Un sac minutieusement fabriqué, durable, et qu’on ne voit pas à tous les bras, c’est une autre idée du luxe. Des maisons haut de gamme au savoir-faire exceptionnel offrent l’exclusivité, une autre forme de luxe en soi, sans le soutien de campagnes de communications répétées. La hype autour des it-bags est-elle réellement finie ?

C’est un malentendu fréquent : le sac de saison, qu’on voit au bras de toutes les fans de mode, n’est pas toujours le plus précieux ni le meilleur investissement sur la durée. Parallèlement à l’objet du désir du moment, il existe des sacs plus discrets, très beaux modèles haut de gamme moins marketés, travaillés avec des détails parfaits, conçus pour durer. En France, on peut citer les maisons LaContrie, qui fabrique des modèles à la demande et selon la couleur choisie, ou Létrange, maroquinerie pionnière fondée en 1838, qui travaille artisanalement depuis sept générations. Verbreuil, les Ateliers Vignes, Bruyard, Moynat, développent leur expertise depuis des décennies. Des dizaines, en Europe, de marques ancestrales ne cherchent pas à sortir des best-sellers, mais des sacs patrimoniaux dont chaque pièce se portera garante de leur savoir-faire. Mansur Gavriel, jeune maison parisienne, explore la géométrie et les matières pour ses modèles à la simplicité ouvragée, tout en utilisant les chutes de cuir en tannage végétal de ateliers de confection pour concevoir une ligne de tote bags. Car la modernité d’un sac étudié, c’est aussi son écoresponsabilité. Ça l’a toujours été en réalité, mais aujourd’hui, c’est devenu un argument d’achat décisif. En Belgique, la nouvelle marque d’accessoires « easy luxury » Octogony cultive pour ses collections mixtes des lignes géométriques épurées, pour des sacs qu’on peut adapter, clipser, alléger, superposer au fil de la journée. Annabelle Volaire Levassor est consultante en stratégie et développement dans la maroquinerie de luxe pour Chloé, Chanel, Lemaire, Haider Ackermann, Paco Rabanne, Paul & Joe et actuellement pour Victoria Beckham, pour qui elle relance une ligne de sacs haut de gamme. Au niveau de l’hyper luxe, elle souligne que « Hermès ou Delvaux notamment travaillent sur des formes classiques, intemporelles, transmissibles et hors tendances. Ils possèdent une force pérenne ». Résister à la tentation de la hype et gagner en valeur au fil du temps tout en répondant à un désir de mode, c’est la formule idéale d’un secteur des accessoires qui se réinvente. 

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Barbara Bui, Sac Chamallow fabriqué en Italie, 590 €. © Imaxtree

Le point sur un phénomène qui s’essouffle

Pour Annabelle Volaire Levassor, « ce qui caractérise ce qu’on appelle les “it-bags”, c’est avant tout et surtout une base de sac de luxe désirable, fortement identifiable et portée par une communication soutenue le transformant en “must have”. Il requiert de gros moyens financiers et une forte visibilité. Ils ont connu leur essor dans les années 2000 avec par exemple le Paddington de Chloé, le City de Balenciaga ou le Downtown de Saint Laurent. Il y a beaucoup plus d’offres aujourd’hui, donc moins de modèles qui sortent vraiment du lot comme avant. On ne parle plus vraiment de “it-bags”, mais on identifie des sacs “tendance” et des marqueurs sociaux. » De plus en plus informes à propos de ces produits dont le prix s’aligne sur la désirabilité, certain·e·s consommateurs/trices se tournent vers de plus petites maisons artisanales. Sophie Helsmoortel a fondé il y a plus de trente ans la boutique de marques exclusives Cachemire Coton Soie. Par conviction, elle est davantage intéressée « par la valeur ajoutée d’un sac de luxe que par un logo. Le it-bag n’existe plus vraiment, mais il y a toujours des artisans passionnés qui fabriquent des merveilles, qui sont reconnus et adoptés par des femmes qui privilégient la qualité pérenne. Par exemple la marque italienne Gatti Milano, conçue par une créatrice indépendante, est d’une grande qualité, parce qu’elle maîtrise à la fois la vannerie et le cuir, et rassemble deux métiers dans un sac. Il faut rendre sa liberté au style. Il est temps qu’on sorte des diktats de la mode, pour retrouver du plaisir à s’exprimer sans complexes, et cesser de s’autolimiter ». 

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Les grandes marques positionnent les sacs en objets rares, ce qui induit le manque et attise la demande. Ils deviennent des signes de richesse.” Sophie Helsmoortel, Fondatrice de Cachemire Coton Soie

Déconsommation et exception

Ce sont deux des caractéristiques du véritable luxe, puisqu’elles combinent les notions de durabilité et de rareté. Sophie Helsmoortel souligne que « les grandes marques augmentent leurs prix simultanément depuis plusieurs années, et on arrive à des montants prohibitifs pour des produits qui sont exactement les mêmes qu’il y a deux ans. Elles positionnent les sacs en objets rares, ce qui induit le manque et attise la demande. Ils deviennent des signes de richesse ». C’est pourquoi elle se concentre, dans une sélection resserrée, sur des pièces alternatives et luxueuses, en toile, en cuir ou en osier. « Il faut souligner que parmi les géants du luxe, des maisons comme Hermès et Delvaux se distinguent et continuent de cultiver un savoir-faire exceptionnel, de former des artisans, de transmettre toute une tradition d’excellence. » Pour Annabelle Volaire Levassor, « en 2022, il existe toujours de belles références de luxe à travers des sacs patrimoniaux devenus iconiques comme le 2.55, le Kelly et le Birkin ou le Lady Dior, et qui positionnent économiquement celle qui les arbore. Dès qu’on sort des it-bags, on rencontre des convictions de marques, des revendications d’identité, au niveau de l’écologie et de la durabilité comme chez Stella McCartney ou de design pur comme chez Lemaire avec des sacs sculptures. Elles mettent en avant leur savoir-faire, leur style et leur transmissibilité. Ce qui fait fonctionner un sac, c’est son adéquation avec la philosophie de la maison. Des marques comme Jil Sander ou The Row travaillent sur la silhouette, sur l’ombre chinoise du sac. Chez Loewe, on cultive une tradition exceptionnelle de maroquinerie. Ils sont peu à ce niveau de slow fashion pérenne, avec un savoir-faire extrêmement abouti et un rapport à l’art. » Au sein même du secteur du luxe, chacun·e se positionne différemment dans la durabilité ou la tendance, souvent les deux simultanément, sur des produits différents. 

Des luxes qui cohabitent au bout du bras

Face à la multiplicité de l’offre, comment choisir une belle pièce de qualité, exclusive, qui durera plusieurs générations ? « Il y a beaucoup de petites marques sur ce segment, qui séduisent une clientèle fidèle », estime Marie-Laurence Stévigny. Créatrice de sacs et accessoires de cuir pour, entre autres, Lacoste, Nina Ricci, Aston-Martin, Bellerose, Bentley et Nike, elle a lancé sa propre ligne de clutches, et vient d’ouvrir sa boutique à Bruxelles* : « Le sac de maisons de luxe n’exclut pas la pièce de petits créateurs/trices sur la même silhouette. Et c’est très gratifiant pour nous. Le public est avide de connaissance du produit, d’être informé des conditions de fabrication. Les gens sont plus sensibles et éduqués à ces questions, y compris concernant les marques indépendantes. C’est aussi la conséquence de la prise de conscience Covid de la nécessité de consommer local. C’est une bonne période pour le savoir-faire et l’artisanat. » Une quête d’exclusivité qui ravit cette cheffe d’entreprise-consultante, qui rencontre de plus en plus de client·e·s de grandes maisons de luxe, éduqués sur les critères de qualité d’un produit, désireux de posséder une pièce qu’on ne verra pas sur tout le monde et qui ne sera pas estampillée « tendance ». « Il existe tout un écosystème dans la mode, de consommateurs/trices avec un gros pouvoir d’achat qui sont guidés par cette démarche de recherche de qualité. Une clientèle qui peut s’offrir de grands noms revient aux artisans, pour les coloris, le savoir-faire, le made in Europe dans des petites unités de production. » Ils expriment également en souci écologique, et sont de plus en plus nombreux à ne pas demander la boîte d’emballage. D’ailleurs, de nombreuses marques commencent à les faire payer au moment du passage en caisse. 

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“Un sac, il faut l’habiter.” Barbara Bui, créatrice mode

Sacs désirables et durables

Barbara Bui crée des sacs-bananes qui laissent les mains libres ou des cabas, avec des lignes disproportionnées, qu’elle qualifie de « couffins de ville ». Elle a lancé sa marque au milieu des années 80. Ont suivi les sacs, en 2005 : « Il fallait d’abord trouver les bons façonniers. Ils sont faits en Italie, en cuir, comme nos chaussures. Comme nous ne sommes pas une marque qui inonde le marché de produits, on travaille de façon artisanale, avec des pièces fabriquées à l’unité, souvent à la main. » La signature de ces sacs ? « Contrairement aux it-bags de saison, ils ne sont pas achetés pour leur logo, mais plutôt pour leurs qualités intrinsèques. Nous les concevons avec une touche reconnaissable, un clin d’œil sellier, à l’ancienne, et nous travaillons avec très peu de métallerie, pour l’épure et la légèreté. Actuellement, beaucoup de femmes reviennent aux petits sacs, notamment la nouvelle génération. » Créer un nouveau sac demande beaucoup de réflexion puisque dans une collection, il y a moins de références d’accessoires que de vêtements. « Je mets toujours énormément de choses dans mes sacs qui sont, et c’est personnel, très chargés. Il me faut de la place pour les dossiers, pour les clés, pour un pull à emporter… Je crée donc des modèles fonctionnels avec plusieurs poches intérieures, de très belles finitions, et ils vieillissent bien. Parfois, les client·e·s ont perdu le sens du travail à l’ancienne, alors il faut expliquer comment on entretient des cuirs teintés végétalement. Un sac, il faut l’habiter, lui laisser le temps de s’installer. L’avantage d’une pièce de marque créateur, c’est qu’on ne la voit pas sur tout le monde. »

Première qualité de seconde main

L’engouement pour de belles pièces, transmissibles et indémodables, peut aussi passer par la curation d’un regard avisé, tout en s’inscrivant dans un processus de consommation circulaire. Alexandra Stueck et son frère Jan-Oliver ont fondé ensemble Saclàb, un site de vente de sacs de luxe « pre-owned » (et « pre-loved »), c’est-à-dire de seconde main. Elle a étudié le design, lui le business. Originaires de la région d’Heidelberg en Allemagne et désormais installé·e·s à Amsterdam, les deux trentenaires ont lancé leur concept en 2018. Alexandra souligne que « lorsqu’on est formé au design, on est forcément sensibilisé à la notion de production de nouveaux produits et aux questions que cela pose. Par mon éducation, j’ai toujours été sensible à la seconde main. Plus qu’une tendance, les plates-formes comme Vestiaire Collective ou eBay sont en train de devenir une philosophie ». 

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Alexandra et Jan-Oliver Stueck, fondateurs de Saclàb. © Presse

À vouloir développer une activité dans la circularité, pourquoi s’être concentrée·e·s sur les sacs à main ? « Il y a un intérêt particulier autour de ces accessoires. Ils n’ont pas de problème de taille ou d’ajustement au corps, ils sont universels. Nous voulions être très pointus dans un domaine plutôt que de nous disperser. Dans le luxe, on mise beaucoup sur l’expertise. » Les sacs proposés à la vente dans les vingt pays que couvre le site transitent physiquement par Saclàb, qui garantit l’authenticité et certifie les pièces. Pratiquement, l’envoi du sac est prépayé, puis la société photographie et étiquette chaque modèle. Pour plus de cohérence et pour resserrer sa cible, le concept se concentre sur seulement quatre marques : Hermès, Dior, Chanel et Bottega Veneta, « car ils touchent le même groupe de client·e·s, qui plébiscitent une qualité européenne, des sacs fabriqués méticuleusement, en France ou en Italie. Saclàb permet un accès honnête à ces produits. Ils ne sont pas forcément moins chers, mais chez nous, ils sont disponibles ! Il faut savoir que dès qu’un sac Hermès quitte la boutique, sa valeur augmente potentiellement, car elle est relative à la demande. Ce sont des pièces d’investissement, parfois soumises à l’inflation. Ainsi, sur le site, certaines pièces de grandes maisons peuvent être vendues plus cher qu’en boutique. Et plus on les conserve, dans leur boîte, dans leur pochette, plus leur valeur augmente. C’est pourquoi les sacs sont si intéressants sur le marché de la seconde main. Globalement, tout le secteur est en croissance. » Le prochain it-bag, ce sera celui qui ne portera pas son nom, qui sera responsable, un collector transmissible et indémodable. Pas reconnaissable pour avoir été vu partout, mais identifiable par son élégance de durer. 

La boutique et le studio sont installés au 3 rue Emile Bouilliot à Bruxelles.

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