explique qu’échanger ou sous-louer son logement peut être une solution pour voyager à moindre coût. Plusieurs plateformes existent pour se lancer dans l’aventure. Nomad List note chaque destination où télétravailler à partir de nombreux critères : coût, connexion internet, fun, sécurité... Des plateformes regroupent quant à elles tous les postes salariés et les missions free-lance en remote dans le monde : Remotive, We Work Remotely, Remote OK…
Vers une évolution des mentalités
Pour les salariés qui travaillent habituellement en présentiel, la tâche peut s’avérer plus ardue. Beaucoup de patrons restent réticents. En télétravail imposé, la tentation peut parfois être grande de partir quelques jours sans prévenir personne. Maître Alexandra Tymen, avocate en droit du travail, rappelle l’importance du devoir de respect et d’égards mutuels entre employeur et employé. De plus, « l’employeur doit pouvoir vérifier que le travail est fait et bien fait », explique-t-elle. « Or, partir à l’étranger sans prévenir pourrait soustraire à l’employeur ce pouvoir de contrôle. Théoriquement, cela pourrait justifier un licenciement pour motif grave. » L’autre risque ? « Un accident du travail sera plus difficile à démontrer si vous travailliez sur une plage à Ibiza », explique l’avocate qui tempère : « On a tous vu que le présentiel n’était pas indispensable. Il faut ouvrir ce débat avec les employeurs, leur montrer les avantages comme l’économie réalisée sur le coût des espaces et des bureaux. »
Plusieurs entreprises, surtout dans le secteur des nouvelles technologies digitales, sont en train de sauter le pas. Pour ne citer que lui, Jack Dorsey, le patron de Twitter, compte autoriser le télétravail à vie pour certains de ses salariés, même quand les mesures de confinement seront entièrement levées. « Le travail à distance va devenir une tactique de recrutement pour les entreprises », explique Emmanuel Guisset, « une façon de montrer qu’elles sont dans l’air du temps pour attirer les candidats talentueux. » Ce qui ne signifie pas que le travail à distance ou à l’étranger constitue la panacée, le remède à tous les maux du burn-out ou du stress au travail. Certains s’interrogent d’ailleurs sur le brouillage de frontière entre vie privée et vie professionnelle. Le workation ne se substitue pas aux vacances, les vraies, celles où le verre de rosé à midi ne se verra pas à la réunion Teams.
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