Quelles mesures contre les féminicides en Belgique ?

Mis à jour le 26 janvier 2022 par Camille Vernin
Quelles mesures contre les féminicides en Belgique ? © Unsplash / Davide Pietralunga

La Belgique s’apprête à recenser officiellement les féminicides en 2022. Une mesure qui s’inscrit dans le cadre du Plan national de lutte contre les violences de genre. On en parle beaucoup, mais qu’implique cette mesure ? 

Vingt deux. C’est le nombre de femmes tuées en 2021 en Belgique. Elles étaient 24 en 2020, 24 en 2019, 38 en 2018 et au moins 43 en 2017. Ces chiffres ne peuvent être affirmés avec certitude, puisque la Belgique ne possède aucune statistique officielle. Tout porte à croire qu’elles sont bien plus nombreuses que ça. En l’absence de recensement, c’est le blog Stop Féminicide – créé par un ensemble d’ASBL féministes – qui les comptabilise en épluchant la presse. L’objectif ? Faire pression sur les pouvoirs publics pour reconnaître ce crime de genre et agir pour le faire disparaître.

Féminicides : comment les définir ?

Un travail d’autant plus complexe que le terme « féminicide » a déjà du mal à être reconnu. La couverture médiatique qui a suivi le double assassinat de Nathalie Maillet (directrice de Spa-Francorchamps) et de Ann Lawrence Durviaux en est la preuve récente. L’utilisation du terme « crime passionnel » dans les médias de masse a non seulement relancé le débat sur la reconnaissance pénale du féminicide, mais a déclenché avec lui un vaste examen des valeurs que la société défend. 

En Belgique, un travail pour y voir plus clair a été enclenché, poussé par la pression des associations de lutte contre les violences faites aux femmes. Le Plan d’action national contre les violences de genre, qui doit être approuvé à l’automne et effectif à partir de 2022, prévoit de définir le féminicide. Une première étape basique, mais nécessaire selon Céline Caudron, coordinatrice de Vie Féminine. « C’est parce qu’on ne reconnaît pas le féminicide en tant que tel qu’il est impossible de le recenser. » Comment le définir alors ? C’est la sociologue Diana Russell qui s’y attaqua la première dans les années 90, le décrivant comme « le meurtre de femmes commis par des hommes parce que ce sont des femmes ». Un meurtre « motivé par la haine, le mépris, le plaisir ou le sentiment d’appropriation des femmes ». Une définition qui rejoint celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) : « Tout meurtre de filles ou de femmes au simple motif qu’elles sont des femmes. » La Convention d’Instanbul, qui a été ratifiée par la Belgique en 2016, prévoit un certain nombre d’obligations pour lutter contre les violences faites aux femmes. Parmi elles, le recensement des féminicides par l’État. En France, cela fait quinze ans que le gouvernement les comptabilise avec plus ou moins de précision. Le chiffre s’élève à près de 130 femmes chaque année.

On ne peut plus entendre qu’une femme a porté plainte cinq fois sans que cela ait attiré l’attention.

Comprendre les mécanismes en oeuvre

On comprend qu’au-delà des chiffres, l’acceptation du terme et son recensement ont une forte valeur symbolique. « L’intérêt est plus politique que juridique », explique Céline Caudron. « Cela permet de mettre un mot sur une réalité que personne ne voit, de dire que ces femmes ne sont pas tuées par hasard, mais dans un contexte de violences machistes toléré socialement. Cela permet ensuite de se pencher sur ce que l’on doit mettre en place en amont pour éviter ces meurtres. » « On sait que c’est un outil qui permet de mieux comprendre et donc de mieux lutter », renchérit Sarah Schlitz, secrétaire d’État à l’Égalité des genres. « La Belgique a plusieurs fois été rappelée à l’ordre. On possède trop peu de statistiques genrées. C’est un des griefs que le Grevio (comité d’expert·e·s qui surveille la mise en application de la Convention d’Istanbul par les États signataires, NDLR) souligne dans son dernier rapport de novembre 2020. »

Mieux comprendre les mécanismes en place pour éviter d’atteindre le point de non-retour, mais aussi pour mieux prévenir et éviter les récidives. « Comprendre au niveau politique, par exemple, que le féminicide apparaît souvent dans un contexte de divorce ou de séparation, lorsque l’homme se venge de la femme qui l’a abandonné », soulève Céline Caudron. Elle insiste sur le fait que le féminicide s’ancre dans un continuum de violences physiques et/ou psychologiques et n’apparaît pas comme ça. Il touche toutes les catégories sociales ou ethniques et tous les âges. « L’auteur de violences conjugales perd son “objet” et cette idée lui est insupportable », renchérit Dominique Deshayes, coordonnatrice des droits des femmes à Amnesty International. « On a d’ailleurs observé plus de violences pendant le confinement, mais un peu moins de féminicides, car la femme n’avait plus la possibilité de partir. »

Pour une meilleure prévention 

Une des actions prévues dans le Plan national va dans ce sens. Elle consiste à retracer complètement l’historique. « Ce qu’on souhaite, c’est que chaque féminicide soit inscrit en tant que tel dans les bases de données de la police et qu’un maximum d’infos sur les circonstances soient recueillies : est-ce qu’il y a eu un ou plusieurs dépôts de plainte, est-ce que la personne a été reconvoquée, est-ce qu’il s’agit d’un partenaire ou ex-partenaire… afin de comprendre comment on en est arrivé là », explique Sarah Schlitz. Autre mesure concrète, la prolongation et l’intensification du principe de la « revisite », mis en place pendant le confinement, alors que les violences s’étaient intensifiées et que les appels à la ligne d’écoute violences conjugales avaient doublé. Cette « revisite », adoptée depuis janvier 2021, est une obligation pour la police de reprendre contact avec les victimes de violences qui ont porté plainte par le passé. « Non seulement le sentiment d’impunité diminue chez l’auteur, mais on ne peut plus entendre qu’une femme a porté plainte cinq fois sans que cela ait attiré l’attention. »

La difficulté de porter plainte est d’ailleurs souvent pointée du doigt. « Rien que pour les viols en Belgique, par exemple. Sur cent viols par jour, on compte dix plaintes et une condamnation », résume Dominique Deshayes. Il faut du courage, explique-t-elle, sans parler des aspects financiers ou des enfants. Inutile de citer les femmes migrantes ou handicapées. Parfois, il s’agit de pervers narcissiques qui coupent leur conjointe de toute vie sociale. « Pour qu’elles portent plainte plus facilement, il faut qu’il y ait plus de condamnations. Ça ne veut pas dire la prison, mais que les violences soient reconnues. » Depuis juillet 2020, les magistrat·e·s doivent suivre une formation en matière de violences sexuelles et intrafamiliales, une mesure prise dans le cadre de la Convention d’Istanbul.

« Il faut des professionnel·le·s qui comprennent à quoi ils ont affaire. Le nouveau plan prévoit des formations de deux jours pour la police, c’est très bien, mais qu’est-ce qu’elles contiennent ? En tant qu’acteurs de terrain, nous n’avons jamais été consultés », s’étonne Céline Caudron. Elle pointe également du doigt l’absence de coordination entre les différents services (police, administrations communales, services sociaux…), mais aussi entre les différents niveaux de pouvoir. « En Belgique, il y a un plan national, un plan de la Fédération-Wallonie-Bruxelles, un plan bruxellois, un plan intrafrancophone, un plan flamand… », renchérit Dominique Deshayes. « Il faut absolument une loi-cadre avec une vision globale de la problématique, pour que l’on fasse intervenir tous les cabinets, et pas uniquement celui de l’Égalité des chances. »

On leur dit : feu vert, ce qu’il se passe derrière les murs de ta maison, ça ne nous regarde pas.

Une responsabilité collective

Le problème du manque de places et de personnel qualifié dans les centres d’accueil est également soulevé. Une mesure également prévue dans le Plan. Finalement, la meilleure prévention reste l’éducation, et ce, dès le plus jeune âge. « Il y a cette phrase qui dit : “Les hommes violents sont les enfants sains du patriarcat” », ironique Céline Caudron. « Ce sont des hommes qui vivent dans une société où on leur a appris à exercer leur pouvoir sur les femmes. Ils ne sont pas malades. » C’est le travail de Praxis en Belgique, une ASBL qui vise à responsabiliser en groupe les auteurs de violences conjugales et intrafamiliales. « Plus la réponse judiciaire est forte, plus la récidive est importante », constate Anne Jacob, directrice de Praxis. Ce qui questionne l’utilité de l’inscription du féminicide dans le Code pénal. D’autant que s’attaquer à son/sa conjoint/e est déjà considéré en droit pénal comme une circonstance aggravante. « Il est évidemment primordial d’obtenir justice, mais on observe 53 % de récidives après condamnation. Chez Praxis, elles descendent à 35 %, et grâce à la médiation pénale, à 25 % », explique-t-elle.

Finalement, individualiser l’acte de l’auteur semble vain. Interroger la responsabilité collective de la société, hommes et femmes compris, semble nécessaire. « Ils le font parce qu’on leur permet de le faire. On leur dit: “Feu vert, ce qu’il se passe derrière les murs de ta maison, ça ne nous regarde pas” », résume Céline Caudron. « Le recensement donne du crédit pour permettre de mener une politique cohérente. Mais ce n’est pas une fin en soi. On peut avoir tous les chiffres qu’on veut, si on n’adopte pas des mesures concrètes pour empêcher les féminicides, ça ne sert à rien. » Pour l’instant, la Belgique n’a ratifié que 20 % des obligations de la Convention d’Istanbul. Pour reprendre les termes de Sarah Schlitz : « Il y a encore du boulot... » 

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