Avec deux expositions temporaires, une nouvelle collection permanente, des animations en tous genres et des promenades dans la ville, le ModeMuseum d’Anvers sera un spot incontournable dans les mois à venir. L’ambitieux programme de réouverture « Mode 2.021 — Mode/ Engagée » entend bien secouer toute la cité portuaire. Rencontre avec la directrice du musée, Kaat Debo.
En avril 2018, le MoMu fermait ses portes pour une rénovation complète qui allait durer plus de deux ans. C’est du moins ce qui était prévu. Mais c’était sans compter sur la crise du coronavirus qui a différé la réouverture d’une année supplémentaire. Les 4 et 5 septembre, on pourra enfin admirer la nouvelle collection avec des pièces d’archives en rotation, et visiter l’exposition « E/Motion. Mode en transition ». La deuxième exposition temporaire, « P.LACE.S – Regards entrelacés sur la dentelle d’Anvers », s’ouvrira à la fin du mois de septembre et reliera le musée à quatre autres sites dans la ville. Du jamais vu pour le MoMu, qui sort pour la première fois de ses murs.
Un MoMu flambant neuf, et vous cherchez déjà à vous délocaliser ?
Kaat Debo : « Temporairement (rires). L’exposition “P.LACE.S” met en lumière le rôle séculaire qu’a joué Anvers dans la production et le commerce de la dentelle. C’est pourquoi il nous a semblé logique d’impliquer plusieurs lieux historiques uniques. Les visiteurs·euses pourront ainsi se rendre au Musée Plantin-Moretus, dont les archives sur le commerce de la dentelle figurent parmi les plus anciennes au monde, ou au Maagdenhuis, un ancien orphelinat où les filles apprenaient la dentelle. Sur le site même du MoMu, nous présenterons comment des créateurs·trices contemporain·e·s comme Iris van Herpen et Azzedine Alaïa expérimentent l’impression 3D et la découpe laser. Nous souhaitons conserver cette approche par la suite ; la collaboration avec différent·e·s partenaires rend notre histoire intéressante, nous ne sommes pas seulement un musée pour fashionistas. La mode est un “signifiant visuel”, elle offre un regard sur notre société. L’opportunité de découvrir le MoMu dans toute la ville au cours des prochains mois devrait faciliter l’accès du musée à un public diversifié. »
Le nom de la campagne est « Mode/Engagée ». À quoi cette prise de conscience fait-elle référence ?
« Mode/Engagée » peut se comprendre de trois façons. C’est d’abord la prise de conscience du rôle prépondérant d’Anvers en tant que ville de la mode. Mais l’expo renvoie aussi à quelque chose de plus personnel. Il s’agit alors de votre sensibilité à la mode et de votre manière de vous habiller. Enfin, peut-être la signification la plus actuelle : la mode sous un angle nouveau en tant qu’industrie en mutation, tant en matière de digitalisation que de durabilité.
Pensez-vous que le secteur de la mode s’est bien adapté aux défilés virtuels ?
Oui, même si ça reste un challenge pour les créateurs·trices de présenter leurs collections de manière créative. Certain·e·s y par- viennent mieux que d’autres. Ont-ils le choix ? Pas vraiment. Ils doivent apprendre à gérer le changement ; s’ils ne le font pas, ils ne survivront pas. D’autre part, je pense que de nombreux·euses créateurs·trices ont découvert les avantages d’un défilé virtuel et qu’ils continueront à l’avenir d’emprunter cette voie hybride. Le MoMu fait de même. Depuis plusieurs années, nous nous sommes engagés à numériser notre collection. Au cours des récents travaux de rénovation, plus de mille pièces ont été rephotographiées pour le site web et les réseaux sociaux. De cette façon, la collection ne vit pas seulement pendant les expositions temporaires, mais demeure visible tout au long de l’année.
Dans une interview accordée à « De Tijd », le directeur du S.M.A.K., Philippe Van Cauteren, a déclaré que l’art ne vaut rien si on doit l’admirer en ligne. Partagez-vous son avis, et cette affirmation s’applique-t-elle également à la mode ?
Je comprends ce qu’il veut dire. L’émotion procurée par la confrontation physique avec une œuvre d’art disparaît en ligne. Mais je pense que c’est un peu radical de dire que le rapport virtuel à l’œuvre est dénué de toute valeur. Le titre de notre exposition d’ouverture, « E/Motion », est un jeu de mots entre émotion et motion. Nous avons posé les questions suivantes à des créateurs·trices et à des étudiant·e·s en mode : que signifie l’émotion dans la mode d’aujourd’hui ? Dans un monde de la mode strictement numérique, y a-t-il encore de la place pour une véritable émotion ? Nous ne trouverons pas de réponse toute faite du jour au lendemain, mais force est de constater que le défi a été relevé. Pensez à l’essor des vêtements numériques dans une optique de durabilité. Même Moschino s’y met. Je crois fermement en une complémentarité. Outre les progrès numériques, les contacts réels restent importants, dans tous les secteurs. Le MoMu reste un lieu de rencontre essentiel pour entamer un dialogue sur la culture de la mode. Mais les photos que nous diffusons en ligne encouragent et renforcent les visites physiques.
Les images de la campagne « Mode 2.021 » sont magnifiques, des oeuvres d’art en soi.
L’équipe était incroyable ! Après une distanciation sociale imposée pendant plus d’un an, la directrice de la création Isabella Burley (ancienne rédactrice en chef de « Dazed & Confused », NDLR) a voulu célébrer le pouvoir du toucher. Elle a demandé à six designers de choisir une source d’inspiration. Raf Simons a choisi un couple qui s’embrasse, Walter Van Beirendonck s’est tourné vers une poignée d’étudiant·e·s en mode qui dansent, Supriya Lele a pris une photo avec ses copines… Les images parlent d’elles- mêmes. Elles nous invitent à être ensemble, mais aussi à réfléchir sur nous-mêmes et à nous transformer. La make-up artist Inge Grognard a illustré cette thématique avec une touche poétique, au moyen de fleurs colorées qui semblent fondre sur la peau.
Avec cette campagne, le MoMu veut également consolider la position d’Anvers en tant que ville de la mode. Était-ce nécessaire ?
Pas spécialement. Mais peut-être qu’à l’international, on se borne encore trop souvent à chercher qui seront les prochains Six d’Anvers. Il n’y aura pas de successeurs, du moins pas à ce titre. En revanche, nous disposons d’une quantité incroyable de talents qui parviennent à se faire une place, même sans véritable formation en mode ou sans boutique physique. Anvers est plus que jamais un incubateur expérimental pour la mode. Et ça, il convient une fois de plus de le souligner. “
À LIRE AUSSI
Cartier inaugure l’exposition Panthère avec l’architecte belge JP Demeyer
Exposition Miss Dior: 12 femmes artistes mises à l’honneur
7 expos incontournables à voir absolument en Belgique en 2021