Pour lutter contre la pauvreté, l’ASBL ArmenTeKort adopte une approche novatrice. Grâce à un système de mentorat, les personnes favorisées et celles qui se trouvent en proie à la précarité sont mises en relation et se donnent rendez-vous. L’idée ? Offrir une aide durable et s’attaquer aux racines de la pauvreté. Immersion dans cette problématique, rencontre chez ArmenTeKort, et date avec Marie Maas et Manuela Wouters. Une histoire d’amitié et de nouvelles opportunités.
Résilience
Kirsten Van Camp, l’une des personnes à l’origine d’ArmenTeKort, revient sur le handicap social. « Outre la précarité financière, il existe une pauvreté en matière d’opportunités. Ne pas pouvoir se payer une voiture et donc être exclu de certains emplois, présenter un retard scolaire faute de soutien à la maison, méconnaître ses droits à certaines aides… Le manque d’opportunités se transmet de génération en génération et il est très difficile d’y échapper. »
ArmenTeKort, un projet de démonstration mis en place depuis dix ans par Marijke Moens et Theo Vaes, étudie les causes de cette problématique. La conclusion ? « Nous ne devons pas donner du poisson aux personnes démunies, mais leur apprendre à pêcher. À cet égard, la confiance en soi est un facteur très important. Au lieu d’aider les personnes en situation précaire à trouver un emploi, il faut leur permettre d’acquérir la résilience nécessaire pour chercher un nouvel emploi si elles se retrouvent au chômage. » La résilience est un atout essentiel pour se sortir de situations défavorisées. Et c’est précisément ici que le système de mentorat entre en scène.
Tu veux être mon ami·e ?
Une personne favorisée est mise en relation avec une personne précarisée afin de lui insuffler une dose d’autonomie. Pendant deux ans, elles se voient une fois par semaine. Ce « perfect match » repose sur des valeurs et des intérêts communs, l’âge ou encore la proximité géographique.
Marie et Manuela, l’un des duos, sont le miroir l’une de l’autre. Manuela : « Nous avons le même âge, avons chacune deux filles étudiantes d’une vingtaine d’années, faisons du bénévolat et avons suivi une formation similaire. » Marie est consultante en santé et ancienne propriétaire de la marque de pyjamas Gingerbread ; Manuela a un bachelier en psychologie et une carrière dans les TIC derrière elle.
La vie de Manuela est jalonnée d’obstacles, unis par le fil rouge de la solitude. Fille unique de parents divorcés, elle n’a pas de famille proche. « Une fois adulte, je suis devenue mère célibataire de jumelles. Je me suis donc retrouvée isolée malgré moi. Plus on vieillit, plus on se sent seule, surtout si les déboires se succèdent. C’est pourquoi cet accompagnement m’a semblé une bonne idée. »
Marie est du genre à investir du temps plutôt que de l’argent. « Je préfère faire des choses. Dans le cadre de l’accompagnement de Manuela, j’ai suivi une formation instructive et assez poussée. »
Back to school
Kirsten : « Notre formation (gratuite) comprend neuf ateliers au cours desquels nous abordons le contexte social dans son ensemble, organisons des sessions pratiques, notamment des jeux de rôle, et une formation aux compétences qui permettent de donner un second souffle aux personnes en situation de précarité. » Les mentors ou buddies n’ont pas de comptes à rendre, mais peuvent participer à des intervisions pour discuter des cas.
Le plus étonnant dans tout ça ? La plupart des bénévoles ont un niveau d’études élevé et leur profil est parfois surprenant. « Nous nous attendions à ce que de nombreux buddies soient issus du secteur social, mais, finalement, nous nous retrouvons avec un large panel de catégories professionnelles : professeurs, entrepreneurs… »
It’s a date
Kirsten : « Le premier rendez-vous a généralement lieu ici, au bureau, afin que chacun puisse prendre ses marques et voir si le courant passe. Une semaine après ce premier date, nous faisons le point, puis nous renouvelons l’opération tous les trois mois. »
La première rencontre de Marie et Manuela s’est soldée par un succès. Manuela : « Nous avons convenu d’aller nous promener et deux heures plus tard, nous discutions encore. Le lendemain, nous nous sommes revues et avons à nouveau passé l’après-midi à échanger. »
Aujourd’hui, elles se voient une fois par semaine, le mercredi. Elles s’appellent aussi régulièrement. Quand Manuela a besoin de s’épancher, mais aussi quand les nouvelles sont bonnes. Ou si une idée lumineuse survient. Marie : « Manuela est pleine d’inspiration au rayon excursions. Nous avons visité des endroits que je n’aurais jamais vus autrement : les jardins japonais ou le Musée de la mode à Hasselt, Schone Schijn à Deurne… »
Win-win-win
Outre l’expérience positive, les mentors ont la possibilité de mieux appréhender la pauvreté. « Trop souvent, on pense que le manque d’opportunités découle de choix hasardeux ou d’un manque d’éthique au travail, mais la cause est plutôt structurelle », explique Kirsten. Les personnes en situation de précarité travaillent avec leur buddy sur l’estime de soi pour rependre du poil de la bête. « Forts de cette confiance en soi, ils entreprennent des démarches dans différents domaines : travail, logement, formation… » L’équivalence est le principal pilier. Le bénévole n’est pas un sauveur ; il s’agit d’un échange, sans préjugés.
Marie a aidé Manuela à mettre un terme à certaines relations toxiques. « J’admire énormément Manuela. Elle se relève après chaque revers. Elle parvient à offrir à ses filles une adolescence insouciante et des études supérieures dans de bonnes conditions. Manuela m’a appris beaucoup en matière de résilience. »
Manuela : « J’ai énormément de chance d’être tombée sur Marie. Je n’ai pas de papa gâteau, mais un buddy gâteau. Pour moi, cette rencontre est enrichissante à tous les niveaux : émotionnellement, mais aussi sur le plan pratique. » Marie a aidé Manuela à effectuer de petits travaux dans la maison : un tiroir qui était bloqué, une armoire à réparer… et elle lui a proposé un lift afin de lui éviter d’avoir à prendre trois trains.
Marie : « Ce trajet est pratique, mais ce n’est jamais du temps perdu. Notre amitié est profonde et chacune de nos rencontres nous procure de l’énergie. » Ensemble, elles se sont déjà rendues sur le lieu où Manuela a grandi, un voyage thérapeutique pour toutes les deux.
Le doute
Marie : « Être un buddy peut parfois se révéler difficile. Manuela me raconte des choses que je ne sais pas toujours comment gérer. Sa vie n’a pas été facile et son histoire provoque un impact émotionnel sur moi. Mais je suis heureuse que le temps que je lui accorde soit si précieux pour elle. »
Au début, Manuela n’était pas sûre de ce qu’elle pouvait apporter à Marie. Elle ne voulait pas simplement faire étalage de sa misère. Mais Marie peut aussi se tourner vers Manuela. Il s’agit d’un véritable échange qui va dans les deux sens.
Des résultats
ArmenTeKort obtient des résultats tangibles. Un bénéficiaire a trouvé un emploi dans une entreprise high-tech à Londres et un buddy a écrit un livre sur son histoire. Et puis il y a cette personne qui a décroché de la drogue et… un diplôme en psychologie ! Kirsten : « Les exemples ne manquent pas : deux buddies qui ont couru ensemble les Ten Miles d’Anvers, une personne défavorisée qui a appris à son buddy à faire du vélo ou l’a encouragé à se lancer dans l’emploi de ses rêves. L’un de nos bénévoles a même assisté au mariage de son binôme. »
Pour Manuela, les choses ont également changé. Sous l’impulsion de Marie, elle s’est réinscrite comme bénévole dans un refuge pour animaux, après avoir vu sa demande rejetée. Cette activité lui procure une grande satisfaction.
Un avenir sans pauvreté (d’opportunités)
En février 2024, le programme de Marie et Manuela s’achèvera. Et après ? L’amitié est là pour de bon. Les duos continuent à planifier régulièrement de nouveaux rendez-vous, même après le programme de mentorat.
ArmenTeKort a déjà constitué 1.000 duos. Dans les années à venir, l’ASBL aimerait voir ce chiffre passer à 5.000.
Des chiffres
- 984 personnes en situation de précarité à Anvers se sont inscrites à un programme de parrainage.
- 3632 personnes ont participé à une séance d’information.
- 71 % des personnes défavorisées ont gagné en résilience à la fin du programme ArmenTeKort.
- 17% des habitants d’Anvers vivent sous le seuil de pauvreté.
Le projet ArmenTeKort
Intéressé·e ? ArmenTeKort organise des séances d’information hebdomadaires, en ligne et en présentiel. Apprenez à considérer la pauvreté différemment, optez pour le bénévolat et faites-vous de nouveaux amis. Le projet se déroule à Anvers, avec des projets pilotes supplémentaires en Campine, à Genk, Brasschaat et Roosendaal aux Pays-Bas.
Surfez sur armentekort.be pour y décrocher le travail (bénévole) de votre vie.
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