Partout dans le monde, des femmes sont victimes de violences conjugales. Et celles-ci peuvent prendre de multiples formes : verbale, physique, psychologique, sexuelle, économique… En parler est le premier pas pour sortir de l’isolement.
La minisérie américaine « Maid » – sortie en octobre dernier sur Netflix – a brillamment porté à l’écran le fléau des violences conjugales, mettant en lumière l’emprise du conjoint et les difficultés pour s’en sortir. Une fiction qui fait malheureusement écho à la réalité. En Belgique, 1 femme sur 4 vit ou a vécu des violences conjugales (« Violence à l’égard des femmes : une enquête à l’échelle de l’UE », Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA), 2012.). Et la crise sanitaire a été marquée par une recrudescence de ce type de violences. Si les chiffres officiels de la police ne permettent pas de refléter la réalité – le nombre de dépôts de plaintes demeure faible –, on peut toutefois se fier aux données des lignes d’écoute.
Au cœur de la pandémie, en avril 2020, la ligne francophone Écoute violences conjugales (0800 30 030) et son pendant néerlandophone (le 1712) ont reçu 3 fois plus d’appels par rapport à la période précédant le confinement. Ce mois-là, la ligne francophone a comptabilisé 3.284 appels, soit une augmentation de 207 % par rapport au mois d’avril 2019. Face à cette inflation spectaculaire, une 3e ligne d’écoute a dû être mise en place en urgence et les effectifs ont été doublés. Les chiffres montrent que les appels ont été d’une part plus nombreux, mais que la nature des appels a aussi évolué.
Une prise de conscience généralisée
L’année 2020, marquée par 2 confinements successifs, a révélé un basculement en matière de violences domestiques. « Le confinement a eu un effet miroir sur notre société. Un peu comme à chaque retour du grand froid lorsqu’on pense soudain aux personnes sans abris qui dorment dans la rue. C’est à ce moment-là que les citoyen·ne·s ont pris conscience de la situation des victimes de violences conjugales », analyse Jean-Louis Simoens, coordinateur et responsable de la ligne d’écoute francophone. « Certaines victimes m’ont dit : “Vous avez été confiné·e·s comme nous le sommes depuis toujours” », ajoute-t-il.
Pourtant formés et habitués à faire face aux appels des victimes de violences conjugales, certains écoutants ont avoué ressentir une grande impuissance et de la frustration pendant cette période particulièrement compliquée. « 2020, c’est l’année la plus fatigante psychologiquement de toute ma carrière », « écouter les victimes durant le confinement c’est rejoindre leur impuissance ».
Pendant le confinement, les victimes étaient bien sûr beaucoup plus vulnérables, parce que doublement isolées, mais il y a eu aussi un élan de préoccupation et de solidarité important. « Au niveau de la ligne d’écoute, nous avons par exemple eu beaucoup d’appels de proches, de membres de famille, collègues, ami·e·s, qui ont téléphoné pour savoir ce qu’ils pouvaient faire par rapport à leur ami·e ou collègue qu’ils ne voyaient plus à cause du confinement. On s’est rendu compte qu’il existait une préoccupation même silencieuse. » Jean-Louis Simoens se souvient d’ailleurs de l’appel d’une dame préoccupée par l’absence de nouvelles de sa collègue qu’elle savait victime de violences dans son couple. « Je lui ai demandé si sa collègue lui avait confié cette problématique, si elle était une personne ressource pour elle, elle m’a répondu que ce n’était pas le cas, que ça se savait dans le service, mais qu’elle n’en parlait pas. » Lorsque ce contact visuel est rompu, l’inquiétude prend le dessus. « Le réseau est souvent protecteur pour les victimes, et l’absence de réseau rend plus vulnérable. »
Les premiers dévoilements
« Au fil de ma carrière, j’ai découvert la force et le sens que pouvait avoir une ligne d’écoute. Avant, je pensais que ça servait surtout à orienter les victimes vers les services adéquats. Mais la mission de la ligne d’écoute va bien au-delà de ça. » En effet, le cœur de sa mission est d’offrir aux appelant·e·s une écoute à la fois bienveillante et professionnelle. Elle permet de penser sa situation avec quelqu’un à l’autre bout du fil, de sortir de l’isolement et de la solitude. Sa force principale ? L’anonymat garanti aux appelant·e·s, ce qui les amène aux tout premiers dévoilements. « On a un nombre de victimes important qui nous disent “vous savez c’est la première fois que j’en parle, pourtant ça fait 15 ans que je suis avec lui, je n’en ai jamais parlé, même à ma meilleure amie/ma sœur/ma mère.” » Ce côté anonyme est précieux et permet de mettre en mots l’indicible.
Ouvert aux victimes qu’elles soient mineures ou majeures, mariées, en couple, séparées, tout comme aux proches et aux auteurs de violences conjugales, la ligne d’écoute accompagne chaque appelant·e dans un climat de confiance et de sécurité. Au-delà de l’écoute, elle a également une mission informative et permet de donner des conseils d’ordre pratique, psychologique ou social. L’orientation vers des services est également possible : maisons d’accueil, service d’assistance aux victimes, centres de santé mentale, etc. « Nos écoutants connaissent parfaitement le
réseau et disposent d’un outil-répertoire de 600 adresses en Wallonie et à Bruxelles pour pouvoir réorienter les appelant·e·s en fonction de leurs besoins », rappelle Jean-Louis Simoens.
Un numéro à connaître
En raison de son caractère essentiel, il est important, plus que jamais, de faire connaître au plus grand nombre l’existence de cette ligne d’écoute. C’est dans cette optique qu’a vu le jour la dernière campagne de sensibilisation pilotée par le cabinet de Nawal Ben Hamou, secrétaire d’État à la Région de Bruxelles-Capitale, chargée du Logement et de l’Égalité des chances, en collaboration avec les lignes d’Écoute violences conjugales et du 1712 et avec le soutien financier d’Equal.Brussels. Cette fois, pas de slogan-choc ou de statistiques révoltantes, mais une approche détournée qui permet de parler directement aux femmes sans que leur partenaire ne s’en rende compte. Pour cela, il a fallu user d’un subterfuge intelligent : imprimer le numéro de la ligne d’écoute sur un objet passe-partout, en l’occurrence une crème pour les mains à l’huile d’argan. Un produit cosmétique classique au premier coup d’œil, qui révèle sa véritable fonction si l’on prête davantage attention à la liste des ingrédients.
« Nous savons que si le compagnon trouve la carte d’une association, d’un psychologue ou d’un·e agent de police, la victime subira des violences supplémentaires. C’est pourquoi l’idée de la campagne est d’utiliser les codes de la publicité de cosmétiques féminins et ainsi diffuser notre message de manière discrète. Un échantillon ou un petit tube de crème peut être facilement glissé dans un sac à main sans attirer l’attention d’une tierce personne », explique Nawal Ben Hamou. L’objectif ? Inciter les victimes à téléphoner à la ligne d’écoute afin d’obtenir de l’aide et ne pas rester dans le silence.
« Trop peu de victimes entament une démarche, sortent du silence et parlent à quelqu’un. Une femme sur 3 victimes de violences conjugales n’a jamais entrepris la moindre démarche. Il me semblait primordial de renforcer les mécanismes qui renvoient les victimes vers les lignes d’écoute et d’assistance. En effet, le contexte de domination et d’hypercontrôle dans lequel elles vivent ne permet pas toujours de se renseigner sur les services d’aide et d’y avoir accès. »
En pratique, ce sont plus de 240.000 échantillons qui seront distribués via Di et Planet Parfum, et 30.000 tubes dans les pharmacies. Cette approche créative a le mérite de s’éloigner de ces visuels-chocs auxquels nous sommes habituellement confrontés lors des campagnes de sensibilisation et qui renvoient les victimes vers un très mauvais souvenir qu’elles ont pu vivre. On espère vivement que de bouche à oreille, et surtout de main en main, ce numéro essentiel sera transmis à toutes celles qui en ont besoin.
Victime de violences conjugales ? Parlez-en au 0800 30 030, accessible gratuitement et anonymement, 24h/24, 7 jours/7. ecouteviolencesconjugales.be
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