En 2014, les hashtags #paietonuterus et #paietongynéco faisaient des ravages sur les réseaux sociaux. Les femmes dénonçaient des traumatismes liés aux consultations gynécologiques, aux suivis de grossesse et aux accouchements. Depuis lors, les témoignages continuent d’affluer, mais les hôpitaux semblent avoir du mal à changer leurs pratiques. Pourquoi ? Quelles solutions proposer ? Vous allez le découvrir, la problématique est extrêmement délicate.

Des femmes à écouter, une médecine à réinventer

En Belgique, un enfant sur cinq naît par césarienne. En Wallonie, plus de 30 % des accouchements sont déclenchés, c’est le taux le plus élevé d’Europe. En Flandre, plus de 50 % des femmes subissent une épisiotomie. Ces chiffres sont ceux de la Plateforme pour une naissance respectée, un mouvement citoyen qui promeut l’empowerment des femmes au moment des grossesses, accouchements et post-partum. Depuis sa création en 2014, ce mouvement œuvre notamment pour une meilleure collecte des données pour les usagères. Ces chiffres ne sont donc pas officiels, mais donnent un premier aperçu du nombre d’actes médicaux qui peuvent être vécus par les femmes comme des violences gynécologiques et obstétricales (VGO). 

Quatre femmes, quatre récits

Isabelle est la maman de Gaspard qui a deux ans et demi. Son accouchement devait initialement être déclenché, mais Gaspard est finalement né par césarienne. Isabelle et son mari sont arrivés le jeudi à 20 h à l’hôpital et Gaspard a montré sa frimousse le samedi à 16 h 20. Le processus de l’accouchement a duré plus de 40 heures, bien qu’Isabelle n’ait pas été en travail durant tout ce temps. Son accouchement a été extrêmement éprouvant, les médecins ont tenté quatre techniques de provocation différentes avant de faire appel à la césarienne. Elle nous raconte l’épisode qui a été le plus difficile : « Le samedi, après deux techniques de déclenchement, les soignant·te·s en ont essayé une troisième, ils ont décidé de percer ma poche des eaux pour accélérer le travail. Mon col de l’utérus était à deux centimètres de dilatation. Trois soignantes essayaient de la percer et je n’avais pas été anesthésiée. Après quatre tentatives, je leur ai demandé d’arrêter, c’était insupportable. On m’a changé de salle et, à force de respiration, ma poche s’est percée naturellement. »

Avec le recul, Isabelle ne comprend pas pourquoi on ne lui a pas proposé de prendre la péridurale, un anesthésiant que l’on conseille habituellement pour ce genre d’opération. 

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« Ils ont essayé quatre fois de percer la poche des eaux sans anesthésie »

Stéphanie a accouché d’Ezra il y a neuf mois. L’accouchement s’est bien passé, mais, après environ un quart d’heure, la sage-femme a commencé à pousser sur son ventre. Stéphanie explique : « J’avais des déchirures vaginales, je perdais beaucoup de sang et les soignant·e·s ont dû me recoudre. Une fois rentrée chez moi, je ressentais une douleur au clitoris quand j’allais aux toilettes. Après six semaines, je suis retournée chez ma gynécologue et je lui ai parlé de mes douleurs. Elle m’a dit: “Allez voir votre médecin traitant, ce doit être une infection urinaire.” J’ai finalement été chez mon médecin généraliste et j’avais des lésions dans mon clitoris. » 

Stéphanie aurait souhaité avoir plus de considération et de sollicitude de la part de sa gynécologue pour une blessure qui, finalement, concernait son accouchement.

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« J’avais des lésions dans mon clitoris »

Camille est la maman d’Anouk et de Luca, qui ont respectivement deux ans et demi et neuf mois. À 24 ans, Camille a appris qu’elle souffrait d’un cancer du col de l’utérus. Dans ce cadre, elle a dû subir une conisation, soit une opération chirurgicale qui retire une portion du col utérin pour en analyser l’échantillon et ainsi découvrir l’ampleur des lésions. « Lorsque je suis arrivée à l’hôpital pour obtenir mes résultats, j’ai été reçue par l’assistante qui ne parlait pas français », rapporte Camille. « Elle me dit “on a analysé l’échantillon et c’est mauvais. La seule solution qui pourrait stopper le cancer, ce serait de retirer l’utérus”. Je savais que si on me le retirait, je ne pourrais plus avoir d’enfants. J’ai commencé à pleurer. L’assistante ne savait pas quoi faire et ne trouvait pas les bons mots pour me rassurer. Elle s’en est allée et j’ai dû attendre cinquante minutes avant que le médecin arrive. Seule. Il me dit : “Non, pas du tout, on ne retire pas l’utérus à ce stade à de très jeunes femmes. Ce que l’assistante a voulu dire, c’est qu’un jour, quand vous aurez eu des enfants, nous pourrions l’envisager.” J’étais traumatisée. Après cet épisode, j’ai continué ma vie avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, je croyais que je n’allais jamais pouvoir être enceinte. Finalement, Anouk et Luca sont arrivés sans aucun problème. » 

Camille se serait bien passée de l’ascenseur émotionnel qu’on lui a fait subir et qui a durablement entamé sa confiance envers le monde hospitalier. 

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« Elle m’a dit qu’il fallait retirer mon utérus »

Jill est la maman de Bella-June qui a onze ans, de James qui en a neuf et de Jude, qui en a six. Pour la mise au monde de son aînée, Jill avait 22 ans. « Le papa m’avait laissée, j’ai accouché avec ma maman à mes côtés », dit-elle. « Après l’accouchement, mon gynécologue m’a demandé s’il pouvait me faire une épisiotomie (une incision pratiquée dans le bas du vagin pour en augmenter l’ouverture et ainsi faciliter le passage du bébé) “pour mon copain”. Il rigolait et je ne comprenais pas. En fait, il voulait me dire “pour que je puisse encore avoir des rapports sexuels avec mon copain”. J’étais une jeune maman qui vivait seule. » 

Ce n’est qu’après avoir retrouvé ses esprits que Jill a pris conscience de la violence des propos du gynécologue.

Récemment, Jill a vécu une triste histoire, elle a perdu son bébé lors d’une fausse couche. Elle témoigne : « Mon corps n’a pas expulsé mon embryon naturellement. J’ai dû suivre un traitement médicamenteux qui n’a pas fonctionné. J’avais de grosses douleurs au niveau abdominal. J’ai plusieurs fois appelé le médecin pour comprendre ce qu’il m’arrivait, mais ne suis pas parvenue à l’avoir au téléphone avant une semaine. Finalement, on a dû m’opérer. Ce temps d’attente a été très difficile à vivre. » 

Jill n’a pas compris comment elle a pu rester aussi longtemps face à un tel désarroi sans réponse du monde médical.

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« Il m’a proposé une épisiotomie pour mon copain. Il rigolait »

Certes, Stéphanie, Isabelle, Jill et Camille ont conscience du fait que certains des actes médicaux qui ont été posés étaient pertinents. Elles auraient cependant voulu être mieux informées pour mieux appréhender la situation. 

Définir sans stigmatiser

Aujourd’hui, malgré les multiples dénonciations qui ont été faites, les violences gynécologiques ou obstétricales (VGO) ne disposent toujours pas de définition officielle en Belgique. Pourquoi ? Le débat est un véritable terrain miné. Les différents acteurs et actrices – militant·e·s des droits des femmes versus corps médical – ont du mal à s’accorder. Et c’est un euphémisme. 

L’exemple le plus frappant concerne l’épisiotomie, désignée comme l’une des VGO les plus courantes. 

Florence Guiot, présidente de la Plateforme pour une naissance respectée, la caractérise comme étant une cicatrice qui demande une longue rééducation pour certaines femmes et qui peut impacter les futurs rapports sexuels. « C’est une mutilation qui n’est pas systématiquement nécessaire. »

Le corps médical a une position totalement différente. Pierre Bernard, président du Collège royal des gynécologues obstétriciens de langue française de Belgique, ne considère pas l’épisiotomie comme une VGO. Selon lui, un accouchement naturel peut entraîner de graves lésions au périnée, lesquelles sont beaucoup plus « mutilantes » qu’une épisiotomie qui peut, au contraire, prévenir une déchirure plus importante.

Face à ces postures antagonistes, Michèle Warnimont, sage-femme, initiatrice et responsable du « Cocon » (un gîte de naissance qui fait partie de l’hôpital Érasme), modère le débat. Elle suggère d’éviter le discours manichéen. « L’épisiotomie peut être indiquée dans certaines situations, mais la littérature scientifique a aussi démontré que ce ne doit pas être un automatisme. Notre société a tendance à reprocher ce qui n’a pas été fait. Si une épisiotomie provoque une déchirure du quatrième degré, on dira que c’est la faute à pas de chance. Si l’on ne fait pas d’épisiotomie et qu’il y a une même déchirure du quatrième degré, on dira qu’il aurait fallu la faire. »

Informer sans effrayer

Le 22 août 2002, la Belgique adoptait la « loi relative aux droits du/de la patient·e », qui stipule notamment que « le/la patient·e a droit, de la part du/de la professionnel·le, à toutes les informations qui le concernent ».

L’information est l’une des principales revendications de la Plateforme pour une naissance respectée. Pour Florence Guiot, elle devrait être systématisée pour préparer à un accouchement. « Les femmes doivent prendre conscience du fait qu’une naissance ne doit pas forcément être accompagnée d’actes médicaux, qu’un accouchement physiologique est possible », nous dit-elle. 

Pierre Bernard adhère à cette idée. Il s’interroge néanmoins sur la manière de le faire et craint d’en arriver à effrayer la maman : « Beaucoup de patientes ne souhaitent pas nécessairement trop d’explications et nous ne voudrions pas être taxé·e·s d’alarmistes en leur expliquant à l’avance les possibilités de césariennes, de forceps ou d’épisiotomie. Nous devons nous adapter à chaque patiente pour informer et communiquer au mieux sans inquiéter. » 

Le facteur stress a, certes, une grande incidence sur la manière dont se déroule un accouchement. Michèle Warnimont abonde dans ce sens et en profite pour émettre des réserves sur les modalités pratiques liées au « consentement éclairé » tel que réalisé aux États-Unis : « Tous les risques liés à l’accouchement sont énumérés jusqu’à en arriver à la mort du bébé. » Un procédé qui n’est assurément pas idéal pour tranquilliser la future maman. 

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« Arrêtons de penser que pour accoucher, nous devons être couchées sur le dos, les pieds dans les étriers »  Florence Guiot

Consentir sans prendre de risque

Cette même loi de 2002 énonce également que « le/la patient·e a le droit de consentir librement à toute intervention du/de la praticien·ne professionnel·le moyennant une information préalable ».

Rappeler le droit des femmes à choisir les circonstances de leur accouchement dans l’intérêt des nouveau-nés, des mères et de leur partenaire est la première mission de la Plateforme pour une naissance respectée. Le corps médical devrait donner plus de libre arbitre aux futures mamans pendant leur accouchement. « Arrêtons de penser que pour accoucher, nous devons être couchées sur le dos, les pieds dans les étriers, à hurler de douleur », nous dit Florence Guiot. « Une femme peut le faire en étant couchée sur le côté, ce qui est parfois moins éprouvant. » 

Pierre Bernard, quant à lui, concède que le plus grand bénéfice de la campagne contre les VGO est celui d’avoir motivé l’ensemble des obstétricien·ne·s et accoucheurs/euses à mieux prendre le consentement de la maman. Selon lui, il reste néanmoins difficile, voire impossible, d’obtenir l’adhésion de la patiente quand le/la médecin est face à une urgence : « Si le monitoring nous montre tout à coup que le bébé présente des signes d’asphyxie, il est inapproprié de demander à la maman “est-ce que vous êtes d’accord qu’on mette un forceps ?” On n’a pas le temps. On va plutôt la prévenir :“Écoutez, votre bébé ne supporte plus bien les contractions, il sera mieux rapidement dehors.” »

Effectivement, les soignant·e·s peuvent se retrouver dans une position très inconfortable s’ils/elles pensent qu’il y a un enjeu potentiellement vital pour la mère et le bébé alors que celle-ci refuse les actes médicaux recommandés. « Si, par exemple, la patiente ne veut pas prendre d’antibiotiques et que son bébé fait une septicémie », explique Michèle Warnimont, « il arrive qu’ensuite les soignant·e·s soient accusé·e·s de ne pas avoir suffisamment bien informé des risques. » Cette « sage-femme » défend la thèse selon laquelle le système devrait plutôt s’interroger sur la manière de soutenir et former les soignant·e·s pour accompagner les patient·e·s, quand bien même ils/elles ne cautionnent pas leurs choix. « Il en va également de la santé du bébé qui, lui, ne peut pas donner son consentement éclairé », rappelle-t-elle.

Une problématique politique

Bien que loin d’être exhaustifs, ces sujets de discorde sont révélateurs de la sensibilité de la problématique et de la difficulté à mettre en place des solutions. La clé serait-elle de prendre un peu plus de hauteur ? C’est ce que propose Michèle Warnimont : « Je pense que l’hôpital est, de manière générale, maltraité par les pouvoirs publics. C’est un peu l’histoire des poupées russes, on en vient à soigner comme on est soigné·e. Quand on demande au/à la gynécologue de voir 25 patientes sur la journée, ou de faire plusieurs gardes de 24 heures dans la même semaine faute de ressources humaines, l’organisation des soins devient forcément maltraitante. » La violence est souvent un aveu d’impuissance.

Certes, au-delà de la bonne ou mauvaise volonté des médecins, c’est la structure qui semble déficiente. La Covid nous l’a encore rappelé, les soins de santé sont sous-financés, avec notamment pour répercussions, les VGO. 

Qu’en est-il des politicien·ne·s ? France Masaï, la présidente du groupe Ecolo au Sénat, s’est emparée du sujet. Elle a déposé une demande d’établissement d’un rapport d’information sur le droit à l’autodétermination corporelle et la lutte contre les violences obstétricales, qui fut votée le 23 avril dernier. Elle veut dresser un état des lieux de la situation et faire en sorte que la parole des femmes soit entendue. « J’aimerais qu’on écoute sur un pied d’égalité leurs témoignages et ceux des obstétricien·ne·s. » Les auditions ont commencé en octobre dernier. Politiquement, l’on peut donc dire que c’est le début de quelque chose.  

Cette polémique nous enseigne finalement que c’est le fait de croire et de comprendre les femmes victimes d’une forme de VGO qui est important. Il appartient à chacune de s’engager à donner plus de visibilité à cette problématique et, ainsi, à se réapproprier son corps pour jeter les bases d’un dialogue constructif avec le monde médical.