Sororité, combats et coups d’éclat. Le ELLE revient sur le destin de personnalités qui ont changé la face du monde… Qui était Soraya Esfandiari Bakhtiari ?
La princesse aux yeux tristes. C’est comme ça que la presse la surnomme. Et il y a de quoi avoir la larme à l’œil quand on vient d’être répudiée au prétexte de la raison d’État, un triste jour de printemps de 1958.
Les roses ne lui sont plus livrées chaque matin. Ces roses que son mari, Mohammad Reza Pahlavi – a.k.a. le dernier chah d’Iran – lui envoyait par brassée de 60 lors de leurs disputes. Il n’y a plus de disputes. Il n’y a pas d’enfant.
Et c’est là l’origine du bad : Soraya n’offre pas d’héritier au pays, malgré des années passées à se laisser examiner par des spécialistes du monde entier. Les potes – d’Aristote Onassis aux Dubonnets – ne s’inquiètent pas vraiment de la situation. Mais la famille de Reza grince des dents. Sa mère – la Malekech Mader – déteste celle qu’elle prend pour un démon. Sa sœur Ashraf ne pense pas mieux. Surnommée « La Panthère », la sista du chah file des coups de griffe à sa belle-sœur. Soraya se montre, partage, s’habille de robes confectionnées pour elle par les plus grands couturiers (les modèles « Schéhérazade » et « Soir d’Ispahan » de Dior, c’est pour elle). Mais Ashraf focus sur un constat : le ventre de Soraya ne s’arrondit pas. À l’été 54, elle plante la graine de la haine et partage cette règle de la Constitution iranienne : « Si, après cinq ans de mariage, la reine n’a pas eu d’héritier mâle, le mariage sera annulé. » Le mariage en question ayant été célébré le 12 février 1951, l’horloge biologique du pays tout entier commence à stresser.
Du mariage, on se souvient d’une fête modeste, par respect pour le peuple en train de crever de faim dans un pays menacé par les nationalistes. Un peu moins de 2.000 invité·e·s, une robe livrée par Christian Dior himself et brodée de 20.000 plumes et de 10.000 diamants, deux tonnes d’orchidées, de tulipes et d’œillets importés des Pays-Bas. Le chah avait demandé qu’en guise de cadeaux, des dons soient faits aux pauvres, ce qui n’avait pas empêché des gars comme Staline d’envoyer à la mariée une cape en zibeline brodée de diams noirs.
Le 12 février 1956, soit les cinq ans fatidiques après le « oui » des époux (et après bien des remous géopolitiques à gérer pour le couple), les méchants s’agitent : toujours zéro gamin à l’horizon.
L’intervention de sorciers, mages, ayatollah et autres bonimenteurs n’y fera rien : Soraya n’est pas une machine à produire des bébés héritiers pour satisfaire les exigences des gens.
Le chah, amoureux, mais coincé par ses fonctions, s’en remet au Coran et (s’)impose un dilemme : répudier son aimée ou introduire une seconde épouse féconde au palais.
« Non merci, ça va aller », a dû répondre Soraya. Car le 14 mars 1958, le communiqué officiel est envoyé : « Sa Majesté impériale Mohamed Reza Shah, sans considérer ses sentiments personnels et avec la plus grande tristesse, a décidé, au cours du Conseil de la couronne et en accord avec l’impératrice, de dissoudre son mariage dans l’intérêt supérieur du pays (un gros copier/coller d’un message envoyé par Buckingham à la presse anglaise pour annoncer la séparation de la princesse Margaret – la sœur cadette de la Reine Élisabeth II – et du major Townsend, quelques mois plus tôt). »
Soraya répudiée, Soraya humiliée, mais Soraya libérée. La princesse, née en 1932 à Ispahan, n’a alors que 26 ans. Il lui reste en mémoire une jeunesse passée entre la Suisse, l’Angleterre et l’Allemagne, des soirées passées à danser, à fumer des clopes, à bronzer en maillot. Silhouette de dingue, une bouche de rêve, des yeux verts à se damner et, dans les veines, le sang de seigneurs du Khouzistan.
Une beauté qui, huit ans avant sa répudiation, avait été présentée à celui qui allait lui offrir, en guise de bague de fiançailles, une babiole à 22 carats en diamant.
Du jour au lendemain, on considère qu’elle n’est plus rien. Elle dépose ses bijoux et sa couronne dans une banque suisse et file aux States pour prendre l’air. Elle voyage à bord du paquebot Constitution et assume l’exil la tête haute. Rome, Deauville, Saint-Trop, New York, les Bermudes, les Antilles, elle voyage, poursuivie par les photographes et par un chagrin que les kilomètres n’apaisent pas. Sa mère et son frère lui apportent de l’affection. Quatre mois après le choc du divorce, elle s’accorde une sortie au bal organisé en son honneur par un industriel allemand. Tandis que la presse la présente dansant au bras d’un baron du coin, le chah déclare : « Je suis toujours amoureux d’elle. » Il lui accorde une pension mensuelle de 7.000 $ et lui offre un appartement avenue Montaigne, à Paris. C’est là qu’elle finira sa vie, à l’âge de 69 ans, rejointe par son cher frère, Bijan, décédé juste avant l’enterrement de sa sœur.
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