La violence conjugale chez les jeunes est plus présente que ce qu’on peut imaginer. Selon une étude réalisée en 2007 par la communauté française Wallonie-Bruxelles, parmi les jeunes interrogés qui ont eu une relation amoureuse 91% d’entre eux ont été victimes d’actes violents et 72% disent avoir eu un comportement violent à l’égard de leur partenaire. Des chiffres choquants qui glacent le sang.
C’est quoi la violence conjugale ? Comment la reconnaître ? Comment s’installe-t-elle au sein d’un couple ? Quels sont les signaux d’alarme ? Qui sont les personnes à risque ? Où trouver de l’aide ? Notre enquête sur ce phénomène pour le moins alarmant.
Une violence conjugale est décrite comme : « une prise de pouvoir intentionnelle d’un des partenaires afin de dominer l’autre. »
Un témoignage … parmi tant d’autres
Giulia, nom d’emprunt, fait partie de ces jeunes qui ont vécu la violence au sein de leur couple. Âgée de 23 ans et maman d’une petite fille de 3 ans, elle se souvient des relations violentes qu’elle a connu. Elle a 17 ans lorsqu’elle rencontre le père de sa fille. Un homme charmant et aimant en apparence, mais aussi violent lorsqu’il est en manque de drogue.
Tout commence lorsqu’un jour, elle s’apprête pour aller à l’école. Il lui ait alors des remarques sur sa tenue vestimentaire et lui ordonne de se changer. “Je portais un pantalon blanc, des baskets et un top rouge. Il m’a pointé avec un couteau et m’a dit que j’étais habillée comme une pute.” Ayant un fort caractère, elle décide de lui tenir tête. Petit à petit, son ex-compagnon parvient à l’isoler de ses proches en multipliant les remarques et les menaces. Amoureuse, elle encaisse sans trop contester des paroles blessantes et même parfois, des coups sans se rendre compte qu’elle est victime d’une relation abusive et que l’amour n’est pas synonyme d’abus.
Après un an de relation, Giulia tombe enceinte. Les jeunes estiment que leur couple est stable et décident de garder le bébé. Pendant sa grossesse, tout se passe bien, “il s’occupait de moi comme si j’étais une princesse”. La petite arrive et très rapidement, il prend ses distances avec son rôle de père et c’est à ce moment-là que la violence est montée d’un cran au sein du couple. “Pendant 3 mois, j’ai presque vécu seule avec ma fille. Il était là sans être là.”
Une des premières scènes de violence qu’elle a connues après son accouchement s’est déroulée à leur domicile. “Il m’a frappé alors que j’avais la petite dans les bras, elle avait à peine 3 ou 4 mois. Il m’a donné un coup à l’arrière de la tête et elle a cogné ma fille. J’ai appelé la police, ils sont venus directement et lui ont mis les menottes. Mon ex-compagnon m’a regardé et m’a dit que j’étais une menteuse et que j’aimais bien ça.”
Giulia et sa fille ont été amenées à l’hôpital. Là-bas, la jeune femme a été mise en garde. Si sa fille avait reçu un coup un peu plus fort, les conséquences auraient pu être très graves. Soutenue par sa famille, elle décide alors de porter plainte. La sentence tombe : 5 ans d’emprisonnement avec sursis, retrait du permis de conduire et interdiction de les approcher pendant un certain laps de temps.
Malgré la violence qu’elle subissait, mentale et physique, elle l’aimait. “Tu prends l’habitude qu’il te fasse du mal, puis il s’excuse et tu cèdes, ça a été ma pire erreur.” Lui promettant qu’il avait changé, l’ex-compagnon de Giulia lui a demandé de partir avec lui en Sicile. Elle accepte. Le jeune couple continue de se disputer puis un jour survient la dispute de trop. “Il avait enfermé ma fille dans le couloir et voulait me lancer une grande hache en plein visage. J’entendais ma fille pleurer, supplier d’ouvrir. Quand j’ai vu la hache avec laquelle il me menaçait, je me suis demandé ce que j’allais faire”. Comme dans un film d’horreur, Giulia pensait se réveiller. Après cette altercation terrifiante, la jeune maman contacte son cousin qui était en Italie au moment des faits. Il est venu la chercher et elle a sauté dans le premier bus pour partir.” Je n’en pouvais plus, dès qu’il ouvrait un œil, j’étais sûre que c’était pour me rabaisser, m’insulter ou me frapper.”
Ce n’est pas la première fois que Giulia craint pour sa vie :”quand ma fille avait 6 mois, je l’avais dans les bras et il m’a mis un flingue sur la tempe. Il m’a dit que si je partais, il allait tirer.”
Giulia a connu les insultes, les coups, mais aussi un type de violence assez répandue chez les jeunes et qui touche à ce qu’il y a de plus personnel, l’intimité, la sexualité. Un mois après son accouchement, il s’est montré insistant pour avoir une relation sexuelle. “Il était en manque et voulait qu’on ait des rapports. Je disais que je n’avais pas envie. J’avais encore un peu mal, j’étais fatiguée parce que j’allaitais. Mais au final, c’était comme lui il voulait et pas autrement.”
L’histoire de Giulia peut sembler extrême et pourtant, à différentes échelles, bon nombre de jeunes femmes, parfois mineures, subissent des violences inadmissibles. Des histoires toxiques et traumatisantes qui les marqueront à vie, elle et leur entourage.
Comment reconnaître la violence conjugale ?
Il existe 5 types de violence conjugale :
- La violence verbale inclut les cris et les hurlements, elle impacte la santé mentale de la victime.
- La violence psychologique agit sur l’estime de la personne. Elle se traduit par de l’humiliation, des crises de jalousie, du chantage, la dévalorisation, les menaces de mort et de suicide.
- La violence physique rassemble les coups et blessures qui instaurent un climat de peur et des séquelles psychologiques importantes.
- La violence économique se manifeste lorsque la victime est privée de tout accès financier dans le but de l’enfermer.
- Les violences sexuelles ont lieu quand un rapport sexuel est forcé sous prétexte que les personnes sont en couple.
L’adolescence : une période charnière
La question que l’on se pose est pourquoi les chiffres sont si élevés en matière de violence conjugale chez les jeunes. Il ne fait aucun doute que l’adolescence est une période charnière où les jeunes apprennent à se découvrir, à expérimenter, à tester les limites y compris dans leurs relations avec les autres et force est de constater que les jeunes en manque de repères ou vivant ou ayant vécu des situations d’abus, ils ne savent pas très bien où se situe la limite de ce qui est acceptable ou non. Aude Motquin, psychologue à l’ASBL Églantier explique : « Les premières relations amoureuses sont un moment critique où il faut être attentif parce que c’est une période pendant laquelle les jeunes vivent des relations très fusionnelles. Dans la passion, la violence peut se glisser assez facilement sans se rendre compte qu’il y a une dérive et que la relation n’est plus saine du tout. »
Yamina Zaazaa, co-directrice du Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales de Bruxelles ajoute : « Les jeunes disent que c’est normal de contrôler le GSM de l’autre, d’être jaloux sur la façon dont il ou elle s’habille, d’interdire de fréquenter telle ou telle personne. Ils associent la possessivité à un critère positif. Les adolescents sont souvent dans de la fusion amoureuse et ne discernent pas bien ce qui est violent ou normal et ce qui n’est pas acceptable. C’est petit à petit qu’ils vont s’enliser dans la violence. C’est vraiment quand ils deviennent jeunes adultes et qu’ils perdent leur liberté que souvent, ils se rendent compte que ce qu’ils vivent n’est pas normal. »
Comme le disait Giulia, il lui a fallu du temps pour comprendre que ce n’est pas cela le véritable amour. C’est grâce à sa psychologue qui la suit depuis de nombreuses années qu’elle a ouvert les yeux et qu’elle a décidé de sortir de cette spirale infernale.
Quels sont les signaux d’alarme ?
Quand on est jeune et encore en construction, il n’est pas toujours évident d’avoir des repères solides. Un outil venu tout droit de France et appelé le Violentomètre permet à travers des phrases, de se repérer et de savoir s’il y a de la violence au sein d’une relation.
Caroline Ferré, psychologue à l’ASBL Églantier explique qu’il y a une grande différence entre le conflit et la violence. « Dans le conflit, il peut y avoir des cris, des disputes, mais il y a toujours la possibilité pour chaque membre du couple de pouvoir s’exprimer et de donner son avis. Dans la violence, un des partenaires va prendre le dessus et avoir une emprise sur l’autre qui n’aura pas le choix, pas la possibilité de s’exprimer et qui ne pourra que subir ce qui est décidé par l’autre » ajoute-t-elle. La peur est aussi très importante pour comprendre s’il y a de la violence au sein de la relation. Si vous faites attention à vos faits et gestes par peur de la réaction de l’autre, c’est un indice que le couple dysfonctionne.
Le cycle de la violence
Il y a souvent différentes étapes à l’installation de la violence au sein du couple. Les séquences ne s’enchaînent pas forcément, mais toutes font parties du cycle de la violence.
- La construction de la tension.
- L’explosion qui est le passage à l’acte.
- L’accalmie quand la victime est en colère et souhaite quitter cette relation, mais elle culpabilise de ressentir cela et l’agresseur la manipule par peur de la perdre. Elle finira par s’excuser et minimiser les faits.
- La lune de miel qui est une étape nécessaire pour que la violence puisse perdurer dans le couple. L’agresseur dit qu’il est conscient d’avoir été trop loin et que ça ne se reproduira plus.
Le cycle recommencera, souvent indéfiniment, dès lors qu’il y aura une frustration ou une tension entre les partenaires.
Comment se protéger d’un.e partenaire violent.e ?
Maître Caroline Poiré, avocate au barreau de Bruxelles, explique que pour emprunter la voie judiciaire, il faut identifier une infraction pénale. Son confrère, Jolan Goutier ajoute que pour qu’il y ait une infraction, il faut soit être dans une situation de coups et blessures avec la circonstance aggravante que les faits aient été commis dans un couple ou avec un ex-partenaire, soit entretenir ou avoir entretenu une relation durable ou se trouver dans une situation de harcèlement. L’avocate ajoute que pour pouvoir prouver cette infraction, il faut impérativement des preuves comme des photographies, des certificats médicaux, des témoignages ou des échanges de SMS. Souvent, les victimes ne se rendent pas compte qu’elles ont des éléments pour prouver la culpabilité du partenaire.
Des dossiers dans lesquelles des jeunes portent plainte pour des faits de violence conjugale, Maître Caroline Poiré les compte sur les doigts d’une main. Et pour cause, ce public est souvent réticent à faire appel à la justice. « Chez les jeunes, je pense que la 1ère barrière réside dans le fait qu’ils n’ont pas un accès direct aux avocats et donc, ils doivent parler de cette problématique avec un parent » explique-t-elle. Elle rêverait qu’une plateforme soit mise en place et sur laquelle le jeune aurait un contact direct avec un avocat spécialisé pour que ce dernier lui donne le 1er conseil juridique.
S’il n’y a pas d’infraction pénale, la victime ne peut pas emprunter la voie judiciaire, mais elle a d’autres possibilités comme se tourner vers un.e. psychologue ou suivre une thérapie de couple. Giulia a choisi d’emprunter les 2 chemins. Lorsqu’elle a déposé plainte, son compagnon de l’époque a été condamné. C’est maintenant avec l’aide de sa psychologue qu’elle soigne ses blessures.
Comment sortir d’une relation violente ?
L’amour et l’emprise psychologique entrent toujours en ligne de compte lorsqu’une personne est dans une situation de violence conjugale. Si vous connaissez un proche victime de violences conjugales, il est primordial de le soutenir, de ne pas le juger et surtout, de maintenir le dialogue. C’est ce que conseille Caroline Ferré, psychologue à l’ASBL Églantier : “Il ne faut pas imposer une vérité et dire que la relation doit absolument cesser, il faut accompagner le jeune dans la réflexion.”
Même si les chiffres sont alarmants en matière de violence conjugale chez les jeunes, c’est une situation de laquelle ils pourront plus rapidement se sortir. Yamina Zaazaa, co-directrice du Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales de Bruxelles, nous explique que le pouvoir d’agir est beaucoup plus important chez les jeunes. À contrario, chez les adultes, il y a des éléments qui sont davantage ancrés comme le manque d’estime de soi et le sentiment incapacité qui rendent l’action plus complexe.
Agir pour sensibiliser davantage
Pour lutter contre ce phénomène grandissant, il est impératif de sensibiliser dès le plus jeune âge. L’Evras, l’éducation à la vie relationnelle affective et sexuelle est dispensée dans les écoles. Sophie Rohonyi, députée fédérale engagée dans la défense des droits des femmes, constate tout de même un bémol. “L’Evras est dispensée de manière assez disparate selon les lieux d’apprentissage parce que c’est le chef d’établissement lui-même qui trouve des interlocuteurs en fonction de ses sensibilités. Parfois, on enseigne l’Evras en expliquant simplement comment on met un préservatif à 17 ans alors ça doit être beaucoup plus large que ça et enseigné beaucoup plus tôt, rien qu’en ce qui concerne la notion du consentement. » Selon elle, il faudrait qu’idéalement une personne soit en permanence à la disposition des élèves pour répondre à leurs questions.
C’est dans ce même esprit, qu’elle aimerait que des affiches soient mises dans les lieux publics et dans des écoles pour expliquer notamment la notion de consentement et mentionner les lignes d’écoute à disposition des victimes qui malheureusement souvent se détournent de ces outils. Giulia n’a effectivement jamais pensé à demander de l’aide via ce biais. Sophie Rohonyi suggère de faire en sorte que ces lignes soient accessibles par SMS pour plus de discrétion.
Dès son entrée au Parlement, Sophie Rohonyi a montré sa volonté de faire évoluer la loi en ce qui concerne les violences conjugales. « On a fait en sorte que les zones de police doivent reprendre contact avec les victimes qui ont déjà porté plainte contre des faits de violence. On a enlevé les traces d’appel vers des services d’écoute sur les factures téléphoniques et on a créé le dispositif pharmacie à savoir le fait qu’on peut demander de l’aide auprès de sa pharmacie sans aller jusqu’au commissariat de police parce que ça reste une démarche qui peut être difficile. » La députée souhaite continuer dans sur cette voie et continuer de développer des outils pour aider les victimes, condamner les auteurs et prévenir les situations à risques.
Giulia, quant à elle, avait déjà connu une situation de violence conjugale avant de se mettre en couple avec le père de sa fille. Elle est d’ailleurs encore amenée à le croiser de temps en temps. Aujourd’hui encore, il essaye de la convaincre de revenir avec lui en lui disant qu’il l’aime. Giulia tient bon et essaye de se reconstruire petit à petit, jour après jour. La jeune femme est décidée à vivre enfin une belle histoire d’amour.
Où trouver de l’aide auprès de services spécialisés ?
- Écoute Violences Conjugales : 0800 30 0 30 (24h/7 – gratuit – anonyme)
- Aime sans violence : pour les adolescents
- Centre de Prévention des Violences Conjugales et Familiales
- ASBL Églantier à Braine-l’Alleud composée de 3 pôles :
- Une maison d’accueil uniquement pour femmes et enfants
- L’antenne “Femme, couple et violence” : service ambulatoire de consultations interdisciplinaires
- La Ressourcerie “La Fol’Fouille” : entreprise d’économie sociale et environnementale
- Solidarité Femmes et refuge pour femmes victimes de violences à La Louvière
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