Inauguré il y a quelques mois à Bruxelles, le concept « Dans le Noir ? » (avec un point d’interrogation, parce qu’il cuisine nos certitudes) interpelle nos sens autour d’un dîner insolite et  gastronomique. Tester une nouvelle grille de perception ? C’était vite vu.

18h00 Généralement, en prévision d’un dîner, c’est l’heure où l’on considère un éventuel changement de tenue. Mais puisqu’on se prépare à passer la soirée dans une obscurité totale, on pense naïvement que ce sera des vacances que de ne pas avoir à se demander comment se pimper. Erreur de débutante. Du blanc ? Trop risqué quand on ne voit pas le chemin de la fourchette à la bouche. Les cheveux lâchés ? Autant ne pas se compliquer la logistique et risquer de les balayer dans l’assiette. Puisque l’expérience sera essentiellement intérieure, je m’habille en noir. Conceptuellement raccord, techniquement prudent. 

19h30 On arrive à l’hôtel Warwick Brussels, et un parcours fléché nous guide vers le restaurant. Puisqu’il ne sera pas possible d’écrire mes impressions pendant le dîner,
je prends déjà des notes mentales. Notamment à propos des quelques autres couples qui partageront l’expérience avec nous et qui ne le savent pas encore, mais qui deviendront peut-être potes quasi sans a priori visuels, à juste connecter avec ses voisin·e·s de table, des amitiés se lieront plus tard avec échange à la sortie de numéros de téléphone et de selfies. 

20h Dans l’immédiat, on dépose sacs, montres et smartphones au vestiaire, c’est le début d’une parenthèse de digital détox, qui va laisser place au dialogue sans coup d’œil aux notifs. Notre guide-serveur nous conduit, en file indienne et en passant par des sas où la lumière diminue progressivement, vers notre table dressée dans le noir complet. 

20h02 On s’assied à tâtons, les yeux grands ouverts de curiosité. On hésite, les ouvrir ? Les fermer ? L’ouvrir ? La fermer ? Car l’ouïe a immédiatement pris le relais.  Sans vouloir enfoncer une porte ouverte (au sens propre, si on essaye de se déplacer tout seul), les autres sens sont exacerbés. 

20h08 Les boissons sont déposées sur la table, mais on doit se servir. Je remplis mon verre d’eau sans renverser une goutte, puis je loupe ma bouche. 

20h11 Puisque pour la plupart des gens la vue est le sens prédominant, on a tendance à parler plus fort, d’autant qu’on a du mal à évaluer les distances. De temps à autre, on se touche la main, pour vérifier qu’on n’est pas trop loin. Si on se voyait, on saurait qu’on est à portée de chuchotage. 

20h14 Près de nous, un couple aborde le sujet belle-famille. Les voix se tendent, les oreilles aussi.

20h17 Le ballet du service des entrées commence. Les serveurs et serveuses, personnes non ou mal voyantes qui seront nos guides pour la soirée, sont aussi impliqués dans d’autres domaines. Parmi elles et eux, une chanteuse ayant participé à « The Voice » et « Xfactor », ou des sportifs de haut niveau, tous formés pour un nouveau métier et engagés par le restaurant. Wassime, qui gère notre table, est athlète dans l’équipe nationale belge de goalball. Il a participé aux Jeux paralympiques de Tokyo. Nous, on peine à piquer un champignon avec notre fourchette. D’ailleurs, dès le plat principal, on entend nos voisin·e·s de table renoncer : ils et elles finissent joyeusement leurs petits légumes avec les doigts.

20h39 Les plats sont savoureux, texturés à dessein. On cherche à reconnaître les goûts, les nuances croustillantes, on imagine les couleurs. On saura plus tard, en découvrant les photos de notre menu présentées à la sortie, qu’on s’est parfois trompé. Mais honnêtement, qui reconnaît une purée de vitelottes violette, quand on est déjà content d’avoir identifié les légumes en accompagnement ? Le chef prodigue les mêmes soins attentifs à la présentation que si on comptait les instagramer. Les assiettes sont léchées (au sens propre aussi, puisque personne ne nous voit). 

20h48 S’adresser à quelqu’un dont on ne voit pas les réactions, ça libère les confessions. Ça permet aussi de bayer aux corneilles et de lever les yeux au ciel. Enfin, une conversation franche.

21h00 On ne voit pas le temps passer.

21h12 On se concentre sur l’essentiel, sur les échanges. C’est l’occasion de parler des heures avec des ados qui ne vont pas vous snober pour TikTok, et qui partageront peut-être même quelques secrets, puisqu’ils ne verront pas votre réaction. Pareil pour les amoureux dans le noir, on peut dévoiler son jeu sans rougir.

21h26 L’expérience est ouverte aux enfants dès 6 ans et bientôt, il y en a un à la table d’à côté qui va être drôlement surpris d’avoir adoré des légumes qu’il aurait jugé trop bons pour être verts. 

21h37 Dans le noir, on se réapproprie les aliments différemment, mais le temps aussi. On évalue les minutes écoulées au dessert qui se profile avec sa palette de moelleux et de croquants.

21h51 Chacun semble s’être habitué à se débrouiller au toucher. Les langues se délient, les gestes à table sont précis. Mais on est très conscients que s’il fallait quitter sa chaise, ce serait une autre paire de manches. Les serveurs et serveuses en revanche sont très à l’aise, ils posent les plats au millimètre près, parfaitement à l’écoute de l’espace. Les organisateurs du concept soulignent qu’ici les rôles sont inversés, « le handicap est question de situation ».

22h03 Un dernier café ? On le prendra noir.

22h18 Wassime nous guide vers la sortie. On passe plusieurs étapes de retour à la lumière, des petites ampoules à l’ambiance tamisée. Je vérifie l’avant de mes vêtements : pas une goutte de sauce, pas une miette. C’est proprement miraculeux. J’ai connu des catastrophes de salade au vinaigre balsamique en pleine lumière, comme quoi être super attentif, ça crée un moment attachant sans détachant.

22h32 On découvre les photos de nos plats, on redécouvre le visage de nos voisin·e·s. Les ados ne rallument pas tout de suite leur téléphone, et on se retrouve étrangement silencieux, repus et sereins. Comme quoi, l’essentiel n’a pas toujours besoin des yeux. Sauf dans le bouillon. 

Infos pratiques

Infos et réservation : brussels.danslenoir.com

L’expérience “Dans le Noir” se prête évidemment aux team buildings – l’occasion de découvrir ses collègues sous un autre angle – et aux dîners surprises. Mais c’est aussi une super idée de bons cadeaux, plus d’infos ici !

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