Actrice, réalisatrice, productrice, scénariste, militante de longue date, Angelina Jolie est aussi la marraine du programme entrepreneurial et environnemental lancé par Guerlain et l’UNESCO, « Women for Bees ». Au Cambodge, un pays cher à son cœur, la Jolie abeille encadre douze femmes qui se forment au métier d’apicultrice. Une initiative qui est tout sauf édulcorée.
18 heures, un vendredi d’avril
Angelina Jolie apparaît sur l’écran de mon ordinateur. Non, je ne suis pas en train de regarder « Les Éternels » sur Netflix, et ce n’est pas non plus le fruit de mon imagination. C’est bien elle, sur Zoom. Souriante, sa peau parfaite à peine maquillée, ses longs cheveux lâchés, balayant par moments son visage. Et je ne rêve pas, elle est bien en train de répondre à ma première question. Une sorte de complicité s’instaure rapidement entre nous, deux femmes, deux mères. Angelina Jolie a le don de vous faire sentir que vous appartenez à la même communauté. Enfin, à quelques différences près, dont elle est parfaitement consciente. Nous voilà sur le point d’évoquer un formidable groupe de femmes qui se forment à l’apiculture, avec à la clé une autonomie accrue, des retombées économiques individuelles et locales, et un impact environnemental positif pour tou·te·s, abeilles comprises.
Angelina Jolie est une femme de conviction et d’action qui met depuis des années sa notoriété au service de causes humanitaires, environnementales et féministes. Guidée par une empathie sincère pour les autres, elle a développé une vision du monde personnelle. Depuis près de vingt ans, cette mère de six enfants (dont trois adopté·e·s) travaille au Cambodge avec sa fondation MJP (Maddox Jolie-Pitt), qui se bat pour réduire l’extrême pauvreté rurale et protéger l’environnement ainsi que la faune sauvage. MJP soutient également des programmes dans les domaines des soins de santé, de l’éducation, de l’agriculture et de l’empowerment au féminin.
Comme si tout ça ne suffisait pas, Angelina Jolie est également Ambassadrice de bonne volonté du Haut-Commissariat des Nations unies : « Je travaille majoritairement comme envoyée spéciale auprès des Nations unies, notamment dans le cadre de la crise en Ukraine et dans d’autres régions du monde. Récemment, j’ai défendu à Washington D.C. la loi sur la violence contre les femmes », déclare-t-elle. Avec 69 films à son actif, nous évoquons brièvement les projets cinématographiques à venir : « Je n’ai rien de prévu cette année. Je participerai peut-être à un film intitulé “Sans sang”, réalisé par Alessandro Baricco, un écrivain italien incroyable. C’est un film sur la vie au terme d’une guerre civile, sur les traumatismes et la condition humaine. » Un thème qui lui sied on ne peut mieux, comme c’était déjà le cas pour « D’abord, ils ont tué mon père » (2017) ou « Au pays du sang et du miel » (2012).
Aujourd’hui, l’égérie Guerlain (dont le symbole est, depuis la naissance de la maison en 1853, l’abeille impériale) est l’heureuse marraine du programme « Women for Bees », qui prend désormais place au Cambodge, après une première phase en France, en 2021. Cette année, douze femmes cambodgiennes seront formées à Siem Reap (district de Samlout) et au lac Tonlé Sap, reconnu comme réserve de biosphère de l’UNESCO située sur le site historique d’Angkor. Ces femmes, cheffes d’entreprise, apprendront à créer et gérer un système apicole durable. Elles en sauront aussi davantage sur l’importance des abeilles dans leur environnement et dans la culture khmère.
Rencontre avec Angelina Jolie à propos de l’engagement, la solidarité féminine, l’empathie et les abeilles, aussi travailleuses que l’actrice elle-même.
Vous avez passé vingt ans à travailler sur la crise des réfugié·e·s et les questions de conservation des espèces, vous avez fondé plusieurs écoles pour filles et votre propre fondation au Cambodge, MJP. En d’autres termes, vous êtes super active. Qu’est-ce qui a déclenché ce besoin d’engagement ?
Quand on a la chance de rencontrer les personnes que j’ai rencontrées – en particulier celles qui ont été déplacées par des conflits et qui ont vécu des choses terribles –, on se sent profondément connecté à la condition humaine à travers ces survivant·e·s et ces familles qui reviennent de loin. Par ailleurs, on est honoré et heureux de pouvoir rendre service, de quelque façon que ce soit. J’ai travaillé avec des écoles de filles en Afghanistan et dans d’autres parties du monde, ainsi qu’au Cambodge pendant une vingtaine d’années aux côtés de gens merveilleux à Samlout. Ce projet est géré localement à 100 %, ce qui est très important pour moi ; c’est donc un véritable plaisir d’y participer.
Aujourd’hui, vous êtes à nouveau la marraine de l’initiative « Women for Bees » menée par Guerlain et l’UNESCO, en collaboration cette année avec MJP, votre fondation. Quels sont l’objectif et la mission ?
Cette initiative s’est fixé plusieurs missions réalistes. Souvent, on emploie de grands mots, on affiche une envie de sauver le monde. Et on évoque tous les pollinisateurs, leur disparition et leur importance dans le monde. Mais ce qui me plaît ici, c’est l’aspect scientifique et concret : il s’agit de trouver des moyens d’étudier, protéger et comprendre les abeilles, les différentes espèces et les meilleures pratiques possible.
L’enjeu, c’est aussi la compréhension et le respect du patrimoine culturel des différents pays du monde. Chacun a développé des méthodes d’apiculture uniques qu’il faut préserver. Et puis, au cœur de tout ça, il y a aussi la formation des femmes, leurs compétences et leur capacité à devenir elles-mêmes entrepreneuses et prendre en charge leur subsistance. Lorsqu’on associe la science et la lutte pour la survie de l’espèce à la capacité de la communauté à prospérer et à survivre, le puzzle commence à prendre forme, et c’est précisément ce que fait ce projet. Il contribuera également à favoriser le potentiel de croissance économique de ces communautés. Lorsqu’une femme décroche un emploi, elle est aussi plus protégée, et c’est ainsi que se met en place un cercle vertueux.
Lorsqu’une femme décroche un emploi, elle est aussi plus protégée, et c’est ainsi que se met en place un cercle vertueux.
Pensez-vous que les femmes ont un rôle clé à jouer dans notre société ?
Bien sûr. Et c’est triste d’avoir encore à le dire. Ce n’est pas compris ni respecté. Il y a des femmes en Afghanistan qui se battent pour avoir droit à une éducation au-delà de la sixième année, et tant d’autres injustices sont commises contre les femmes dans le monde. J’étudie la question depuis des années, et pourtant j’ai l’impression de découvrir chaque jour une nouvelle forme d’oppression. Je suis invariablement choquée par l’injustice et l’impunité associée aux crimes contre les femmes.
Sommes-nous en mesure de tirer des leçons du passé ?
Nous en sommes capables, mais nous répétons aussi trop souvent les mêmes erreurs et, dans certains domaines où nous pourrions être beaucoup plus avancés, nous ne faisons que reculer. Mais je suis pleine d’espoir, car je constate que lorsque les femmes se rassemblent, leur voix se fait davantage entendre, elles gagnent en présence et en puissance. Elles se tirent mutuellement vers le haut quand elles travaillent main dans la main. C’est ce que je trouve très beau dans l’initiative « Women for Bees ». J’étais avec les femmes en France lors de leur formation (l’année dernière, dans le massif de la Sainte-Baume, en Provence), puis avec l’une des apicultrices, Aggelina Kanellopoulou, qui a accompagné les femmes cambodgiennes. Je les ai vues commencer à travailler ensemble et j’ai assisté à l’éclosion d’une vraie sororité. Elles comprennent la science, elles font des affaires, elles parviennent à accomplir tout ça les unes grâce aux autres. On va voir de plus en plus d’initiatives de ce genre dans les années à venir.
Depuis combien de temps travaillez-vous sur « Women for Bees » au Cambodge ?
Mon projet au Cambodge existe depuis 18 ans et nous protégeons donc l’environnement là-bas depuis près de deux décennies, en collaboration avec la communauté locale. Nous sommes fiers que de nombreux braconniers se soient mués en gardes forestiers, car nous leur avons confié d’autres tâches leur permettant de protéger la nature au lieu d’y chasser. Et puis, il y a quelques années, nous avons commencé à travailler avec des abeilles, en synergie avec les populations locales. C’est à peu près à cette époque également que Guerlain m’a suivie pour réaliser un tournage au Cambodge (elle a fait venir Guerlain au Cambodge en 2019 pour filmer la dernière campagne Mon Guerlain, NDLR). À travers différents projets, Guerlain et l’UNESCO s’entraident depuis longtemps pour protéger les abeilles.
Une collaboration de ce genre, est-ce unique ?
À première vue, oui. Mais quand on réfléchit aux liens entre l’industrie des parfums, les fleurs, les abeilles, ça tombe sous le sens. Guerlain s’approvisionne de façon consciente, en respectant les besoins des abeilles, mais aussi l’ensemble du cycle. Les trois entités (si j’inclus MJP) ont œuvré avec les abeilles, chacune à sa façon. La maison Guerlain s’est engagée à contribuer au travail de l’UNESCO. Maintenant, en travaillant à leurs côtés, nous sommes en mesure de donner une formation aux femmes du monde entier.
Comment s’est passée votre première rencontre avec ces apicultrices ?
Elles étaient merveilleuses. J’ai été bouleversée, car elles ne se sont pas contentées de suivre quelques cours pour décrocher un certificat. Elles ont travaillé dur, elles ont transpiré pour apprendre. Je suis très impressionnée. Certaines d’entre elles ont changé de vie… Elles ont dû mettre en place un tas de choses de façon à pouvoir disposer ne fût-ce que de quelques semaines pour suivre une formation !
Ce programme a commencé avec huit jeunes femmes l’année dernière en France et douze cette année au Cambodge. Qui sont-elles ?
Elles ont des parcours différents, mais elles sont animées par le même engagement. Elles sont dévouées, professionnelles, sérieuses et compétentes, en théorie et en pratique. J’ai été bluffée de les voir ensemble à l’œuvre. Ça a dû représenter un partage de connaissances et un apprentissage mutuel incomparables. D’ailleurs, je me suis rendu compte qu’une Française pouvait être très surprise par les abeilles du Cambodge.
Au sein de notre fondation, de jeunes enfants jouent le rôle de « gardien·ne·s de l’environnement ». Ils ont aussi participé au programme d’apiculture, aux côtés des femmes.
Y a-t-il différentes sortes d’abeilles ?
Les abeilles et les ruches sont différentes. Je ne le savais pas avant d’aller au Cambodge. Petit à petit, on commence à connaître les différentes espèces, leur importance respective, comment elles font leur apparition… Puis on tente d’aider aussi la communauté en cherchant d’autres cultures ou des moyens alternatifs de gagner de l’argent. Beaucoup de gens causent des dommages involontairement ! Leurs besoins fondamentaux ne sont pas satisfaits et ils ne disposent pas de la formation adéquate. Au sein de notre fondation, de jeunes enfants jouent le rôle de « gardien·ne·s de l’environnement ». Ils ont aussi participé au programme d’apiculture, aux côtés des femmes. Elles leur ont appris à connaître les abeilles, et c’était formidable de voir la transmission des connaissances à la jeune génération, sans distinction de genre. Bien sûr, nous nous concentrons sur les femmes, mais nous savons qu’à leur tour elles formeront les hommes.
Aujourd’hui, près de 75 % de toutes les plantes cultivées et 90% des plantes à fleurs sauvages dépendent des pollinisateurs, et notamment des abeilles. Pensez-vous qu’on réalise à quel point leur survie est déterminante pour la nôtre ?
Au fond de nous-mêmes, nous sommes tous conscients de l’importance des forêts et des écosystèmes. Nous connaissons tous les dangers que représente le changement climatique. Nous le savons. Mais parfois nous sommes paralysés par la situation. Nous en sommes attristés, mais nous ne savons pas quoi faire pour l’arrêter. Il est très important que nous cherchions des solutions pratiques adaptées pour changer les choses ensemble, tout en continuant à développer notre prise de conscience, car nous avons encore tant à apprendre.
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L’année dernière, vous avez participé à un shooting photo avec Dan Winters pour National Geographic à l’occasion du « Bee Day » (qui est célébré le 20 mai chaque année). Sur l’un des portraits, vous apparaissez couverte d’abeilles, afin de sensibiliser le public à leur disparition. Avez-vous eu peur ? En gardez-vous un bon souvenir ?
Un excellent souvenir. Je ne crains pas les abeilles. En fait, ça m’a un peu rappelé la méditation, parce qu’il faut rester immobile, et moi je ne tiens pas en place ! On entend un bourdonnement qui fait penser au chant des moines au Cambodge. Elles bourdonnent tellement fort qu’on a l’impression que le son nous enveloppe ; on doit juste respirer, il n’y a rien d’autre à faire. D’une certaine manière, ça nous invite à habiter notre corps en tant qu’être. Mes enfants étaient présents. Ils n’ont pas fait exactement la même chose que moi, mais Shilo et Vivienne avaient aussi des abeilles sur eux et autour d’eux.
Avez-vous dû faire quelque chose de particulier pour préparer le shooting ?
Nous n’avons pas pu prendre de douche pendant trois jours. (Rires) Ils nous ont interdit d’utiliser du parfum ou autres lotions. Les abeilles piquent si elles ne savent pas à qui elles ont affaire. Si elles sentent notre odeur, elles détectent la présence d’un autre être. Ça les aide à se poser sur nous, comme elles le feraient sur un autre animal. Mais si on dégage d’autres odeurs, elles sont confuses. C’est cocasse, parce que bien entendu Guerlain vend du parfum, mais on n’est pas censé en porter à proximité des abeilles. Du coup, on était tous assez sales et pas maquillés. C’était plutôt agréable. Finalement, on n’a pas souvent l’occasion de vivre ce genre de moment : se poser, être présent et laisser cette autre créature nous explorer. J’aime cette photo plus que n’importe quel autre portrait de moi, parce qu’il me semble à la fois beau et humain.
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