Trois ans après le raz-de-marée « Brol » et son million et demi d’exemplaires vendus, Angèle revient avec « Nonante-Cinq » et ses douze chansons qui parlent d’introspection et d’émancipation. Entre la jeune fille mâtine de 20 ans et la jeune femme indépendante et affranchie de 25 ans, de l’eau, beaucoup d’eau, a coulé sous les ponts et fait chavirer le cœur de tout un pays, le nôtre comme celui d’à côté.
Aujourd’hui, la Bruxelloise s’est dégagée de ses hantises et revient avec l’assurance de la star qu’elle est devenue, prête à chanter pour toutes celles et ceux qui veulent clamer leur liberté, conquérir la parole et se battre pour un monde meilleur et moins boomer. Qu’elle soit « role model » pour toute une génération ou simplement chanteuse à tubes qui gère son image comme personne, Angèle a déjà gagné ce qui s’avère être l’essentiel : rester elle-même malgré l’exposition universelle, la fame et les (double) diamants.
Angèle, sa voix est libre
Pourquoi as-tu décidé de commencer ton album par cette déclaration d’amour à Bruxelles ?
Parce que c’est ma ville et c’est le lieu où je me sens le mieux… Et puis, à Bruxelles, il y a mes proches, mes amis, et après la pandémie qui nous a tous éloignés les uns des autres, j’avais vraiment envie de revenir ici pour de bon. J’ai toujours habité ici, mais pendant trois-quatre ans, j’étais très souvent à Paris, puis en tournée… J’avais besoin à ce moment-là de quitter le cocon familial, de m’émanciper et de vivre de nouvelles histoires. J’avais 20 ans quoi ! Mais j’ai composé les chansons ici, chez mes parents.
C’est comme si tu bouclais la boucle en quelque sorte. Après t’être fait connaître par tes covers sur Insta, notamment celle de « Bruxelles » de Dick Annegarn…
C’est complètement ça. Et c’est aussi la première chanson que Damso a entendue de moi, celle qui lui a donné envie de m’inviter à faire ses premières parties en 2017. Donc oui, c’est sûr qu’il y a comme un retour aux sources, une boucle qui se ferme : je parlais déjà de Bruxelles dans « Brol » en disant qu’elle me manquait, et ici je la retrouve.
Et l’album s’intitule « Nonante-Cinq ». On reste dans le belgo-belge.
Oui c’est un petit kif que je me suis fait par rapport aux Français, mais il fait surtout référence à mon âge : j’ai fêté mes 25 ans pendant le confinement, et je me suis rendu compte que c’est vraiment un âge d’entre-deux… À 25 ans on n’est plus adolescent, mais on n’est pas non plus adulte. Et là je viens d’avoir 26 ans, juste avant la sortie de l’album : à travers ce titre il y a donc aussi l’idée de grandir, de vieillir… De faire le point aussi. Dans cet album, je parle finalement du roller coaster qu’est la vie, de la vie d’une jeune femme, avec ses hauts, ses bas, ses grandes chutes et ses montées, ses moments calmes et ses moments barrés.
Deuxième track : « LIBRE ». C’est quoi la liberté selon toi ?
Il y a un rapport avec le fait d’être heureux, tout simplement… C’est une chanson qui parle d’émancipation, du fait de fuir des relations ou des situations dans la vie qui peuvent s’avérer toxiques.
Est-ce que tu te sens parfois enchaînée au succès, à l’image que tu t’es construite, que les médias peuvent te renvoyer, à l’obligation de plaire, de vendre ?
C’est clair que le succès et la notoriété, ça peut te mettre la pression, et ça bouleverse ta vie et ton quotidien : il y a eu des moments où je me suis sentie coincée dans ce truc-là, et c’est sûr que ça m’arrivera encore… Mais c’est quelque chose avec lequel je dois dealer. Je dois apprendre à vivre avec.
« J’ai vite compris qu’il n’y avait pas de succès sans une part de violence » Angèle
Mais est-ce que tu es libre, en tant qu’artiste, de faire ce que tu veux ? De chanter les chansons que tu veux, de les présenter au public comme tu veux ?
Ben ça a toujours été mon but et c’est pour ça que quand j’ai commencé la musique j’ai monté mon propre label et ma boîte d’édition : pour être totalement indépendante, écrire les chansons que je voulais, faire les clips que je voulais et pouvoir dire ce que je voulais en interview… En fin de compte, je n’ai pas la pression de l’industrie musicale, juste celle des gens. De toute façon, dans la vie, personne n’est totalement libre, c’est bien ça le problème… Mais il faut s’en rapprocher le plus possible.
« Parce que tout peut changer si vite, donc PROFITE » (track 10)… Ça te fait peur que tout puisse basculer « pour un rien » ? Et c’est quoi ce « rien » ?
C’est une référence à la période dans laquelle on vit, qui est très anxiogène : quand tu vois que toutes nos certitudes peuvent être balayées par un virus, c’est bien la preuve que rien n’est jamais acquis… En fait, c’est sans doute la chanson la moins optimiste de l’album, malgré son titre ! C’est un peu second degré… Disons que tant que les choses se passent bien, il faut en profiter – c’est ça le message (rires) !
D’autant que quand on est surexposée comme toi, on peut supposer que la moindre saute d’humeur, le moindre commentaire de ta part, peut prendre des proportions énormes.
C’est sûr que je suis beaucoup plus prudente depuis que j’ai trois millions d’abonnés sur Instagram ! En même temps, je suis quelqu’un d’assez raisonnable : c’est très rare que j’agisse sous l’impulsion… Sinon j’aurais plus de mal avec tout ça. Parce que quand on est impulsif, on peut dire des choses dont on ne réalise pas l’impact… Bref, ça me cadre, de devoir réfléchir à ce que je dis.
« Dans cet album, je parle finalement du roller coaster qu’est la vie, de la vie d’une jeune femme avec ses hauts, ses bas, ses grandes chutes et ses montées, ses moments calmes et ses moments barrés » Angèle
Tu dis par exemple dans « TAXI » que tu ne peux pas t’« empêcher de raconter ta vie privée », et puis que tu t’« en veux ».
Mais c’est ça aussi, le choix d’être libre : c’est qu’en fait je me sens libre de raconter ce que je veux, avec les limites que moi je m’impose, que ce soit dans mes chansons ou dans le docu (sur Netflix, NDLR). J’ai toujours eu besoin d’écrire, parce que c’est comme ça que j’ai toujours expulsé mes émotions… Mais ça ne veut pas dire que parce que j’y mets mes tripes, les gens doivent aller chercher tout le reste quoi.
Si toi c’est l’écriture, la musique, le chant qui t’ont permis de t’émanciper, quels conseils tu donnerais à celles et ceux qui t’écoutent et qui se cherchent ? Tu es devenue un modèle pour beaucoup de jeunes.
Moi, j’ai vraiment confiance en eux. Parce que les ados de 2021 sont tellement ouverts, tellement déconstruits, et je trouve ça rassurant. Moi, quand j’ai commencé la musique, je portais un T-shirt féministe contre le patriarcat alors que j’étais tellement pas à l’aise avec le sujet, comme si j’avais peur de l’admettre, et j’ai travaillé là-dessus, ça a donné « Balance ton quoi »… Aujourd’hui, tous les ados sont féministes sans même que ce soit une question ! J’ai confiance en leur façon de voir l’avenir, et d’aborder les questions d’environnement, de consommation, de sexualité, de racisme… Toutes ces questions qui posent encore problème chez les plus âgés… Alors que les jeunes s’en emparent sans que ce soit compliqué.
C’est ça dont parle d’ailleurs « PENSÉES POSITIVES » ?
Oui, et du coup je n’ai pas l’impression d’avoir des conseils à leur donner, c’est presque parfois le contraire (rires) ! En tout cas, je crois que s’émanciper, ça demande du courage en fait. Ça demande aussi de se connaître, d’apprendre à se connecter à soi-même et à se dire « OK quels sont mes problèmes, mes charges mentales, qu’est-ce qui me fait du mal dans la vie... »
En tout cas, on a l’impression que tu as la volonté, avec ce deuxième album, de parler de sujets plus profonds : la mort et la perte dans « ON S’HABITUE », la rupture amoureuse dans « SOLO », le consentement dans « MOTS JUSTES », la solitude (du confinement) dans « PLUS DE SENS », les violences conjugales dans « TEMPÊTE »… On sent qu’il y a une évolution entre l’Angèle espiègle de 20 ans qui jouait avec son image sur les réseaux sociaux et l’Angèle de 25 ans (26 !) qui est bien plus introspective.
Tout à fait, c’est vrai. Et c’est aussi pour ça que la chanson « LIBRE » est placée aussi tôt dans l’album. Toujours cette question d’émancipation. Même si j’adore le second degré et jouer avec mon image, je crois que plus jeune j’avais peur de ne pas être au bon endroit… Parce que quand on est une femme et qu’on est féminine, on est moins prise au sérieux. J’avais peur de ça. Après le succès du premier album, je me suis dit que c’était le moment d’affirmer la féminité telle que je la vois, qui n’est en rien liée au fait d’être vulnérable. En fait, il s’agit juste de s’affirmer tout court. Peu importe dans quoi. Et le fait d’affirmer ce qu’on est, c’est prendre le pouvoir.
« S’émanciper demande du courage, en fait. Ça demande aussi de se connaître, d’apprendre à se connecter à soi-même » Angèle
En parlant de pouvoir, comment on gère le rapport aux autres quand on devient une star ? Les relations humaines sont-elles d’emblée biaisées ?
Y a plein de gens qui s’en foutent de la notoriété, et puis y en a plein que ça attire… Bref, ça m’ouvre plein de portes et ça m’en ferme d’autres. C’est clair qu’il y a des moments où c’est plus difficile pour moi de débarquer dans une soirée d’amis où je connais personne, parce que moi tout le monde me connaît ! Mais bon, je commence à m’y habituer, et jusqu’ici ça n’a jamais été étouffant. Et puis il faut aussi s’imaginer qu’avec mes parents c’était déjà comme ça, même si leur notoriété n’est pas du tout comparable avec celle que je vis. Bref, j’ai très vite compris qu’il valait mieux que je joue avec ça plutôt que d’essayer de m’en défaire.
Quels sont les « DÉMONS » dont tu parles dans la chanson du même titre ?
Il y a deux types de démons : les démons intérieurs, c’est-à-dire nos angoisses, nos peurs, nos cauchemars, nos crises… Et puis ceux qui viennent de l’extérieur : les méchants, les foufous de Twitter, les gens dans la rue… J’ai vite compris qu’il n’y avait pas de succès sans une part de violence, et dans cette chanson je parle de les « tuer » : c’est à moi seule de décider qu’ils ne m’atteindraient pas. Pendant longtemps, j’ai endossé le rôle de la fille gentille, parce que dans Angèle il y a « ange », et le succès a compliqué tout ça… Et puis j’ai pris exemple sur Damso (en feat. sur ce titre, NDLR), qui est un mec très posé qui a réussi à tuer ses démons en faisant ce qu’il aime.
Il y a quatre ans, quand tu partais pour la première fois en tournée pour faire ses premières parties, est-ce qu’il t’a donné des conseils ?
Pas vraiment parce que lui non plus ne comprenait pas trop ce qui lui tombait dessus ! C’était sa première tournée, et moi j’étais un peu comme une petite souris derrière mon piano et j’observais tout ça en me disant « Wow ! C’est dingue ! »… Cette tournée a été un moment formateur pour moi. Tous les soirs sur scène à devoir s’imposer devant un public pas conquis d’avance, c’était vraiment intense.
« J’ai toujours eu besoin d’écrire, parce que c’est comme ça que j’ai toujours expulsé mes émotions… » Angèle
Comment tu l’expliques, ton succès si fulgurant ? Parce que finalement, il est assez… inexplicable.
Mais complètement. Quand « Brol » est sorti on blaguait mon équipe et moi en nous disant « S’il fait disque d’or, on fait péter le champagne ! », et là c’est officiel j’en ai vendu un million en France, double disque de diamant ! Mais même si c’est du concret et que je peux t’expliquer ce qui s’est passé depuis sa sortie, même si désormais j’ai du recul… Je ne comprends toujours pas. Honnêtement.
Dans le docu, tu confies qu’aujourd’hui ton rêve c’est plus la quête personnelle que professionnelle…
C’est vrai. Après c’est facile à dire parce que j’ai eu la chance de vivre un succès incroyable, et même si en vivre un deuxième reste un rêve, je me dis que si ça n’arrive pas ce n’est pas ça le plus important… Parce que j’ai réalisé que le plus important c’est d’être bien entourée, de faire les bons choix de vie, d’habiter un endroit qu’on aime, d’avoir la chance d’avoir un lieu à soi, de se connaître au mieux, de connaître ses traumas… Pour moi c’est ça la quête de la vie. Ce n’est pas si évident et d’ailleurs ce n’est pas à la portée de tout le monde… Après, le succès, c’est un plus, mais il ne sera agréable que si au fond de moi je suis bien. Et je suis persuadée que plus on a des pensées positives et plus on sème le bien autour de soi, plus ça nous revient !
« Aujourd’hui, tous les ados sont féministes sans même que ce soit une question ! J’ai confiance en leur façon de voir l’avenir » Angèle
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