Depuis le premier confinement, en mars 2020, les livres de développement personnel connaissent un succès croissant. L’idée d’un accès direct au bonheur grâce à ces lectures est prometteuse, mais attention tout de même à ne pas y mettre tous vos espoirs.

“Développement personnel”, “bien-être”, “ésotérisme”… Il suffit de se balader dans les rayons des librairies pour prendre conscience de la place grandissante occupée par ces livres pas comme les autres. Depuis plusieurs années maintenant, les 5 plus grands succès dans la catégorie dite du développement personnel sont constamment dans le top 20 des ventes des librairies. En s’y attardant d’un peu plus près, on se rend compte qu’en réalité, il existe une multitude de thématiques abordées. Certains livres se concentrent sur l’introspection personnelle, d’autres donnent plutôt des conseils pour mieux s’organiser au quotidien, vaincre son anxiété, réussir dans l’entrepreneuriat ou encore dans son couple. “Comment s’aimer soi-même“, “Méditer sans se prendre la tête“, “Cultivez l’énergie positive pour une vie heureuse“, “Couple, les clefs pour le réussir“, etc. Les livres sont colorés et attirent le regard, les titres sont accrocheurs et laissent à penser que la recette du bonheur nous sera dévoilée au fil des pages. Et on se met à rêver d’une vie meilleure …

Le développement personnel, c’est quoi ?

Avant même de parler des livres en la matière, à quoi fait-on référence quand on évoque le développement personnel ? On en parle beaucoup, mais finalement, difficile de limiter un terme si vaste à une définition exacte. Le développement personnel s’apparente à un large ensemble de pratiques dont le but principal est d’améliorer la connaissance que l’on a de soi. Apprendre à se connaitre, cela signifie apprendre tout un tas de choses : gérer ses émotions, prendre conscience de son potentiel, ou encore améliorer sa confiance en soi, la liste est longue et dépend surtout de tout un chacun. En d’autres termes le développement personnel nécessite un travail sur soi pour améliorer son bien-être, de manière générale. Il est dans l’action, dans la mise à profit de ses propres ressources pour arriver à un mieux, à un “soi” meilleur. Il part du principe que nous avons un pouvoir face à chaque situation. Et tout ça, le développement personnel le fait en s’appuyant à la fois sur des concepts de psychologie, mais aussi en faisant très souvent des références à la philosophie. Le pouvoir du moment présent d’Eckhart Tolle rejoint par exemple en beaucoup de points la philosophie bouddhiste.

Les 5 plus grands succès en développement personnel selon Filigranes

Si ces livres sont aussi nombreux, c’est surtout que l’intérêt qu’on leur porte augmente sans cesse ces dernières années. Aux librairies Filigranes, on distingue 3 catégories de livres de développement personnel: les romans “feel good”, les ouvrages plus philosophiques ou ésotériques comme ceux de Don Miguel Ruiz, et enfin les ouvrages moins spirituels et plus grand public. C’est cette dernière catégorie qui rencontre le plus grand succès. L’équipe du rayon “vie pratique” où sont proposés ces livres, constate d’autres évolutions récentes : “Il y a des thématiques plus porteuses que d’autres, selon les époques. Actuellement, ce qui plait pas mal ce sont les lectures qui donnent une marche à suivre détaillée pour atteindre le bonheur. Il y a aussi un réel engouement pour les livres qui parlent d’hypersensibilité ou ceux qui abordent les relations toxiques ou la manipulation. Mais le plus grand développement concerne tout ce qui tourne autour de l’ésotérisme, encore plus depuis le confinement. Les lecteurs ressentent le besoin de chercher le bonheur dans quelque chose de plus spirituel“. La situation sanitaire semble avoir clairement amplifié tout le phénomène.

La santé mentale, problématique davantage prise au sérieux

Il n’est pas à démontrer désormais qu’avec la pandémie et les nombreuses restrictions qu’elle a engendrées, il n’y a pas que la santé physique ou économique qui en a pris un coup. L’OMS annonçait en juillet 2021 que cette crise aurait des conséquences à long terme sur la santé mentale. Dans la majorité des cas, les personnes consultent en raison de troubles anxiodépressifs, et les jeunes semblent être les plus touchés. En Belgique, le nombre de consultations est tel que les psychologues ne peuvent plus répondre à la demande. Tous ces constats sont alarmants, mais ont au moins permis une avancée significative : la santé mentale est aujourd’hui beaucoup plus considérée et prise, enfin, au sérieux. C’est une problématique qui a toujours existé, avant le début de la crise sanitaire on estimait qu’1 personne sur 2 avait déjà souffert de troubles psychiques au cours de sa vie. Mais la pandémie a accentué l’intérêt qu’on lui porte. Il suffit d’une simple recherche sur Internet pour constater que le nombre d’articles qui en parlent depuis le début de la crise sanitaire a explosé.

 

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Pour faire face à un problème de santé mentale, et malgré l’existence de plusieurs experts et médecins dont les troubles mentaux sont la spécialité, de plus en plus de personnes se tournent vers une alternative qui semble moins engageante temporellement et financièrement : les livres de développement personnel. Pourtant, il est important d’avoir conscience que ces livres n’équivalent pas à un suivi psychologique. Même s’ils peuvent aider à se développer personnellement, consulter un professionnel de la santé mentale reste essentiel s’il y a une vraie souffrance. Un lecteur peu averti pourrait facilement penser que ces livres sont la solution à tous les problèmes psychiques, mais il n’en est rien. Jennifer Denis, psychothérapeute et docteure en psychologie à l’Université de Mons, insiste tout particulièrement sur cet avertissement à ne surtout pas négliger avant de se pencher sur ces lectures.

La psychothérapeute décrypte le succès des livres en développement personnel : “Il y a un engouement de plus en plus grand pour ces ouvrages dans la littérature francophone. Pourtant, si l’on regarde du côté anglophone, c’est une tendance qui a commencé bien plus tôt que chez nous“. Alors comment expliquer cette évolution plus récente côté francophone ? “Nous connaissons à notre époque beaucoup de mutations sociales et de difficultés. Ce contexte sociétal et parfois même plus personnel entraine naturellement des malaises, des problèmes relationnels voire de santé mentale. En plus de cela, la société met beaucoup de pression quant à la performance. Tout ce contexte fait que nous avons envie de vivre une vie réussie et d’être heureux. Les écrivains se tournent donc vers ce type d’écriture, et les lecteurs vers ce type de lecture“.

Les livres de développement personnel

© Florencia Viadana – Unsplash

Le rôle du confinement

C’est durant le premier confinement de mars 2020 que Lola, étudiante en communication multilingue de 24 ans, a lu pour la première fois un livre de développement personnel, Atomic habits. L’objectif du livre : donner les clés pour casser ses mauvaises habitudes et en adopter de meilleures au quotidien. “J’ai beaucoup aimé car ce sont des conseils à mettre en application facilement, dans la vie de tous les jours. Je les ai bien appliqués pendant le confinement, mais quand la vie a repris c’était plus compliqué“. Et c’est loin d’être la seule pour qui le confinement a été synonyme d’un intérêt grandissant pour ces lectures.

Charlène Guinoiseau est directrice éditoriale aux Éditions Jouvence, qui sont spécialisées dans les ouvrages bien-être. C’est notamment chez eux qu’ont été publiés les best-sellers de Don Miguel Ruiz, dont Les quatre accords toltèques, l’un des ouvrages les plus connus en matière de développement personnel. Elle explique que ces livres ont connu 2 booms : “Le développement personnel a connu une première expansion il y a une dizaine d’années, grâce à la démocratisation et la vulgarisation de la méditation. Auparavant associée à la spiritualité, elle a commencé à se placer au cœur du bien-être et un autre type de public s’est alors intéressé à ces ouvrages. La seconde démocratisation du développement personnel est, quant à elle, vraiment liée à la pandémie. Nous avons tous été confrontés à la mort de près ou de loin, des angoisses sont nées de cette crise, et certains ont souffert de la solitude. Il y a alors eu un élan vers soi. Beaucoup de personnes se sont posées des questions, étaient en quête de sens dans leur vie“. Il n’y a d’ailleurs pas que les lecteurs qui se sont multipliés depuis le premier confinement. Aux Éditions Jouvence, les auteurs aussi. “Nous avons reçu énormément de témoignages et de manuscrits après ce confinement, car beaucoup de personnes écrivaient. Mais nous en avons refusé énormément aussi“. Chez Filigranes, on confirme également une nette augmentation des parutions.

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Ces livres peuvent aider, mais pas n’importe qui, ni n’importe comment. Ils ne sont pas la panacée.

Les raisons de vouloir lire des livres de développement personnel sont aussi diverses que les thématiques abordées par ces livres : le lecteur voudra entre autres apprendre à méditer, à se faire des amis, à gérer ses émotions, à lâcher prise, ou à travailler sur ses croyances limitantes, par exemple. “Il y a tout un panel d’ouvrages qui renvoient à des dimensions de vie différentes, mais au fond le message véhiculé est toujours le même. Ils n’ont rien inventé, souvent ils reprennent des concepts issus de la psychologie, surtout positive, ou de la philosophie avec des mantras qui ont un effet perlocutoire assez fort. Ils appâtent le lecteur et donnent l’impression que tout est facile“, avertit Jennifer Denis, psychothérapeute. Et c’est là, qu’il y a un mais …

Mantra positif

© Victor – Unsplash

En tirer du positif sans en attendre l’impossible

Alors que peut-on réellement attendre des livres de développement personnel ? Tout dépend de ce que le lecteur en fera. Justine a 23 ans et en a déjà lu plusieurs. Certains l’ont aidée, d’autres pas. Dans une même lecture, certains conseils pouvaient être vraiment efficaces pour elle alors que d’autres pas du tout. Le tout est de savoir prendre le recul nécessaire par rapport à ces lectures. Elle explique: “Il y a des livres vraiment intéressants, mais d’autres où je n’avais pas le courage de mettre en place les conseils donnés. Ce sont des lectures qui demandent une réflexion donc tout dépend du temps que j’ai. Parfois, même si ça pouvait fonctionner pour d’autres, ça ne faisait pas sens pour moi, peut-être parce que ce n’était pas le bon moment. Par exemple, j’ai adoré Les 5 portes de l’intuition parce que ça faisait écho à ce que je cherchais et vivais à ce moment-là“. Jennifer Denis insiste aussi sur cette singularité. Une même lecture ne sera jamais vécue de la même façon par 2 personnes. “Ce sont des livres qui vont donner des pistes, des astuces, mais tout dépendra de la manière dont la personne va s’approprier ces conseils. Ils activent certaines prises de conscience, mais dans un second temps ce sera au lecteur de mobiliser ses capacités pour mettre en place ce travail introspectif sur lui-même“. La directrice éditoriale des Éditions Jouvence la rejoint sur ce point : “Un livre peut avoir un grand pouvoir pour aider les personnes et ouvrir des portes, mais ce n’est pas le livre qui va sauver le lecteur, il va simplement le mettre sur la voie. C’est le lecteur qui reste acteur“. Des avertissements sont parfois publiés dans les ouvrages pour insister sur cette notion de relativité, même si cela reste rare.

Les Éditions Jouvence veillent aussi à sélectionner des auteurs formés pour parler de développement personnel : “Nous avons une responsabilité envers nos lecteurs. Ils peuvent être vulnérables et il ne faut pas leur promettre n’importe quoi“. Chez Jouvence, la formation de l’auteur est vérifiée, mais ce n’est pas systématiquement ce seul critère qui décidera si l’ouvrage sera publié ou non. “Cela dépend de l’état d’esprit de l’auteur. Nous veillons à ce qu’il soit dans une démarche positive et bienveillante“. C’est donc une question de rencontre, bien plus qu’une question de formation.

Des risques de culpabilisation

Même si ces livres peuvent être bénéfiques, Jennifer Denis met tout de même en garde : “Ils peuvent donner l’impression que tout est facile. Mais rien dans la vie n’est facile, une mise au travail psychique est un processus qui demande du temps. Cela dépend à la fois de ce que l’on en fait et aussi du degré de mal-être“. Ce n’est pas parce qu’on se reconnait dans les difficultés évoquées que les conseils donnés fonctionneront naturellement sur nous. Une méthode ne s’applique pas à tous de la même façon.

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Si on arrivait à changer du jour au lendemain, les psychothérapeutes n’auraient plus de travail.

Penser que la théorie d’un livre s’applique facilement dans la pratique peut amener le lecteur à culpabiliser en cas “d’échec”. Ses croyances limitantes n’en seront que renforcées, et les pensées négatives de plus en plus abondantes. C’est un cercle vicieux, et les conséquences sur l’estime de soi peuvent être importantes. Pourtant, il est normal de ne pas changer du tout au tout après avoir lu de tels livres: “La question du changement est très complexe et ne va pas de soi, ça nécessite un travail approfondi. Si on arrivait à changer du jour au lendemain, les psychothérapeutes n’auraient plus de travail“. Même si un livre fait sens pour le lecteur, il y aura toujours un fossé entre ce qui est lu et la mise en pratique de ces conseils. Il est très important d’en être conscient.

Quelles précautions prendre par rapport aux livres de développement personnel ?

À l’heure où n’importe qui peut se déclarer “coach” du jour au lendemain, il est important de choisir des ouvrages qui soient un minimum validés scientifiquement et où l’auteur est reconnu par ses pairs. Garder un esprit critique par rapport à ce qu’on lit et ne pas tout appliquer à la lettre est aussi essentiel, selon Jennifer Denis. Au premier abord, certains livres semblent vendre du rêve et vulgarisent aussi à outrance certains concepts psychologiques, mais la recette toute faite du bonheur n’existe pas. Mieux vaut se tourner vers des ouvrages plus nuancés qui proposent des astuces réalistes.

Enfin, il est essentiel de toujours garder à l’esprit que l’expérience que l’on se fera d’un livre est tout à fait singulière. Il peut aider comme ne pas aider du tout. Jennifer Denis prévient: “Pour quelqu’un qui est dans une fragilité psychologique plus grande, la lecture de ces livres ne suffira pas pour son niveau de détresse. À partir du moment où il y a de la souffrance, c’est important de consulter un professionnel de la santé mentale. Les livres de développement personnel peuvent être un coup de pouce pour ceux qui sont en quête d’épanouissement personnel, mais ça ne règle pas tous les problèmes”. 

Alors, ces livres de développement personnel, bonne ou mauvaise idée ? La réponse est nuancée, tout comme l’effet que ces livres pourront avoir sur vous. Finalement, comme dans tous les domaines, il y a du bon et du mauvais. Certains auteurs valent réellement la peine d’être suivis, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut prendre pour argent comptant tout ce qui sera dit. Et il est primordial de garder cela à l’esprit pour aborder sainement ces lectures.

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