Burn-out… Le mot revient partout. Des médias aux livres de développement personnel, des cabinets médicaux aux discussions entre amis.

Mais d’où vient ce syndrome d’épuisement professionnel qui ne dit pas toujours son nom ? Et que dit-il de la société dans laquelle nous vivons ? Finalement, comment reconnaître burn-out et mal-être ou dépression ? Pour répondre à toutes ces questions, nous avons rencontré la passionnante médecin et psychothérapeute, Anne-Françoise Meulemans, qui coordonne aussi e-mergence.online, un espace en ligne qui met en lien patients et thérapeutes.

Comment distinguer mal-être, dépression et burn-out ?

Anne-Françoise Meulemans : “Le mal-être peut désigner beaucoup de choses : une dépression, un état d’anxiété, un état de confusion… Dans « mal-être », on parle de souffrance, dans laquelle on peut retrouver la notion de burn-out. Concrètement, le burn-out, c’est une personne qui, un jour, comme un coup de tonnerre dans un ciel serein, n’est plus capable d’aller travailler normalement. La différence avec la dépression, c’est qu’en-dehors du travail, le patient va très bien. Mais il suffit d’un coup de téléphone ou de se rapprocher de son lieu de travail et c’est reparti.

Le plus difficile reste de l’intégrer et de l’accepter, car le certificat médical s’oppose à tout ce qui a poussé au burn-out : la culpabilité, le perfectionnisme, le besoin de plaire ou de correspondre à une certaine image au travail… Le fait d’arrêter de travailler met à mal ces valeurs-là. Le certificat est finalement très anxiogène.”

Pourquoi parle-t-on autant du burn-out aujourd’hui ?

“Car le burn-out a tendance à la fois à être sous-diagnostiqué et sur-diagnostiqué. Sous-diagnostiqué car beaucoup de gens qui souffrent de burn-out l’ignorent. On l’a vu avec le premier confinement. Pas mal de personnes qui étaient en état de burn-out sans vraiment le reconnaître se sont rendues compte de l’état de relâchement et de bien-être qui leur était soudain offert. Toutes ces personnes n’étaient pourtant pas dans une démarche de diagnostic ou de guérison auparavant. Il y a donc un sous-diagnostic car il n’y a pas forcément de plaintes, mais aussi pas forcément de reconnaissance du côté des médecins qui n’identifient pas les symptômes du burn-out.

Il y a aussi un sur-diagnostic car il est devenu aisé d’inscrire “burn-out” un peu pour tout et n’importe quoi. Certaines personnes en souffrent vraiment, mais pas mal d’autres sont aussi diagnostiquées alors qu’un mal-être beaucoup plus profond se cache derrière. On peut par exemple avoir affaire à un trouble de la personnalité borderline, soit des personnes qui ont un pied en dehors et en dedans de la réalité, avec de l’hypersensibilité, des variations d’humeur, un état d’anxiété difficile à gérer dans le quotidien et donc plus sujettes au burn-out. Cela peut aussi concerner les hauts potentiels, qui sont souvent des personnes très investies et donc beaucoup plus exposées.”

À quand remonte l’usage du terme “burn-out” ?

“Le burn-out concernait d’abord un épuisement professionnel dans le cadre précis du travail. Puis on l’a élargi en parlant du burn-out parental, amoureux, émotionnel… Ce sont plusieurs catégories qui ne sont pas spécialement validées scientifiquement, ce qui ne veut pas dire qu’elles n’existent pas.

La définition d’origine du burn-out professionnel remonte aux années 70. On s’est rendu compte qu’une tranche de la population – des bénévoles qui s’occupaient de toxicomanes – se donnaient à fond car ils étaient très altruistes, empathiques et investis. On s’est rendu compte que ces personnalités étaient comme une allumette qui s’enflamme et se consumme très rapidement. Car cet hyper-investissement avait comme résultante un épuisement émotionnel et physique, avec pour conséquence de moins grandes performances professionnelles et l’impression de devoir en faire trois fois plus pour un résultat moindre. Il conduisait même carrément à un syndrome de dépersonnalisation et à la sensation de se sentir brûlé de l’intérieur, d’où le terme “burn-out”.

Notre préoccupation grandissante autour du bien-être a-t-elle un impact ?

“Tout à fait. C’est un peu “le ver est dans le fruit”. A partir du moment où on parle du bien-être, on crée de la souffrance. C’est un peu le même effet que le Viagra. En parlant de plus en plus d’épanouissement sexuel à la radio ou à la télé, beaucoup ont commencé à se demander où ils en étaient dans leur sexualité. Ça a créé un formidable marché pour le Viagra.

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“De manière cynique, parler de bien être c’est forcément aborder le mal être ou le bien-être insatisfaisant.”

Quand on commence à parler de bien-être, les gens se questionnent : est-ce que je suis bien avec mon mari, mes enfants, avec moi-même et avec mes relations ? La définition du bonheur varie aussi en fonction de chaque société, elle n’est pas intemporelle. Elle est souvent un compromis entre ce que la société nous propose, nous impose et ce qu’elle nous vend. Aujourd’hui, on peut se permettre de parler de burn-out parce qu’il y a des congés de maladie. On n’en parlait pas à l’époque des mineurs alors que les conditions de travail étaient loin d’être meilleures. L’épuisement était bien présent mais la reconnaissance n’était pas la même, tout comme le niveau d’exigence. Mais de manière cynique, parler de bien-être c’est forcément parler de mal-être ou de bien-être insatisfaisant.”

Qu’est-ce que le burn-out dit de la place du travail dans notre société ?

“Le burn-out est le symptôme d’un dysfonctionnement sociétal. Il pose globalement la question de la place et du sens du travail à une époque où l’on se pose en parallèle de nombreuses questions existentielles autour de l’épanouissement personnel, du rôle parental, de la redéfinition des rôles dans le couple…

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“C’est parce que la société nous place dans cette situation de déficit chronique que les cabinets de consultation se remplissent.”

Si le burn-out est une nouvelle question qui apparaît dans les cabinets de consultation, c’est parce qu’on constate l’injonction contradictoire de travailler à la fois à plein temps, mais aussi d’être heureux, d’avoir une maison, une autonomie, des enfants qui s’épanouissent et d’être épanoui soi-même. Toutes ces injonctions de performances et d’exigences quasiment impossibles à réaliser nous poussent forcément vers un état d’épuisement. On ne peut pas remplir toutes les cases, c’est impossible. Et c’est parce que la société nous place dans cette situation de déficit chronique que les cabinets de consultation se remplissent. Il ne faut pas seulement y voir un problème individuel.”

Quelle est la solution ?

“Je pense qu’un certain niveau de décroissance permettra un certain niveau de croissance de bien-être. Le bien-être est devenu un objet de consommation, au travers de stages de développement personnel ou dans les vacances qu’on se permet souvent au prix d’années ou de mois d’épuisement. Je pense qu’il faut réintégrer la notion d’équilibre au sein du quotidien et pas seulement dans les moments de loisirs. Avant, il n’y avait pas de week-ends et de vacances, donc les gens tenaient grâce à une intégration du loisir et des moments de repos dans leur vie quotidienne. Aujourd’hui, il y a d’un côté les vacances et de l’autre le travail qu’il faut subir jusqu’aux vacances ou jusqu’au week-end. Les jours de la semaine qui s’étalent du lundi au vendredi se retrouvent vidées de leur substance en termes de qualité de vie.

Je pense qu’on peut avoir une réflexion individuelle, en conseillant aux gens de faire moins ceci ou moins cela, mais c’est bien souvent impossible car ils ont complètement la tête dans le guidon. Ces conseils font vendre des bouquins mais ça ne fait pas vraiment avancer les choses. Il faut aller un cran plus loin et avoir une vraie réflexion sociologique : “Qu’est-ce que je choisis moi et quelles sont les injonctions que j’ai intégrées et avec lesquelles je suis en décalage ?”. La question est très simple mais la réponse très complexe. Parce que nous sommes des êtres sociaux qui avons tellement intégré certaines attentes qu’il devient difficile de distinguer ce que l’on choisit et ce que l’on subit. Le rôle de psy est de faire ce relai entre l’intimité de la consultation et la société plus globale, pour ne pas seulement faire le focus sur la personne en souffrance mais comprendre ce qu’elle nous dit de la société.”

Les médecins sont-ils aptes à déceler les burn-out ?

“Les soignants et notamment les médecins généralistes sont souvent dans un tel épuisement que cela devient presque une fable de leur demander de dire aux patients de prendre soin d’eux. Donc soit ils ne le disent pas car ils ont tellement intégré ce modèle qu’ils sont incapables de reconnaître un burn-out, étant parfois plus accablés que les patients eux-mêmes. Soit ils vont le dire, mais ce seront des paroles désincarnées puisqu’eux-mêmes n’auront pas résolu le problème. La première solution est donc de bien soigner les soignants, afin d’avoir des êtres bien constitués en face de nous et permettre une écoute intime de la souffrance.

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“Quand on voit des gens qui travaillent énormément pour s’offrir des vacances sublimes au prix d’un quotidien horrible, il y a de quoi s’interroger.”

Ensuite, est-ce que la question du soignant est de faire de bons petits soldats ? Je n’ai aucun jugement là-dessus, mais la question mérite d’être posée. Quand on soigne quelqu’un en burn-out, est-ce qu’on le soigne de façon à ce qu’il puisse retourner dans son entreprise ? Quelles sont les valeurs dont le soignant est porteur ? Je pense que c’est quelque chose qui doit être abordé en consultation aussi.”

Sommes-nous tous égaux face au burn-out ?

“Je pense que ça dépend d’abord de notre rapport au travail. Mais même si l’on fait un job qu’on adore, cela ne veut pas dire qu’on ne puisse pas finir épuisé à force d’y consacrer tout son temps. Travailler 10 à 12h par jour, c’est beaucoup trop long, tout le monde à besoin de passer à la pompe à essence de temps en temps. À côté, certains sont moins tolérants ou plus paresseux. Mais c’est surtout la place que l’on donne au travail dans sa vie qui est déterminant. Est-ce que je travaille pour m’épanouir ? Ou est-ce que je travaille pour gagner assez d’argent, et je place mon épanouissement dans du bénévolat par exemple ?

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“Quand quelqu’un se demande s’il ne frise pas le burn-out, c’est qu’il est bien souvent déjà dedans.”

Il y a ensuite la question fondamentale de “quels sont mes besoins financiers de base ?”. Quand on voit des gens qui travaillent énormément pour s’offrir des vacances sublimes au prix d’un quotidien horrible, il y a de quoi s’interroger. Une démarche intéressante consiste à se demander ce dont on a besoin, ce qui nous fait du bien et comment être heureux dans la société actuelle. Et c’est évolutif, ce n’est pas une image fixée pour toute la vie. Après, beaucoup se demandent : “Comment ça se fait que beaucoup y arrivent et pas moi ? Mais ils ne savent pas comment vont les autres. Ceux qui ne consultent pas ne sont pas ceux qui vont le mieux.”

Est-ce que tout le monde peut y passer ?

“C’est au bout d’une vie qu’on peut dire qu’on n’y est pas passé (rire). Certaines personnes vivent leur vie en burn-out sans en prendre conscience. Ils marchent longuement dans le vide puis regardent soudain en dessous d’eux et tombent, comme dans une BD de Tex Avery. Ils ne savent soudain plus aller au travail le lundi matin. D’ailleurs, quand quelqu’un se demande s’il ne frise pas le burn-out, c’est qu’il est bien souvent déjà dedans.

Mais cette notion de burn-out est absolument relative et est vécue de manière différente. De plus, notre capacité d’adaptation sera aussi plus ou moins grande en fonction des périodes de notre vie. N’oublions pas que nous sommes tous perclus de troubles psychiatriques plus ou moins forts. Derrière le burn-out se cache aussi tout un tas des fragilités et de problématiques qui n’ont malheureusement pas trouvé leur droit de citer. Finalement, le “burn-out” est un mot qui passe bien et qui est bien accepté pour le moment dans notre société. Il peut toucher tout le monde, mais plus on en parle, plus on est dans la prévention.”

Comment être sûr de distinguer les signes avant-coureurs du burn-out ?

“Un lundi qui devient de plus en plus difficile, des troubles du sommeil, un état d’épuisement et d’irritabilité, des symptômes de distraction, des problèmes de mémoire et de structuration, une moins grande efficacité au travail… On fait des heures en plus car on est moins efficace et c’est le serpent qui se mord la queue.

Souvent, l’entourage va le voir. On souffre de dépassement social et cela va avoir un impact sur ses relations avec les autres, que ce soit au travail dans la vie privée. On aura un “caractère de cochon” comme on dit. Il y a aussi des symptômes physiologiques (hypertension artérielle, perte ou prise de poids, troubles du sommeil ou de l’endormissement). Ce sont finalement des réveils anxieux durant la nuit ou trop tôt le matin.

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“Je suis pour le fait d’autoriser les gens à quitter le travail même s’ils ne sont pas encore épuisés mais parce qu’ils en ont besoin.”

Etre plus attentif à tout ça permet de prévenir. On voit d’ailleurs l’impact positif des managements qui intègrent la notion de bien-être et sont capables d’entendre les souffrances. À l’inverse, on peut se dire qu’une société plus permissive permet plus facilement les burn-outs et les arrêts de travail. Le burn-out interroge donc tout un champ de la pensée et du rapport au travail. Personnellement, je suis pour le fait d’autoriser les gens à quitter le travail même s’ils ne sont pas encore épuisés, mais parce qu’ils en ont besoin. Je pense qu’il ne faut pas passer automatiquement par la case certificat médical, pour garder des droits.”

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