Chemsex. Peut-être que vous avez déjà rencontré ce terme. Peut-être l'avez-vous même déjà pratiqué. Contraction des mots anglais "chemical" et "sex", l'expression désigne l'utilisation de produits psychoactifs pendant et pour les relations sexuelles. Des produits qui peuvent être sniffés, avalés ou directement injectés en intraveineuse. La pratique n'est pas si récente, pourtant, elle explose désormais en Belgique. Pour comprendre l'ampleur du phénomène, nous avons rencontré le Dr Julien Talent, psychiatre et addictologue.
Qu’est-ce que le chemsex ?
Dr. Julien Talent : "En réalité, ça peut être deux choses. C'est d'abord avoir des rapports sexuels sous psychotropes, que ce soit des calmants, des somnifères ou de l'alcool. Mais on l'entend plus spécifiquement comme une pratique qui consiste à avoir des rapports sexuels sous amphétamine, cocaïnes, GHB… Elle concerne surtout les relations HSH (hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes). Et ça ne se limite pas seulement aux homosexuels, mais aussi aux bis et aux hétéros."
D’où vient ce phénomène ?
"Ça a démarré comme ça. D’abord aux États-Unis puis en Angleterre, jusque dans le Nord de la France et en région parisienne. Puis c'est arrivé en Belgique. Le chemsex s'est développé dans le milieu gay, toutes tranches d'âge confondues, où il y a une sexualité qui est peut-être un peu différente des milieux familiaux hétéronormés si on peut parler ainsi. Ce qui ne signifie pas qu'il se limite uniquement à cette communauté-là. Il arrive qu'un couple hétérosexuel de 40-50 ans vienne nous voir parce qu'il consomme des drogues en ayant des relations sexuelles ensemble."
Quels sont les effets recherchés ?
"Ça dépend vraiment des produits. Certains vont avoir les mêmes effets que l’alcool, en provoquant une sorte d’euphorie, de plaisir et de désinhibition qui vont aider certaines personnes à passer à l’acte au niveau sexuel. Il y a ensuite les amphétamines qui vont, eux, provoquer une augmentation du désir sexuel, une amplification des sensations corporelles et émotionnelles. Ils vont aussi permettre de rester éveillé, avec une augmentation de l’énergie, donc une stimulation psychique et physique qui vont permettre de tenir beaucoup plus longtemps."
Comment ça commence ?
"Ça a été très fortement banalisé et minimisé. Beaucoup font du chemsex sans le savoir. La pratique a ensuite été encouragée par la facilité de contacts engendrée par les réseaux sociaux. Des réseaux se forment, que ce soit dans le cadre d'un couple qui se rencontre, de sex parties, de groupes WhatsApp mais aussi d'applis de rencontre comme Grindr ou Scruff . C'est généralement là que vont se produire les premiers contacts avec le produit, soit par comprimé, soit par sniff soit par injection. Il y a d'ailleurs un terme pour cela, le "slam". On appelle ça "slamer". On se rencontre, on teste le produit et on tombe dedans, comme pour tout premier contact avec la drogue en fait.
Le problème avec le chemsex, c'est qu'il a été très fortement minimisé en matière de gravité potentielle. On parle pourtant d’injection en intraveineuse, c'est quand même costaud ! Il y a eu une sorte de banalisation de dire que "ce n’est pas de la drogue", parce que c'est pris dans un contexte très particulier. Pourtant, on récupère des gens qui deviennent tout à fait dépendants à certains produits et qui subissent des conséquences claires au niveau physique et psychique"
De quelles drogues parle-t-on ?
"Les "love drugs" sont principalement des amphétamines, mais il y a aussi une gamme de produits presque réservée à cet usage-là, qu'on appelle les nouveaux produits de synthèse. Ce sont tous les dérivés des drogues qu'on connait bien et qui ont été légèrement modifiées pour passer entre les mailles du filet au niveau légal. Il y a la 3MMC et la 4MMC notamment, de la famille des cathinones. Il y avait un vrai vide juridique sur ces drogues il y a quelques années, aujourd'hui c'est totalement interdit. Maintenant, on observe un gros retour à la consommation de méthamphétamines, autrement dit du crystal meth, et qu'on appelle d'ailleurs dans le jargon chemsex de la "Tina"."
Quels sont leurs effets pendant un rapport sexuel ?
"D'abord plus d'endurance. Ensuite, il y a une augmentation des sensations et des perceptions, c'est ce qu'on appelle l'effet entactogène. C'est agréable, et on a envie de rentrer en contact physique et intellectuel avec l'autre. Toutes les réponses du corps sont décuplées. Le Crystal meth fait ça de façon particulièrement intense, ce qui explique que beaucoup veuillent revivre ce voyage. Pour le moment, niveau dépendance, c’est ce qu’on voit de pire.
Certaines personnes prennent ces drogues parce qu'elles ont des problèmes d'ordre sexuel à la base, ou un problème d’inhibition qui finit par être aggravé avec les drogues d'ailleurs. D'autres n'ont pas de problème particulier, mais rencontrent le produit à un moment donné, qui répond à certaines attentent, et ils ne savent plus s'en séparer. Il faut ensuite un très long travail de détricotage pour récupérer une sexualité sereine."
Au-delà de la dépendance, quels sont les principaux dangers ?
"Ça va dépendre des produits. Un exemple qui arrive assez souvent concerne la 3M et la Tina, qui peuvent provoquer une psychose toxique. C’est-à-dire que, sous l’effet de la drogue ou de la déprivation de sommeil - car certains hommes consomment ça pendant 2-3 jours, boivent de l’alcool, tout en ayant des rapports - le cerveau dit stop et se retrouve pris de symptômes psychotiques (confusion, délire, sentiment de persécution, agitation).
Certains se retrouvent aux urgences psychiatriques. Ce qui ne signifie pas qu'ils développent une maladie psychiatrique, mais qu'ils ont une grave crise de décompensation avec des symptômes psychotiques. Au-delà de ces risques, il y a bien sûr les dangers liés aux contaminations au travers de relations sexuelles souvent non-protégées et parfois même dangereuses, car on est complètement désinhibé."
Est-ce que le phénomène est très présent en Belgique ?
"De plus en plus. Parce que c’est arrivé en Belgique il y a quelques années et que ça se passe comme ça pour la plupart des produits, à des vitesses différentes en fonction de ce qu'on consomme bien sûr. C'est d'abord consommé de manière récréative, puis on commence à développer des conséquences négatives, de la dépendance et on finit par consulter. Le phénomène est très récent. La première personne que j’ai vue avec une demande de soin spécifiquement pour le chemsex, c’était il y a 2-3 ans seulement.
Le confinement n’a pas du tout aidé. Vu que toutes les activités étaient limitées, ce genre de fêtes clandestines pour fuir et avoir du plaisir s’est fortement développé. Et il est important de dire que ça touche tous les milieux. On a des hommes tout à fait bien insérés, avec un boulot à haut poste, en couple et qui n’ont eu aucun problème de consommation dans le passé qui se mettent à consommer les week-ends. On voit de plus en plus de personnes qui se retrouvent assez rapidement dans un état de délabrement physique, psychique et familial. On peut le dire, on est en train de vivre quelque chose d’assez ravageur..."
Comment retrouver une sexualité normale après ?
"Il faut réussir à arrêter le produit. Mais dans le cas du chemsex, il faut aussi parvenir à faire le deuil du sexe sous produit. C’est un très long travail, qui ne se fait pas d’un seul coup. Parfois, il y a des rechutes. Ça dépend vraiment d’une situation à l’autre. Côté prise en charge, on va devoir prendre en compte la composante sexuelle en plus de l'aspect dépendance."
Où trouver de l’aide ?
Vous pouvez contacter l'ASBL Infor-Drogues qui informe, aide et conseille de façon anonyme.
Tél : 02 227.52.52
Email : courrier@infordrogues.be
Quand ? Du lundi au vendredi de 8h à 22h (excepté le jeudi de 9h30 à 13h) et le samedi, de 10h à 14h.
ExAequo est une association de prévention des maladies sexuelles chez les HSH. Ils organisent des consultations, des groupes de paroles, et fournissent toutes les infos qu'il faut.
Tél : 02 736 28 61
Email : info@exaequo.be
Quand ? Du lundi au vendredi de 9h30 à 12h30 et de 14h à 17h
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