On a toutes une veste ou une paire de chaussures qui fait ressortir notre facette la plus joyeuse. Certaines tenues nous donnent l’impression d’être sur un petit nuage. Est-ce la magie de la mode ou y a-t-il une explication scientifique ? Découvrez notre enquête sur le phénomène des happy clothes avec la psychologue Karen Pine et la créatrice Annelies Bruneel.
On se sent mieux dans une jolie tenue qui flatte notre silhouette. C’est la fashion sagesse – ou le bon sens – qui parle. Ces derniers mois, nous l’avons appris à nos dépens. C’était amusant pendant un temps de travailler à la maison en pyjama ou en jogging. Mais très vite, le négligé a commencé à affecter l’image que nous avions de nous-mêmes. Le « no-poo » et les vêtements informes se sont révélés déprimants. Au bout d’un moment, chaque jour en présentiel au boulot constituait un soulagement. Parce qu’avec les tenues de bureau, notre confiance en nous et notre espoir de jours meilleurs sont sortis du placard.
Le vêtement, ce superpouvoir
Le choix de nos vêtements peut déteindre sur notre humeur, en bien ou en mal. En fait, il nous arrive d’adopter un comportement en fonction de la tenue que nous portons. Si ça peut nous laisser perplexes, une foule d’études scientifiques le prouve. « Les vêtements ont un superpouvoir », affirme Karen Pine, professeure de psychologie du développement. « Ils sont capables de nous transformer. » Karen Pine a travaillé à l’université du Hertfordshire, en Angleterre, pendant des années et écrit un livre sur l’impact des vêtements sur notre psyché : « En 2012, Hajo Adam et Adam Galinsky ont mené une expérience intéressante. Ils ont demandé à deux groupes de personnes de porter la même blouse blanche. Au premier, les chercheurs/euses ont expliqué qu’il s’agissait d’une blouse de peintre ; au second, ils l’ont présentée comme une blouse de médecin. Résultat ? Les sujets portant la blouse dite de médecin ont obtenu de meilleurs résultats en matière d’attention et d’empathie. » Les chercheurs/euses ont baptisé ce processus « enclothed cognition », à savoir les effets engendrés par l’habillement sur le processus cognitif : les personnes qui portent un vêtement à forte valeur symbolique adoptent inconsciemment un certain nombre de caractéristiques associées à ce vêtement. Et Karen Pine de nuancer : « L’impact est subtil, mais significatif. Bien sûr, les sujets n’auraient pas été en mesure de pratiquer une opération à cœur ouvert du jour au lendemain, mais ils se sont comportés de manière serviable et ponctuelle, comme l’aurait fait un·e médecin. » Fascinée par les conclusions de Hajo Adam et Adam Galinsky, Karen Pine a mené ses propres recherches : « J’ai demandé à mes étudiant·e·s d’enfiler un T-shirt de Superman. Et force est de constater qu’ils ont spontanément évalué plus généreusement leur force physique que le groupe de référence. »
S’habiller pour s’impressionner
Il existe d’autres expériences fascinantes autour de l’enclothed cognition. Elles s’intéressent aux effets des vêtements sur la personne qui les porte. Ce qui intéresse Karen Pine, c’est l’interaction corps-esprit : dès que nous nous habillons, nous orientons notre mental vers un certain état d’esprit. Voyons le côté positif des choses : nous pouvons nous habiller pour nous impressionner ! En cette période d’émancipation et de body positivisme, c’est plus que jamais crucial. Dans le cadre d’une enquête internationale, Karen Pine a interrogé des femmes sur les motivations qui président au choix de leur tenue. Les trois réponses les plus souvent données sont : « Je veux me sentir plus sûre de moi » (73 %) ; « Je veux me sentir à l’aise dans un environnement formel » (52 %) ; et « Je veux exprimer ma personnalité » (40 %). Il semble qu’en 2021, nous nous adonnons enfin au jeu de la mode à des fins personnelles. Seule une minorité de femmes souhaitait « se démarquer des autres » (18 %) ou « qu’on les trouve sexy » (14 %) grâce à leur choix vestimentaire. Pour Karen Pine, il ne fait aucun doute que nous utilisons la mode pour gérer nos humeurs. Dans son livre, elle avoue douter que les stylistes prennent en compte l’impact psychologique de leurs vêtements au cours de leur processus créatif : « Si les créateurs/trices de mode s’efforçaient de concevoir des vêtements qui renforcent la confiance en soi, ce serait un séisme dont les retombées seraient hyperpositives. »
Tailleur-psychologue
C’est exactement ce que fait la créatrice Annelies Bruneel, dont l’atelier éponyme est situé à Forest. Elle se définit comme « tailleur slash penseur de vêtements », et se veut en marge du système : « Les chaînes de fast fashion et les créateurs/trices qui participent aux Fashion Weeks fonctionnent selon une logique économique. Une taille 38 doit correspondre à un tour de taille, de hanches et de poitrine bien défini. De cette manière, ils privilégient l’efficacité de la production, alors qu’aucune femme ne répond à ce modèle. En agissant de la sorte, ils envoient un message négatif. La désillusion se produit dans la cabine d’essayage, où la cliente déçue s’interroge : “Pourquoi ce pantalon ne me va pas ?” Moi j’ai envie de retourner la question : pourquoi ce pantalon est mal coupé ? Je ne veux pas jouer sur les mots, c’est de la psychologie élémentaire ! J’ai envie que mes créations valorisent la personne qui les porte. Votre corps et votre personnalité ont le droit d’être là : voilà, selon moi, le message que doivent transmettre les vêtements. » Après une formation en création de textiles et de costumes, Annelies Bruneel a travaillé dans une boutique de vêtements sur mesure, avant de lancer en 2016 l’Atelier Annelies Bruneel, où elle conçoit des tenues de bureau, de mariage, mais aussi des vêtements casual pour homme et femme. Sa motivation semble trouver sa source dans son enfance : « Avec mon mètre quatre-vingt-deux, je suis grande pour une femme. Quand j’étais enfant, mes pantalons étaient souvent trop courts. L’idée selon laquelle il faut souffrir pour être belle est horrible. Quand un vêtement serre, le corps vous envoie un signal que vous ne pouvez pas ignorer. Sinon, la mode s’apparente uniquement à un traumatisme. Les vêtements ne doivent jamais vous donner l’impression que quelque chose ne va pas chez vous. »
Jours phares et jours normaux
Annelies Bruneel et Karen Pine s’accordent à dire que les vêtements doivent donner confiance à celles et ceux qui les portent. Dans « Mind what you wear », la psychologue du développement décrit ce qu’elle considère comme des happy clothes : une robe bien coupée dans une belle matière, un bijou singulier, des imprimés joyeux ou un mélange ludique de styles, des vêtements à valeur émotionnelle, des tops et des pulls en soie ou en laine de qualité… La liste des vêtements qui peuvent améliorer notre humeur n’est pas exhaustive. « J’analyse les choses un peu plus en profondeur », affirme Annelies Bruneel, qui ne préconise pas que nous remplissions notre dressing de couleurs vives ou de pièces originales : « Ce que nous ressentons varie d’un jour à l’autre. Nous avons besoin de vêtements qui nous font nous sentir en sécurité et à l’aise, quelle que soit notre humeur. » Elle préfère donc parler de « garde-robe de soutien » plutôt que de « vêtements joyeux » : « J’ai une superbe robe à rayures rouges et blanches. C’est ma robe phare : quand je la porte, je suis sûre d’être complimentée. Mais pour moi, chaque jour n’est pas un jour phare. C’est pourquoi j’en ai une deuxième, dans la même coupe, mais un peu plus longue et en bleu, ma couleur préférée. Je la porte les jours normaux ou quand j’ai un coup de blues. » Annelies Bruneel déplore que certaines personnes semblent porter un déguisement : « On ne devrait jamais enfiler une tenue qui est diamétralement opposée à notre corps, notre personnalité ou notre humeur. »
Fashion thérapie
Selon Karen Pine, les recherches scientifiques actuelles montrent surtout que les vêtements viennent renforcer les sentiments existants : « Celles et ceux qui se sentent bien s’habillent de manière joyeuse et originale, reçoivent de bons retours et se sentent encore mieux. Celles et ceux qui sont mal dans leur peau négligent leur apparence. Il en résulte une image décevante dans le miroir et une estime de soi plus faible. » Pourtant, certaines études montrent que les vêtements peuvent aussi contrecarrer certaines émotions : l’anxiété chez les patient·e·s déprimé·e·s diminue lorsqu’ils/elles portent des vêtements qu’ils/elles aiment. Cela incite Karen Pine à l’optimisme : « Le lien entre le dressing et l’état d’esprit d’une personne est très fort, et je n’exclus pas qu’à l’avenir les médecins ou les thérapeutes prescrivent une tenue joyeuse au lieu d’une pilule magique pour lutter contre les idées noires. » Le vêtement comme remède psychologique miracle ? Annelies Bruneel préfère s’en tenir à son expérience : « Quand une femme me commande une tenue pour le bureau, je ne me contente pas de prendre ses mesures. Nous parlons honnêtement du contexte sur son lieu de travail. Veut-elle s’y fondre ou s’en écarter ? Quelle coupe la met en valeur et dans quelles matières se sent-elle bien ? Parfois, les client·e·s viennent me voir jusqu’à six fois avant que leur vêtement soit finalisé. Je ne chercherai jamais à imposer mon style. Ce qui est bon pour moi, c’est ce qui convient aux client·e·s. »
Le saviez-vous ?
- Les filles obtiennent de moins bons résultats au même test de mathématiques lorsqu’elles portent un bikini ou un maillot de bain au lieu de leur tenue scolaire normale. Pour ce qui est des garçons en maillot, aucun effet particulier n’a été constaté. La raison ? Dénudées, les filles ont à l’esprit l’idéal de beauté qui prévaut et la manière dont leur corps s’en écarte. Ces sentiments négatifs nuisent à leurs performances intellectuelles. (Étude menée par Barbara Fredrickson, 1998)
- Lorsque des étudiant·e·s traversent leur campus dans une tenue embarrassante — une jupe hawaïenne et un chapeau Tutti Frutti —, le temps et la distance qu’ils parcourent leur semblent plus longs que les étudiant·e·s qui ne sont pas déguisé·e·s. La honte altère notre jugement. (Étude menée par Emily Balcetis, 2007)
- Pour inciter une personne à devenir agressive, donnez-lui une cagoule ou un uniforme. Moins les cobayes se sentent reconnaissables, plus vite ils acceptent de suivre des ordres cruels. (Étude menée par Philip Zimbardo, 2004)
Envie d’en savoir plus ?
Lisez « Mind what you wear – the Psychology of Fashion » de Karen Pine sur Amazon Kindle.
Et rendez visite à Annelies Bruneel au concept store AÎME dans l’ancien magasin TASCHEN au Sablon à Bruxelles, rue Lebeau 16-18, du 19/09 jusqu’à fin 2021, du mardi au dimanche de 11 à 19h, et le lundi de 10h30 à 18h. Découvrez les créations de l’Atelier Annelies Bruneel et de MONA WIE aux côtés des œuvres d’artistes belges et européen·ne·s.
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