« A woman in the music industry »… Le ton est donné sur Insta : on a ici affaire à une entrepreneuse. Et pas qu’un peu : en à peine cinq ans, Anissa Jalab est devenue LA manageuse, badass qui gère son biz et le rap game, comme personne. Qu’elle soit derrière la carrière de Damso ou celle des nouveaux princes du raï 2.0 (TiiwTiiw, Tawsen), la meuf transforme tout ce qu’elle touche en disques d’or et de diamant. Débrouillarde à jamais, jamais, jamais.
Comment devient-on manageuse de Damso ?
J’ai toujours été passionnée de musique… Et j’ai toujours su que je finirai là-dedans ! Quand j’avais 16 ans, je partais déjà à Paris avec mon sac à dos et ma caméra pour faire des interviews d’artistes que j’avais contactés sur MySpace. Et les portes s’ouvraient à chaque fois ! Lors de mes études supérieures, je me suis retrouvée à bosser pour une agence de booking, sur des concerts de la Sexion d’Assaut et de Booba… Je n’étais même pas payée ! Je voyais ça comme un stage d’apprentissage. Puis un jour, en 2015, je suis entrée en contact avec le boss d’une maison de disques, parce que j’étais persuadée qu’il se passait un truc en Belgique. C’est comme si j’avais une vision… Et là il me dit : « Vas-y, envoie-moi des propositions », et je lui envoie la première vidéo que Damso venait de mettre en ligne, « Comment faire un tube ? »… Il me rappelle quelques mois plus tard et me dit : « Anissa, Booba veut signer Damso, est-ce que tu veux bien t’en occuper ? » J’étais trop contente !
Et tu ne le connaissais pas ?
Non, je lui ai juste envoyé un message sur Facebook pour avoir son numéro, puis je l’ai appelé très tard pour lui annoncer la nouvelle… Il me dit qu’il est chaud, je lui envoie le contrat, et voilà ! J’avais tellement envie que la Belgique soit enfin reconnue pour ses talents, au lieu de toujours croire qu’il faut aller en France pour réussir. Ce complexe, ça m’a toujours frustrée, c’est mon côté nationaliste ! Et donc la signature se fait, et là je dis à Damso : « Maintenant, faut que tu te trouves un manager », et il me répond : « Je sens que c’est avec toi que je dois faire cette aventure »… Quand je l’ai rencontré, j’ai vraiment senti une connexion très forte, alors qu’on ne se connaissait pas du tout. C’est un mec très intrigant, qui dégage un truc inexplicable, une aura presque mystique. Mais je savais qu’il allait aller très loin. Je le sentais.
Et tu avais raison.
J’ai beaucoup d’intuition. Je me fais énormément confiance. C’est à la fois ma plus grande qualité et mon plus grand défaut. Quand je disais à l’époque à tout le monde qu’il allait remplir les salles, on me prenait pour une folle, puis quand il a commencé à cartonner on me parlait de chance… C’est pour ça qu’en 2018 j’ai pris sous mon aile un deuxième artiste, Tawsen, parce que j’avais besoin de me prouver que j’étais capable de faire percer quelqu’un d’autre… J’ai trop de fierté. « Comment ça c’est de la chance ?! » Je suis maman. J’ai sacrifié plein de moments de famille pour les accompagner, tellement j’étais déterminée. Tellement mon objectif était clair et que je voulais y arriver. C’est pour ça aussi que j’ai lancé mon label, « The Lab Production », un jeu de mots avec mon nom, et parce que je le vois comme un laboratoire : tu entres chez moi et tu ressors en star ! J’aimais bien cette image. Je fais vraiment du sur-mesure.
C’est quoi une bonne manageuse ?
Pour moi, le maître mot, c’est la bienveillance. Avec Damso, par exemple, on aurait pu faire un million de choses en plus (Damso a annoncé se retirer du game après la sortie de son dernier album « QALF », NDLR). On pétait tous les records, mais lui ne le sentait pas. Pour lui l’important c’était de faire les choses avec plaisir et avec passion. T’as des managers qui vont te presser comme un citron, mais moi ce que je fais, c’est vraiment de l’accompagnement. Quelles sont tes envies en tant qu’artiste ? Tes objectifs ? Parce que je suis celle qui a le recul. Selon moi, être une bonne manageuse, ce n’est pas un truc que tu apprends à l’école. C’est d’abord un tempérament. Un caractère. Tu es à la fois la psy de l’artiste, sa maman, sa grande soeur.
Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce métier ?
Ben c’est ma passion, la musique… Donc, honnêtement, je n’ai pas l’impression de travailler ! Même si c’est très fatigant, parce que tu n’as jamais de jour off : c’est du H24. Mais ce qui me plaît le plus, c’est qu’aucun jour ne se ressemble. Et vivre un tel succès, c’est impressionnant ! Ça me remplit. On a réussi à toucher le coeur des gens, à remplir Bercy, à remporter une Victoire de la Musique (l’album rap de l’année avec « Lithopédion » en 2019, NDLR)… C’est choquant ! Et je pense que Damso a fait beaucoup de bien à beaucoup de gens avec ses paroles.
Et beaucoup de mal à beaucoup de femmes aussi, non ? Un seul exemple : la lettre ouverte du Conseil des femmes francophones de Belgique lors de la polémique de l’hymne pour la Coupe du monde en 2018… Dans laquelle elles condamnaient les textes de Damso comme étant « remplis de dégoût, de mépris et de violence verbale envers les femmes »… Tu en penses quoi ?
Moi je vais te dire une seule chose, et je le pense sincèrement : personne ne m’a jamais autant respecté que Damso. Je n’ai même jamais vu un homme respecter autant la femme. Honnêtement. Bref, ici, on parle d’un cas parfait de liberté d’expression : ce mec explique simplement ce qu’il a vécu avec certaines femmes… Il a vécu ces situations-là : il ne les a pas inventées. Il est juste tombé sur des meufs qui lui ont fait des sales coups, il a vécu des relations qui l’ont marqué, et il en parle. Il raconte son histoire. Après son histoire est crue, qu’est-ce que tu en fais ? Tu édulcores le truc ? Pourquoi il n’y aurait que les femmes qui pourraient crier au scandale quand un homme se fout de leur gueule ? Pourquoi pas le contraire ? Tu ne trouveras jamais personne pour te dire que Damso est un connard qui se comporte mal. En particulier avec les femmes.
N’empêche que le milieu de la musique — sans même parler du rap — reste encore très patriarcal, non ?
Moi, je ne me suis jamais sentie comme une merde parce que j’étais une femme. D’autant que Damso est tellement respecté dans le game qu’automatiquement on te respecte en tant que manageuse… Mais c’est vrai que quand j’ai débarqué dans ce milieu-là, j’ai voulu effacer mon genre. Quand on me disait : « C’est fou tout ce que tu fais dans un milieu d’hommes », je le prenais très mal. Attendez les gars, parce que je suis une meuf, je ne suis pas censée être là ? Du coup, je ne voulais pas qu’on me remarque en tant que femme, qu’on mette en avant ma féminité : je voulais que mon travail seul soit pris en compte.
C’est quoi le plus dur dans ce métier ?
C’est quand même un milieu de requins ! Et moi je suis une vraie gentille, j’ai une personnalité très lumineuse… Bref, au début, il m’a fallu du temps pour comprendre que c’était pas les Bisounours. Mais en même temps ça m’a forgée. Parce que j’étais très jeune : j’avais 25 ans. J’ai pris dix ans d’âge en cinq ans. Ça m’a vraiment fait évoluer.
Et ta plus grande joie ?
Quand je réalise mes objectifs. Et avec Damso, il y a eu des moments de joie intense. Tout était tellement décuplé. À la sortie de « QALF », il était l’artiste le plus écouté au monde (avec plus de 14 millions de streams en une seule journée, NDLR) ! Personne n’a jamais accompli ça en Belgique, ni en France.
Vous avez sorti le champagne au moins ?
Nooon, il ne célèbre jamais rien ! Et c’était très frustrant pour moi, parce que j’ai besoin d’extérioriser… Et là on gagne des disques d’or, de diamant, et lui te dit : « Anissa, il faut rester concentrés. » C’est un philosophe le mec ! Idem quand on a fait Bercy : pour moi, c’était juste énorme, j’en savourais chaque instant, alors que pour lui c’était juste le résultat d’un travail acharné. C’était juste logique… Mais pour en revenir à la joie, moi je pars du principe qu’on attire ce qu’on est : plus tu es dans la joie, plus t’attires le positif. Et plus t’attires du positif, plus tu montes. Ça, c’est vraiment mon « mindset » : n’attirer que du positif !
Maroc arrive
De l’homme qui valait un milliard de vues sur YouTube (TiiwTiiw) au « Damso marocain » (ElGrandeToto), de l’étoile montante de l’urban pop (Manal) au nouveau daron du néo-raï (Tawsen), Anissa Jalab s’est fixé un nouvel objectif après le carton planétaire de « QALF » : « Développer l’industrie musicale au Maroc », rien que ça. « On a vraiment cassé les portes là-bas, y avait rien à part sur internet, alors que nous, les Arabes, on est des gros consommateurs de musique. » Tailler des « diamants bruts » pour en faire des stars, les « faire breaker » au-delà d’un marché très ciblé (en gros le Maghreb), bref décliner la Dems Touch à l’internationale, en mode habibi et compagnie : c’est la mission, la « vision », que mène notre manageuse en chef depuis la retraite dorée de son premier poulain. Vous savez ce qu’il vous reste à faire : « Aimer, liker et follower. »
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