Elle est française, elle a 30 ans et tous les jours ce sont plus de 900.000 personnes qui lisent les messages d’amour qu’elle distille sur son compte Instagram @amours_solitaires.
Un succès tel qu’il donnera lieu à deux livres nommés sans grande surprise “Amours Solitaires” aux éditions Albin Michel. Un tome 1 voit le jour en 2018, puis un tome 2 l’année suivante. L’engouement autour de ses partages tantôt tendres tantôt cruels de messages amoureux se retrouve même mis en scène dans une série Arte. Aujourd’hui, elle dévoile son tout nouveau roman intitulé Le Secret : le bruit du silence dans lequel elle détricote les mécanismes du secret pour partir à la découverte de ses propres non-dits familiaux. Elle, c’est Morgane Ortin, et on a eu la chance de l’interviewer sur ce nouveau roman à son image : tendre et férocement sincère.
Comment on passe de l’amour au secret ?
Ca n’a pas été quelque chose de réfléchi au départ. Je fonctionne beaucoup à l’intuition. Je pense qu’au fur et à mesure qu’ « Amours Solitaires » a pris de l’ampleur, plein de sujets ont commencé à être abordés. Je me suis rendu compte que l’amour était un prétexte pour moi pour parler de l’intime. Et la recherche des secrets s’ancrait dans cette volonté d’exploration plus profonde. La première fois que j’ai lancé une boîte à secrets, j’ai pensé que ce serait un one shot sans me douter de la puissance des témoignages que je recevrais.
Si on regarde la genèse d’ “Amours Solitaires”, ce n’était que mes messages d’amour, et je n’aurais jamais imaginé une seule seconde que des gens que je ne connaissais pas voudraient me confier les trésors de leur intimité.
J’ai tout de suite senti le lien entre les deux. Ces messages d’amour, ils ont tous pour effet de créer un sentiment bien particulier. Ils permettent de se dire « Je ne suis pas le seul à ressentir ça, d’autres que moi le ressentent aussi ». C’est tellement intime que c’en est universel. Et je crois que ces secrets, c’était un peu pareil. C’est réaliser : « Ouf, je ne suis pas le ou la seul.e à ressentir cette douleur, à ressentir cette souffrance. ».
924k abonnés, c’est juste énorme. Comment tu expliques un tel engouement pour ta page ?
Je suis la première surprise ! Car si on regarde la genèse d’ “Amours Solitaires”, ce n’était que mes messages d’amour, et je n’aurais jamais imaginé une seule seconde que des gens que je ne connaissais pas voudraient me confier les trésors de leur intimité. Puis je pense qu’une confiance s’est nouée au fil du temps, l’anonymat aide beaucoup aussi. « Amours Solitaires » s’est toujours basé sur des clefs très simples qui sont l’empathie, la communication, la bienveillance, le respect. Je pense que cela a vraiment fidélisé certaines personnes très connectées avec ces valeurs humaines et dont l’époque actuelle manque peut-être parfois.
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Comment as-tu choisi les secrets dont tu parles dans ton livre ?
J’ai relu toutes les boîtes à secrets et j’ai isolé ceux qui me plaisaient, soit parce qu’ils me touchaient, soit parce que le thème revenait très souvent et qu’il permettait donc une analyse intéressante de notre société, soit parce que je les trouvais insolites ou que je sentais qu’il y avait des mécaniques du silence intéressantes derrière.
Comment s’est déroulée la rencontre avec les personnes qui te les ont partagés ?
Je suis simplement entrée en contact avec elles en leur disant : « Je sais que ça va te paraître très étrange mais j’aimerais discuter avec toi de ton secret ». Mon projet initial était d’aller chez ces personnes-là et de passer la journée avec elles, mais le premier confinement est arrivé et les visites physiques se sont transformées en appels téléphoniques. Au début, j’étais un peu déçue. Mais je me suis finalement dit que ça pouvait être une frontière rassurante pour ces personnes.
Le plus dur pour moi a été la révélation des secrets qui touchaient aux violences sexuelles. C’était très compliqué de ne pas être très en colère ou de ne pas avoir envie de fondre en larmes
La voix, c’était déjà beaucoup, et on a vécu des moments très forts. J’avais des centaines de personnes qui m’appelaient pour me raconter la chose la plus intime et secrète de leur existence. Les premières minutes sont d’ailleurs marrantes parce qu’on est là, on ne se connaît pas et je leur demande de me raconter leur secret et tous les détails qu’ils voudront me donner. J’étais très stressée, il faut être sensible et réagir avec empathie tout en posant des barrières. C’était de très beaux échanges humains.
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Comment rester neutre quand on se retrouve plongée à ce point dans l’affect ?
C’est une question qui m’a beaucoup hantée. Quand j’ai lancé les premiers entretiens, je disais à mon éditeur que je n’étais ni journaliste, ni psychologue, ni thérapeute et que je ne savais donc pas du tout où me positionner par rapport à tout ça. Il m’a juste dit : « peut-être qu’il ne faut pas trop l’intellectualiser. S’il y a déjà des milliers de personnes qui se confient à toi, c’est que ton rôle est déjà là et que ça ne nécessite pas de le complexifier”.
Les gens se confient facilement à moi dans la vie en général. Je me suis dit que c’était peut-être un trait chez moi qu’il ne fallait pas que je dénature. Le plus dur pour moi a été la révélation des secrets qui touchaient aux violences sexuelles. C’était très compliqué de ne pas être très en colère ou de ne pas avoir envie de fondre en larmes. Je ne pouvais pas perdre le contrôle parce que j’avais des personnes très dignes face à moi.
Quelle est la différence entre un secret et un mensonge ?
Il y a mensonge à partir du moment où l’on maquille la vérité, où on doit la manipuler ou la déformer. Un secret reste un secret quand il est simplement caché, qu’on a omis de le dire mais qu’on n’a pas eu besoin de le masquer. Mais secret et mensonge ne font que s’entrecroiser puisque, pour omettre certaines choses, on est forcément obligé de les travestir un petit peu. Donc le fil est très ténu. Puis il y a tout ce qui a trait au jardin secret. On ne peut pas considérer ça comme un mensonge, ce sont les parties les plus intimes qui n’appartiennent qu’à nous.
Je pense que la vérité est l’une des plus grandes responsabilités que l’on ait au cours de notre existence
Je me suis d’ailleurs imaginée une société où il n’y aurait aucun filtre, où tous nos secrets apparaîtraient au-dessus de nos têtes en temps réel. Ce serait juste une société complètement folle et infantile. Ce sont les enfants qui ne mettent pas de filtre sur leurs pensées. Il n’y aurait plus d’intimité puisque l’on partagerait tout avec tout le monde. Ca n’aurait plus aucun charme. Le secret et le mensonge sont nécessaires dans la société, même s’ils entraînent forcément des questionnements moraux. Ce qui va les distinguer, ce seront les stratégies mises en place. En gros, dis-moi quelle est ta stratégie et je te dirais si tu mens ou pas.
C’est une question que tu (te) poses souvent dans ton livre : faut-il tout savoir ?
Je pense que l’omniscience n’a pas que du bon et qu’il est nécessaire pour notre santé mentale de ne pas toujours tout savoir. Après, tout est une question d’équilibre. Il y a des familles où les secrets se transmettent sur des lignées entières, ce qui pousse des vieux schémas à se reproduire et à causer beaucoup de souffrance tant qu’ils ne seront pas mis à jour. Je pense que la vérité est l’une des plus grandes responsabilités que l’on ait au cours de notre existence. Qu’est-ce qu’on a envie de transmettre à sa famille, aux gens qu’on aime ? Qu’est-ce qu’on veut garder pour soi ? Toute notre vie est un jeu de silences et de paroles. Comment utiliser ce pouvoir-là qui peut potentiellement impacter des vies entières.
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Il y a quelque chose de générationnel dans le secret. Pourquoi a-t-on tant besoin de dénoncer, de connaître la vérité aujourd’hui ?
Je pense d’abord que nous sommes une génération qui nous intéressons beaucoup à la santé mentale et qui nous politisons très jeunes. Le croisement entre ces deux intérêts fait qu’on a envie de parler, de dire les choses. On a aussi vécu ce grand tournant fracassant qu’a été #metoo où on a compris le pouvoir que pouvaient avoir les paroles quand elles se multipliaient. J’ai d’ailleurs l’impression que ce mouvement impacte de plus en plus la parole dans d’autres sphères que celle des violences sexuelles.
Il y a des familles où les secrets se transmettent sur des lignées entières, ce qui pousse des vieux schémas à se reproduire et à causer beaucoup de souffrance tant qu’ils ne seront pas mises à jour.
Tous les messages que j’ai reçus sur Instagram suite à mon enquête me parlaient de ça : « Moi aussi je suis la seule dans ma famille à avoir envie de questionner mes grands-parents, de comprendre tout ça,… » J’ai l’impression que dans les générations précédentes, il y avait beaucoup plus de pudeur et une prise de conscience moins forte de tout ce que l’on peut transmettre à nos lignées, que ce soit des traumatismes ou des douleurs fantomales. Ca m’effraie un peu d’ailleurs, parce que je me dis que j’ai un gros travail à faire si je veux des enfants (rire).
Le livre est un long cheminement vers ton propre secret familial. Les femmes de ta famille ont été très réceptives dans ta quête. Ton père n’était pas encore prêt. Est-ce que notre rapport au secret est différent d’un sexe à l’autre ?
La question est très intéressante ! Je pense que les hommes ont un problème avec leur intériorité en général. Durant mon enquête, j’ai parlé avec énormément de femmes mais très peu d’hommes. Cela a été difficile de les rencontrer et qu’ils se confient. Je pense que les femmes sont davantage tournées vers leur vie intérieure et vers le fait d’aller mieux. J’en discutais avec ma psy qui me racontait à quel point elle avait peu d’hommes parmi ses patients et que lorsqu’elle en avait, ils avaient souvent envie que la thérapie aille très vite, ils n’avaient pas la patience d’aller à la recherche de leur histoire, de leur intériorité, de trouver leurs failles profondes.
Tu écris « le secret est une arme politique » en citant le mouvement #metoo. Quand on parle, encore faut-il être entendue et crue ?
Aujourd’hui, on pousse les femmes à libérer leur parole, mais elles parlent en fait ! Le problème c’est qu’on ne les écoute pas, et c’est encore une façon de faire peser la responsabilité sur leurs épaules. Elles font tout ce qu’elles ont en leur pouvoir pour rétablir une justice et se libérer, mais la parole doit être entendue. Plus généralement, il y a des des secrets que l’on avait pas spécialement envie de rendre secrets et qui le deviennent parce que l’on va se retrouver face à un mur.
Aujourd’hui, on pousse les femmes à libérer leur parole, mais elles parlent en fait ! Le problème c’est qu’on ne les écoute pas.
La parole va alors se transformer en secret car la première personne à qui l’on en parle ne la réceptionne pas, et ça peut impacter une vie entière. C’est aussi ce que je voulais montrer dans ce livre, que nous avons tous une responsabilité collective. Même si on ne cache pas de secret, il faut être attentif.ve à la façon dont on les réceptionne, que ce soit vis-à-vis de nos ami.e.s, de nos amours ou au sein de la société en général. Il faut que cette capacité d’écoute évolue en même temps que cette capacité à parler.
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Ton idée initiale était que le secret “avait le pouvoir de détruire par le mensonge et le non-dit”. Qu’est-ce que t’évoque le secret après ce livre ?
Maintenant je crois que le secret m’évoque une clef. J’ai l’impression que s’emparer du secret et se rendre compte des mécanismes du silence qui agissent à plein de niveaux différents, c’est un pas vers l’altérité en fait. On ne sait jamais ce que traversent les gens. Si je me penche à la fenêtre et que je regarde deux femmes marcher dans la rue, je ne sais pas ce qu’elles traversent et elles ne savent pas ce que je traverse non plus.
Me pencher sur les secrets des autres m’a fait réaliser qu’on est tous et toutes des putains de survivants. Le secret m’a donné une grande capacité de résilience et beaucoup d’espoir car je pense que beaucoup de secrets vont être révélés bientôt, que beaucoup ont déjà été dits et que beaucoup existent aussi pour protéger les autres. C’est à la fois une révolution, une douleur et une pudeur. C’est plein de choses à la fois et il y a cet autre aspect politique qui me fait dire que le secret est l’arme des oppresseurs et qu’il faut s’en emparer et crier plus fort qu’eux. Car c’est à ce moment là que toute révolution devient enfin possible.
Comment te sens-tu aujourd’hui ?
Maintenant je me sens bien. J’avais très peur cet été car j’ai fait lire le livre à ma famille et je savais que ce serait l’étape la plus difficile. J’entretiens un lien de pudeur énorme avec mes parents, beaucoup plus qu’avec des inconnus étrangement. Ma mère prend beaucoup de place dans le livre, je pense que c’est un livre pour ma mère au final. Mon père, il y avait plein de choses que je ne lui avais jamais dites et qu’il a apprises. Je leur ai envoyé mon texte en précisant qu’ils pouvaient le remodeler à leur guise. Je leur ai laissé un délai d’une semaine pour me répondre avant de mourir de stress (rire). Ca a donné des conversations incroyables avec chacun des membres cités dans ce livre et personne n’a rien voulu changer. Aujourd’hui, je me sens libérée et fière.
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