Première femme à occuper le poste de ministre de la Défense, Ludivine Dedonder a été propulsée au premier plan avec la guerre en Ukraine. Portrait d’une jusqu’au-boutiste bien déterminée à moderniser nos forces armées.
Quand on nous reçoit pour la première fois au Ministère de la Défense, c’est élégant et forcément un peu impressionnant puisque des militaires en treillis vous accueillent à l’entrée. Pourtant, quand la ministre de la Défense Ludivine Dedonder arrive entre deux réunions, c’est avec une décontraction absolue qui met tout de suite à l’aise. Plusieurs dossiers sous le bras, le carré blond impeccable et les baskets Zadig&Voltaire aux pieds, sa démarche est recherchée mais authentique. Comme son compte Instagram qui mêle photos de missions sur le terrain et anecdotes de vie. Mais qui est Ludivine Dedonder, si ce n’est la première femme ministre de la Défense de Belgique ? Portrait.
Vous étiez journaliste puis prof de math. Comment est-ce qu’on atterrit ensuite ministre de La Défense ?
J’ai d’abord fait des études d’ingénieur de gestion à l’université de Liège. Parallèlement, je travaillais à la RTBF, je faisais des piges en radio et dans les émissions économiques. Le journalisme a toujours été une passion même si je n’ai pas fait d’études dans ce domaine. J’adorais aussi le sport, le foot et le cyclisme en particulier, donc j’ai demandé de faire un stage au service des sports à la RTBF puis à la télé communautaire à Liège.
On peut dire que c’est Liège qui m’a amenée en politique. J’y ai fait mes études, travaillé à la RTBF Liège et j’ai donc pu rencontrer toute une série de personnes du milieu grâce auxquelles j’ai pu entrer au cabinet du ministre Daerden. C’est là que je commence la politique. J’ai aussi été prof de math pendant quelques mois, car il y avait pénurie et que je cherchais un job provisoire.
Vous commencez la politique un peu par hasard ?
Par le hasard et les rencontres. Quand j’étais prof et que des élèves venaient parce qu’ils ressentaient des difficultés, je leur disais toujours qu’il ne fallait jamais hésiter à pousser des portes, rencontrer des gens, saisir les opportunités.
On m’appelait déjà “le général” chez moi, il n’y a pas de hasard
C’est ce qui résume tout mon parcours. Je me suis d’abord présentée aux élections communales à Tournai en 2006 et j’ai été élue conseillère communale puis directement échevine car j’avais fait un bon score et que j’étais connue à la télé locale, donc j’avais une petite popularité à Tournai. Je suis restée échevine pendant 13 ans, et en 2019 j’ai participé à de nombreuses élections dans la Région wallonne où j’ai aussi atteint de bons scores. Cela m’a permis de devenir députée fédérale en 2019. Alors oui, j’ai un parcours qui ne me prédisposait pas à ce poste-là, mais tout s’est fait naturellement. Mon envie, c’était d’être au contact avec les gens, de pouvoir leur rendre service, de les écouter et de les orienter. Beaucoup de personnes m’ont soutenue jusqu’ici et c’est pour ça que je suis là. Le jour où l’on ne m’appuiera plus, j’envisagerai autre chose.
“Première femme de Belgique à être ministre de la Défense”. Est-ce encore nécessaire de le préciser aujourd’hui ?
Je pense que c’est important de le signaler, mais que ça ne doit pas se résumer à cela. C’est vrai qu’en Belgique, je suis la première. Mais je suis présente à toutes les réunions européennes et de l’OTAN, et il y a beaucoup de femmes ministres de la Défense dans d’autres pays. Chez nous, il n’y en avait pas encore, et c’est étonnant.
Je veux que La Défense soit le reflet de la société
D’ailleurs, j’ai envie de voir plus de femmes à des postes de responsabilité et à des commandements. C’est très important car c’est une manière de changer l’image de la Défense. Et je pense que j’ai aussi été désignée à ce poste pour faire bouger les lignes, donner au Ministère une image plus moderne et plus féminine. Après, j’ai toujours eu une personnalité assez forte. On m’appelait déjà “le général” chez moi, il n’y a pas de hasard (rire).
Justement, comment attirer les femmes dans ce milieu ?
Aujourd’hui, on compte 11% de femmes dans l’armée, ce qui est très peu de manière générale. Il y a 25 000 hommes et femmes qui travaillent pour la Défense, et l’idée n’est pas du tout de favoriser l’une ou l’autre catégorie, ce n’est d’ailleurs pas ce que les femmes demandent. Nous avons les mêmes compétences et capacités qu’un homme du même niveau, donc ça ne doit pas être une histoire de quota. Je veux simplement que La Défense soit le reflet de la société, que ce soit en termes de genre ou de diversité.
Et c’est ce que je fais depuis que je suis arrivée ici, rien qu’en termes de communication. Avant, je connaissais l’armée sous un certain angle, puis je me suis rendue compte que ce département offrait des possibilités énormes. Il y a plus de 300 fonctions différentes. On a donc lancé une vaste campagne de recrutement pour faire connaître les métiers de l’armée, où il y a autant de place pour les femmes que pour les hommes et en intégrant beaucoup plus de diversité dans nos rangs. J’espère donner une image plus moderne et plus accessible pour que les gens comprennent mieux ce que l’on fait et que cela attire davantage de femmes.
Est-ce que les jeunes ont encore envie de défendre leur pays aujourd’hui ?
L’année dernière, on avait 2 500 postes de militaires et j’ai eu 8 300 postulants. C’est un chiffre que l’on n’avait plus atteint depuis une dizaine d’années, donc on voit qu’il y a un intérêt. L’une des raisons, je pense, est que l’on a donné à La Défense une image de force présente sur le théâtre des opérations à l’étranger ces dernières années. Et on le voit d’autant plus avec la guerre en Ukraine. Mais on a aussi donné le reflet d’une Défense qui est présente lorsqu’il y a une crise sur le territoire national. Nous étions dans les hôpitaux, les maisons de soins et les centres de vaccination pendant le Covid. Nous étions dans l’Est du pays pour aider les habitants lors des inondations. Les gens ont pu voir que nous étions une Défense humaine. “S’engager” renvoie souvent à prendre les armes, mais ce n’est pas la seule facette de l’armée. Il y a beaucoup d’autres façons de servir son pays.
La guerre en Ukraine a effectivement donné une visibilité sans précédent à l’armée…
On ne pensait certainement pas revivre une guerre sur le continent européen. Ce qui explique que les différents gouvernements ont toujours réduit le budget de La Défense, que ce soit en Belgique ou ailleurs. Mais ça a presque atteint un point de non-retour lors de la législature passée. Si on ne reconstruisait plus, on risquait de ne plus avoir de Défense capable d’assurer la sécurité sur le territoire national ou de se déployer à l’étranger. Il faut donc du personnel et des investissements. À l’horizon 2030, on prévoit de reconstruire, reconsolider et grandir à nouveau, parce qu’en période de crise, que ce soit chez nous ou à l’étranger, on fait toujours appel à l’armée.
Question plus philosophique : moins de militaires, n’est-ce pas plus de démocratie ? Il y en avait 70 000 après la chute du mur de Berlin, il n’y en a plus que 25 000 en Belgique.
Dans un monde idéal, il n’y aurait pas d’armée. Nous sommes d’ailleurs contre la prolifération des armes et du nucléaire, mais il faut rester réaliste. Evidemment que, dans le meilleur des cas, on veut une résolution pacifiste des conflits et on prône toujours le dialogue. Nous n’avons pas tout de suite livré des armes à l’Ukraine, nous avons attendu de voir l’évolution de la situation. Mais quand les limites sont franchies, comme ça a été le cas, vous pouvez envoyer des colombes en Ukraine, ça ne va pas beaucoup les aider. Le jour où chaque pays pourra le faire, on sera dans un monde idéal. Donc il faut toujours avoir à l’esprit la désescalade, mais il n’existe pas de grande puissance dans le monde sans armée, parce qu’il faut être capable de se défendre sinon vous êtes un oiseau pour le chat.
En me voyant, jamais vous ne vous dites que cette femme est ministre de La Défense !
Quelle est l’image de l’armée Belge dans le monde ?
Franchement, nous sommes très bien vus ! Je le dis très sincèrement, et j’en suis même parfois étonnée car nous sommes un petit pays avec un budget finalement assez faible par rapport à d’autres nations. Mais nous sommes très appréciés lorsque nous nous déployons à l’étranger, car nous parlons plusieurs langues et possédons une grande capacité d’adaptation. On aime notre mentalité et nos spécificités. Nos plongeurs-démineurs de la marine sont très reconnus par exemple. Nos F16 sont fortement appréciés. Le centre des grands brûlés est reconnu mondialement et nos compétences au niveau des technologies et des recherches médicales, notamment sur certaines maladies infectieuse, sont aussi parmi les plus performantes.
Vous vous exprimez très librement sur Instagram. Est-ce une autre manière de moderniser l’image de La Défense ?
En me voyant, jamais vous ne vous dites que cette femme est ministre de la Défense ! (rire). Il y a des règles, bien sûr. C’est très important d’être sérieux, mais pas besoin d’être inaccessible pour autant. Quand on parle d’une Défense moderne, ce n’est pas une Défense qui fait n’importe quoi. Elle remplit ses missions de manière rigoureuse, mais vit aussi avec son temps. J’ai toujours été une femme de terrain, et quand je rencontre les militaires, je leur parle spontanément, on ne va pas se mettre au garde-à-vous.
L’objectif, c’est d’être accessible. Et c’est en discutant avec les gens que, nous, politiques, pouvons prendre la température. Et oui, il faut évidemment utiliser tous les supports actuels possibles, y compris les réseaux sociaux, pour communiquer, montrer ce que l’on fait. Et je pense que c’est apprécié. On le voit dans les chiffres des postulants et dans les réactions. Avant, les gens ne savaient pas à quoi servait la Défense. Ici, malheureusement avec les différentes crises, on a pu montrer tout ce qu’on pouvait faire. C’est moi qui ai remis sur la table “L’aide à la nation” qui n’y était plus depuis longtemps. Quelques jours après que je sois arrivée, j’ai demandé “On est en pleine vague Covid, qu’est-ce qu’on peut faire ?”. J’ai bataillé des mois et des mois. Je pense qu’il faut pouvoir affirmer ce que l’on veut.
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Qu’est-ce que vous plaît en dehors du boulot ? Le foot ?
Les journalistes me parlent souvent du foot parce que c’est atypique, mais vu que je ne sors jamais vraiment du boulot c’est un peu passé au second plan. Le football a occupé une grande partie de ma jeunesse. Mon grand-père jouait en Division 1 à Tournai et tout le monde aime le foot dans la famille. J’ai vraiment eu une passion enfant et adolescente, jusqu’à mes vingt ans. Aujourd’hui, je vais plutôt voir mon fils jouer le dimanche matin. Il a 12 ans donc mes seuls moments de libre lui sont réservés. Je joue au foot dans le jardin avec lui, et comme je suis quelqu’un qui fait les choses à fond, je ne le laisse pas gagner facilement, ce qui m’a d’ailleurs valu une petite déchirure musculaire (rire).
Votre livre de chevet ?
Mes dossiers étalés sur mon lit, que je parcours parfois jusque tard dans la nuit, quand j’ai des réunions importantes prévues le lendemain. Je pense que je n’arriverais plus à ouvrir un roman sans tomber directement de sommeil. Sinon, dans l’absolu, je suis plutôt attirée par les livres à suspens !
Votre page insta préférée ?
Je n’en citerai pas une en particulier, mais j’adore la mode. Je suis issue d’une famille de commerçants, qui vendaient des vêtements pour femmes, donc j’aime scroller sur ce genre de pages. Tout ce qui est destinations lointaines aussi, ça me donne l’impression de m’évader.
Votre moment le plus marquant en tant que ministre de la Défense ?
L’exfiltration de Kaboul en Afghanistan m’a vraiment marquée. Je crois que je m’en souviendrai toute ma vie. Nous étions en contact quotidien avec le commandement sur place par visioconférence, ce qui a permis d’apprécier la situation et de prendre les décisions au bon moment, y compris le fait de partir. Nous avons quitté quelques heures avant que ça n’explose. C’était un moment d’une grande intensité.
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