C’est un retour à 1973 qui fait peur autant qu’il écoeure. Ou pour citer les mots de la démocrate Nancy Pelosi : “À cause de Donald Trump, de Mitch McConnell, du Parti républicain et de leur super-majorité à la Cour suprême, les femmes américaines ont aujourd’hui moins de liberté que leurs mères”. Voici pourquoi révoquer le droit à l’avortement est un désastre.

Un volte-face tristement historique

Ce vendredi 24 juin, la très conservatrice Cour Suprême américaine (résultat de quatre années de présidence Trump) a révoqué le fameux arrêt « Roe v. Wade » qui protégeait le droit à l’avortement depuis près de cinquante ans aux États-Unis. Cette décision a pour conséquence directe de donner le droit à chacun des cinquante États de décider d’interdire ou non l’IVG selon ses conditions.

La Cour suprême des États-Unis étant la plus haute juridiction du pays, le président lui-même ne peut contester l’avis des six juges qui ont décidé de revenir sur ce droit. Dans leur décision, ceux-ci ont estimé que l’arrêt Roe v. Wade avait, d’une certaine manière, violé la séparation entre l’État fédéral et les États fédérés. Une désolante victoire de la droite conservatrice sur le droit des femmes, et dont les conséquences seront amenées à durer. L’un des seuls recours envisageables pour contre-circuiter cette décision ? La voie législative. Les démocrates militent en effet pour l’inscription du droit à l’avortement dans la loi, une solution plus que remise en question vu les forces politiques présentes au Congrès. Ce tournant démocratique amène une autre crainte, celle de voir la droite religieuse s’attaquer ensuite aux autres droits qu’elle conteste : contraception, mariage pour tous, relations entre personnes du même sexe…

Pourtant, les enquêtes d’opinion montrent qu’une majorité d’Américaines et d’Américains soutiennent le droit à l’avortement, mais les conservateurs chrétiens et militants “pro-vie” avaient depuis des décennies l’objectif affiché d’annuler l’arrêt “Roe v. Wade”.

 

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Des réactions internationales

Alors que l’ancien président républicain Donald Trump a salué une décision “redonnant les droits aux États, là où ils auraient toujours dû rester”, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi a déclaré que “la Cour suprême sous contrôle républicain” avait atteint son “objectif sombre et extrême d’arracher le droit des femmes à prendre elles-mêmes des décisions sur la santé reproductive”.

Barack Obama a estimé que la décision “intensément personnelle” d’avorter était désormais soumise “aux caprices des politiciens et des idéologues, attaquant les libertés fondamentales de millions d’Américaines”. Emmanuel Macron a exprimé sa solidarité ces dernières. Justin Trudeau a quant à lui déploré une décision “terrifiante”, tandis que Boris Johnson a regretté “un grand pas en arrière”. Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, dit : “Les droits des femmes doivent être respectés, j’aurais attendu de l’Amérique qu’elle protège de tels droits”.

La moitié des États pourraient décider d’interdire l’IVG

Les conséquences sont immédiates. Selon le Center for Reproductive Rights, près de la moitié des États pourraient décider d’interdire l’IVG. 58% des Américaines – soit 40 millions de femmes environ – pourraient donc se voir privées de ce droit ou en être drastiquement limitées.

Ces dernières années, treize Etats (surtout dans le Sud et le centre religieux et conservateur), possédaient déjà des lois dites “zombie” ou “gâchette” rédigées pour entrer en vigueur automatiquement en cas de changement de jurisprudence à la Cour suprême. Pour l’instant, neuf États ont rendu l’avortement illégal dès l’annonce de l’arrêt de la Cour suprême. Mais la liste des territoires concernés risque de rapidement s’allonger.

Le procureur général du Missouri a annoncé quelques minutes après la décision de la Cour Suprême que son Etat devenait le “premier” à interdire l’avortement. Parmi les États à lui avoir directement emboîté le pas, on citera l’Arkansas, l’Oklahoma, l’Alabama, le Wisconsin, l’Idaho et le Tennessee, mais aussi le Texas. Chaque État peut désormais instaurer sa propre législation sur le sujet, avec des nuances. Alors que l’Idaho prévoit des exceptions en cas de viol ou d’inceste, le Kentucky permet l’IVG uniquement en cas de danger pour la vie de la mère. Jusqu’à dix ans de prison sont requis pour les professionnels de santé en Louisiane, quinze ans de prison pour le Missouri. Dans certains Etats, les femmes ayant recours à l’avortement pourront se voir infliger une amende ou une peine de prison.

 

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Des conséquences terribles sur les Américaines

“D’une certaine manière, l’Amérique post-Roe serait le reflet de l’Amérique pré-Roe”, mettait en garde le New York Times en décembre 2021. Il faut désormais s’attendre à une situation similaire à “avant 1973” aux États-Unis. Soit des femmes obligées de mettre leur vie en péril au travers d’avortements clandestins bâclés à partir d’aiguilles à tricoter, de cintres en fer ou de tout autre objet assez long pour atteindre l’utérus.

Il est actuellement possible de commander sur Internet, ou d’acheter au Mexique où elles sont en vente libre, des pilules abortives efficaces et sûres jusqu’à dix semaines de grosses. “Officiellement, il est illégal de vendre à des patients américains des médicaments prescrits dans un autre pays sans ordonnance d’un médecin agréé aux Etats-Unis. Dans les faits, l’application de cette loi est très difficile”, explique Le Monde. Mais les femmes qui n’y ont pas accès ou qui en ignorent l’existence, risquent de mettre leur vie en péril en tentant d’avorter par leur propre moyen (chute dans l’escalier, coups dans le ventre, ingestion de produits dangereux…).

L’autre solution pour celles qui souhaitent avorter : se rendre dans l’Etat le plus proche où l’IVG est légale. Depuis l’annulation de “Roe v. Wade”, de nombreux États qui ont renforcé le droit à l’avortement sur leur sol et s’engagent à le protéger – comme la Californie – devraient voir affluer des patientes. Un risque de saturation des capacités d’accueil des cliniques qui font craindre à de nombreuses associations une incapacité de prise en charge dans les délais raisonnables. Les femmes issues de minorités ou de milieux précaires seront les premières victimes de ce nouveau système (coût des billets d’avion, de l’essence, de l’hôtel ou encore de la garde d’enfants). Pourtant, selon le Guttmacher Institute, environ trois quarts des avortements concernent les Américaines pauvres ou à faibles revenus. Ces dernières ont souvent un accès limité aux soins de santé et à un moyen contraceptif efficace. En outre, les écoles dispensent souvent une éducation sexuelle inadéquate.

…et sur l’économie du pays

Tout ça pourrait avoir des conséquences “très néfastes sur l’économie” avait déjà averti début mai la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen. L’interdiction de l’accès à l’avortement empêche non seulement des femmes à continuer leurs études et à gagner correctement leur vie, mais augmente également leurs chances de tomber dans la pauvreté. La décision Roe v. Wade “a contribué à accroître la participation au marché du travail pour des jeunes femmes”, avait rappelé Janet Yellen. “L’élimination d’un droit qui existe depuis un demi-siècle, en particulier pour les femmes à faible revenu et appartenant à des minorités, qui ont déjà subi une grande partie du fardeau de la pandémie de Covid, serait un désastre”. De plus, la recherche montre que la décision Roe v. Wade a “un impact favorable sur le bien-être (…) des enfants” selon la ministre.

 

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Qu’en est-il du droit à l’avortement en Belgique ?

Forcément, la question qui se pose est : un tel renversement de l’histoire est-il imaginable chez nous ? En Belgique, ce n’est qu’en 1973 que la contraception est devenue licite. Cela suite à un vaste mouvement de désobéissance civile qui suivit l’ « affaire Peers », du nom du médecin namurois humaniste arrêté pour avoir pratiqué plus de 300 avortements. L’avortement proprement dit, lui, ne sera dépénalisé sous conditions qu’en 1990. Cela sans le soutien du Roi Baudouin qui refuse de contresigner la loi et cessera donc de régner temporairement. L’avortement était pourtant pratiqué dans de nombreux centres depuis les années 70.

Pendant les 28 années qui suivront, l’IVG fera donc l’objet d’une dépénalisation partielle mais pas d’une loi la légalisant, ce qui permettra à de nombreux opposants de s’attaquer régulièrement à la loi et au droit des femmes à choisir ou non de poursuivre une grossesse. Pendant 28 ans, l’avortement restera inscrit dans le Code pénal comme un crime contre l’ordre des familles et la moralité publique. « Qualifier l’avortement de délit, c’est perpétuer une stigmatisation de l’interruption volontaire de grossesse. Cela alourdit les démarches pour la femme qui se pose cette question. Et cela tend à la culpabiliser, avant même qu’elle ait pu faire un choix », résume le Centre d’Action Laïque en Belgique.

En 2018, une nouvelle loi supprime l’état de détresse que doit démontrer la femme quand elle demande une IVG sort l’avortement du Code pénal. Mais des sanctions subsistent en cas de non-respect des conditions : pas d’avortement au-delà de 12 semaines de grossesse et un délai de réflexion de 6 jours obligatoire. Le texte reste inchangé malgré les demandes répétées d’amélioration des conditions légales. Au Pays-Bas, ce délai est de 24 semaines et le temps de réflexion de 5 jours. Une preuve du caractère arbitraire de la loi dans chaque pays.

Un droit loin d’être acquis

Le combat pour un véritable droit à l’avortement n’est donc toujours pas gagné. Même en Europe, la vigilance reste de mise. La montée des partis d’extrême-droite conservateurs contre le droit à l’IVG impose la prudence. En Europe, plusieurs pays ne reconnaissent d’ailleurs toujours pas ce droit (Pologne, Chypre, Malte, Irlande…).

C’est un chiffre affolant, pourtant, 60% des pays dans le monde interdisent l’avortement. Par conséquent, on estime que 40 000 femmes meurent des suites d’un avortement non médicalisé et des millions d’autres sont mutilées.

Le Centre d’Action Laïque en Belgique rappelle ainsi : “Les mouvements “anti-IVG” peuvent sembler marginaux, ils trouvent cependant écho dans les médias et les Parlements. D’une part, parce qu’ils sont organisés et soutenus par de puissants lobbys religieux. D’autre part, parce que leurs discours de moins en moins agressifs et de plus en plus compassionnels modifient peu à peu la perception de l’avortement dans l’opinion publique”.

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