Fashion Week de Copenhague : la plus green de toutes ?

Mis à jour le 17 juin 2022 par Jolien Vanhoof et ELLE Belgique
Fashion Week de Copenhague : la plus green de toutes ? © Imaxtree

La Fashion Week de Copenhague est pionnière en matière de mode durable. Les marques doivent se montrer les plus clean possible pour décrocher le précieux sésame. ELLE était en front row de Baum und Pferdgarten, l'une des favorites du public, et a pu assister aux premiers pas de la Suédoise Jade Cropper. Un bleu a-t-il plus de facilité à être green aujourd'hui ?

Copenhague, le 3 février 2022. Nous sommes au siège de Baum un Pferdgarten, la marque de mode danoise qui « veut rendre les femmes belles et heureuses ». Hier soir, Helle Hestehave et Rikke Baumgarten ont présenté leur dernière collection automne-hiver baptisée Pursuing Polaris : des pulls en laine, des pyjamas en soie, des robes midi aux imprimés abstraits et des pantalons, jupes et vestes en tissu matelassé. Sans surprise, le rouge vif connaît un grand succès auprès des acheteurs internationaux qui remplissent progressivement la salle. La couleur forme un merveilleux contraste avec la majesté du bâtiment, et c’est précisément cette opposition que recherchent les créatrices depuis leur lancement en 1999. « Nos caractères et nos styles sont très différents », confie Helle, la minimaliste du duo. « À l’école, Rikke était surtout inspirée par Vivienne Westwood, moi par Comme des Garçons. Ça veut tout dire (rires). Mais le travail de l’autre nous intriguait. Comme une sorte de curiosité pour l’inconnu. J’étais incapable de faire ce qu’elle faisait, et vice versa. Aujourd’hui encore, je me concentre davantage sur le tailoring et les pièces plus masculines de la collection, tandis que Rikke excelle dans l’art de susciter l’enthousiasme avec un savant mélange d’imprimés et de couleurs. »

Une amitié et des vêtements

Après leurs études de mode à la Royal Danish Academy, Rikke et Helle sont devenues meilleures amies et partenaires commerciales. Elles ont lancé Baum und Pferdgarten le 1er janvier 1999 dans la chambre de Helle. Une folie quand elles y repensent aujourd’hui. Surtout pour la lenteur et la maladresse avec lesquelles les choses se sont déroulées. Néanmoins, elles tombent rapidement d’accord sur le nom Baum und Pferdgarten – l’un des plus difficiles à prononcer dans le domaine de la mode. Rikke se souvient d’une séance de brainstorming avec leurs chéris et beaucoup d’alcool. Helle a sa propre version des faits : « On n’a rien bu (rires) ! » « Dans le cadre d’un projet pendant nos études, nous devions imaginer un nom de marque pour notre communiqué de presse. Nous avons donc joué avec des mots allemands, ce qui est fréquent au Danemark. » Rikke : « Mon nom de famille est Baumgarten et celui de Helle Hestehave, qui devient Pferdgarten en allemand. Ensemble, nous sommes un arbre et un jardin de chevaux. Parfaitement logique, non ? »

"Si Baum ne produisait qu'au Danemark, nos collections se cantonneraient à des chaussettes et des sous-vêtements." Helle Hestehave

Le projet sur lequel elles travaillaient portait sur le recyclage. À l’époque, c’était déjà un sujet d’actualité. « Mais on ne réfléchissait pas encore en termes de durabilité comme on le fait aujourd’hui », explique Rikke. « La qualité de nos vêtements a toujours été l’une de nos priorités. L’idée est de porter une pièce Baum pendant de longues années, même après 40 lavages. Et peut-être même de la transmettre de génération en génération. La transmission est aussi un concept durable. » J’évoque la difficulté pour une marque établie comme Baum und Pferdgarten de verdir chaque aspect, chaque recoin de son entreprise, alors que pour une jeune marque c’est presque un automatisme de nos jours. Helle : « Si nous devions recommencer aujourd’hui, nous mettrions directement l’accent sur l’environnement. Les choses étaient différentes il y a 23 ans. À l’époque, nous pouvions nous contenter d’être créatives. » Et Rikke d’ajouter : « Redresser un grand navire comme le nôtre représente un vrai défi. Certaines mesures sont évidentes, comme remplacer le coton par du coton biologique et le polyester par du polyester recyclé. Mais d’autres sont plus difficiles à mettre en œuvre. L’amélioration de nos produits n’est pas un processus linéaire,  nous progressons plus rapidement dans certains domaines que dans d’autres. Mais nous nous obstinons dans cette voie et gardons le cap. »

Fashion Week de Copenhague
Baum und Pferdgarten AW22 © Presse

Chaussettes sales

La marque de mode danoise publie chaque année un volumineux rapport RSE qui met en exergue ses efforts en matière d’écologie et présente son plan de développement durable pour l’avenir. D’ici 2024, cela signifiera 100 % de coton biologique, 100 % de nylon recyclé, 100 % de laine durable, des emballages en plastique 100 % réutilisables... Les ambitions de Rikke et Helle ne sont pas des moindres, à l’instar des conditions requises pour faire partie des élus à la semaine de la mode de Copenhague. Les 2023 Sustainability Requirements comprennent pas moins de 17 critères que toute marque devra bientôt remplir pour obtenir une place dans le calendrier officiel. De la promesse d’utiliser au moins 50 % de textile certifié et de ne pas détruire les invendus à une scénographie zéro déchet pour le défilé lui-même. Selon Cecilie Thorsmark, CEO de la semaine de la mode danoise, le système est strict mais juste. Je la croise entre deux défilés et l’interroge sur l’acceptation de cette batterie d’exigences strictes : « L’industrie de la mode n’a jamais été aussi ouverte au changement. Si nous avions mis un tel système en œuvre il y a cinq ans par exemple, je ne suis pas sûre qu’il aurait eu une telle portée », souligne Cecilie Thorsmark. « La plupart des marques prenaient déjà des mesures durables, elles ont donc pu monter à bord sans trop d’efforts. »

Helle Hestehave et Rikke Baumgarten se sont associées pour la première fois en 2019 à Closed Loop, un cabinet de consultance danois qui analyse également la croissance écologique d’autres marques scandinaves comme By Malene Birger et Wood Wood. Une étape nécessaire selon les deux directrices de la création, qui admettent avoir du mal à définir leurs objectifs écologiques pour les années à venir. « Nous essayons de garder des ambitions aussi réalistes que possible, mais bien sûr, en tant qu’entreprise active dans la mode, nous voulons aussi faire une différence significative », explique Helle. « C’est un exercice d’équilibre constant entre ce que nous cherchons à accomplir et ce qui rentre effectivement dans nos possibilités. » Si elles n’atteignent pas certains objectifs, elles ne s’en cachent pas, que ce soit dans leur rapport RSE, sur leur site web, via les réseaux sociaux... Pour 2022, par exemple, elles n’ont pas réussi à utiliser au moins 50 % de polyamide recyclé. Et pourtant force est de constater que Baum und Pferdgarten est un bon élève. Closed Loop est déjà arrivé à cette conclusion en 2019, à l’issue d’une première analyse. « Même si nous n’avons pas toujours été stratégiques en matière de durabilité, nous avons toujours fabriqué nos vêtements avec amour », clame Rikke. « Depuis des années, nous faisons confiance aux mêmes producteurs/trices qui croient en des conditions de travail équitables, et n’ont pas peur de remettre en question nos choix de conception et de matériaux. Il y a une quinzaine d’années, je voulais absolument une chaussette rose fluo dans la collection. Notre fabricant chinois m’a convaincue que ce serait beaucoup trop polluant, et nous avons donc recherché ensemble une alternative. »

Fashion Week de Copenhague
Jade Cropper © Imaxtree

Cuir vegan, bullshit

Le mot « durable » est rarement prononcé chez Baum und Pferdgarten, qui préfère parler de responsabilité des entreprises. Parce que la mode n’est jamais vraiment verte. « Vouloir vendre le plus possible tout en étant durable relève du paradoxe », explique Helle. « À moins que vous ne limitiez la production et la vente au niveau local, avec des tissus de haute qualité issus de fils biologiques. Mais ça a un prix, et le/la consommateurtrice/trice doit être prêt à le payer. Je ne crois d’ailleurs pas que local soit synonyme de meilleur. La soie de Chine présente une qualité inégalable, avec laquelle nous ne pouvons pas rivaliser. Si Baum ne produisait qu’au Danemark, nos collections se cantonneraient à des chaussettes et des sous-vêtements (rires). » Rikke poursuit : « De nombreuses marques brandissent une headline sur leur site web ou une étiquette verte sur leurs vêtements. Mais entreprendre de manière responsable implique d’aller plus loin, en communiquant de manière claire et transparente, en déployant des alternatives respectueuses de l’environnement... Et je ne parle pas des produits synthétiques. Du cuir vegan, bullshit ! C’est juste du greenwashing. »

Cecilie Thorsmark partage ce point de vue : « Il n’existe pas de marque intrinsèquement durable. Celles qui accordent une grande importance à la durabilité adoptent une approche holistique, et examinent les aspects sociaux et économiques dans la même optique. Le potentiel de remise en cause de la dynamique actuelle du marché est énorme, et la semaine de la mode de Copenhague veut le stimuler. » Pour l’instant, des collaborations sont prévues avec le Copenhagen International Fashion Fair (CIFF), le Norwegian Fashion Hub, l’Oslo Runway et l’Icelandic Fashion Council, mais Cecilie Thorsmark espère que d’autres semaines de la mode vont prendre le train en marche. « Pour avoir un impact au niveau mondial, notre communauté créative à Copenhague ne suffit pas... » 

Fashion Week de Copenhague
ISO.POETISM AW22 © Imaxtree

Powered by Zalando

La semaine de la mode de Copenhague restera marquée d’une pierre blanche pour le Danois Tobias Birk Nielsen : son jeune label ISO.POETISM a remporté le Zalando Sustainability Award 2022. Le jury a salué ses looks urbains qui allient des tissus recyclés avec des techniques de teinture innovantes. Le butin ? 20.000 euros et une collaboration avec Zalando en vue de développer une collection exclusive et durable.

Mini-interview de Jade Cropper

Elle a lancé son label de mode en plein Covid, sans mesurer l’ampleur de la pandémie. Kim Kardashian a acheté presque toutes les pièces de sa collection de fin d’études, mais ça n’a pas semblé la perturber non plus. La Suédoise Jade Cropper est l’un des visages du nouveau style scandinave : tout sauf normcore, mais très punk, marginal et green.

Vous n’utilisez que du « deadstock » et des matériaux recyclés. Une approche limitative ou libératrice ?

Les chutes de tissu que je reçois ou que je déniche forment rarement un bel ensemble. Elles diffèrent par leur couleur, leur dimension, leur texture, mais c’est ce qui les rend fascinantes. Je pense que l’imperfection et l’asymétrie sont esthétiques. Ce sont précisément ces limitations qui me guident dans mes créations. La production peut également représenter un défi. Les tissus disponibles sont limités, ce qui nécessite une approche différente de celle des chaînes de production classiques.

Est-il réaliste de continuer à mettre l’accent sur la durabilité à mesure que vous vous développez ?

Je suis consciente que ça deviendra plus difficile au fur et à mesure que le label grandira. Mais l’éthique doit rester l’objectif. C’est non seulement crucial pour la vision et le développement de ma propre marque, mais aussi indispensable pour rendre l’industrie de la mode dans son ensemble un peu plus propre. Jusqu’à présent, la majeure partie de ma production avait lieu dans mon studio, où je réalisais tout moi-même à la main. Mais je me réjouis des partenariats possibles pour produire plus sans sacrifier la qualité et la durabilité.

Quelle est votre source d’inspiration ?

Ma grand-mère ! C’était une personne extraordinaire qui a mené sa vie comme elle l’entendait. Une âme libre, une femme indépendante et émancipée. Elle a osé être un peu too much. Je suis tout le contraire, très introvertie. Les vêtements que je crée montrent une version différente de moi-même. Un alter ego couillu (rires).

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