« Vert », ça n’est pas toujours synonyme de transparent. On investit dans des pièces en coton bio, mais la matière n’est pas le seul critère d’écoresponsabilité : la production, la distance, et surtout le recyclage pèsent lourd dans la balance écologique. Réparer, transformer et revaloriser sont les nouveaux piliers de la mode durable.
Si le recyclage de nos déchets de production et de consommation (de mode et de tout le reste) reste le grand défi des années à venir, la meilleure façon de ralentir le processus d’exploitation des ressources serait sans doute, pour commencer, de redé- couvrir et d’embellir ce qu’on a déjà. Dans cette dynamique, des initiatives de fashion-réhabilitation avec une optique luxe et pointue permettent de redonner vie à une belle pièce oubliée ou à un vêtement de qualité, hérité ou obsolète. À Londres, The Seam ou Reture nous offrent d’aimer à nouveau nos fonds de garde-robe, en mettant en relation des artisan·e·s – couturier·e·s ou jeunes créateurs/ trices – avec des client·e·s prêts à redécouvrir un manteau ancien en veste sur mesure, plein d’histoires et introuvable dans le commerce.
À Paris, Julie Henocq a créé sa Clinique du pull pendant le confinement et après 25 ans de métier dans le domaine de la maille. Elle réceptionne des tricots abîmés et leur rend un second souffle en ajoutant sa patte créative, discrète, comme une suture pleine de charme. Le résultat est bluffant, et touchant. Comme les pièces rénovées, l’idée est belle mais pas neuve : Donald Potard, ancien PDG du Groupe Jean-Paul Gaultier pendant 25 ans, expert du luxe, rappelle qu’ « au XIXe siècle, le marché des vêtements de seconde main était bien plus important que celui des pièces neuves. Puis sont arrivées des techniques de mécanisation, au détriment des broderies réalisées à la main. Les femmes rachetaient alors, par exemple, des gilets d’hommes brodés, qu’elles découpaient puis adaptaient pour en récupérer le savoir-faire ». Dans la même intention glamour modernisée, Sophie Helsmoortel, fondatrice du concept store Cachemire Coton Soie, s’est lancée dans un projet personnel de transformation de couvertures de laine en manteaux, qu’elle brode ensuite point à point. De son côté et pour sa maison créateur, Olivier Theyskens a réinventé pour ses nouvelles collections des tissus uniques et inimitables à partir de stocks existants.
Le fil du temps qu’on prend
« Depuis deux ans, j’ai ramené l’ensemble de mon activité de développement et d’études dans mon studio à Paris. Tout est fait sur place. On fabrique la majeure partie de nos matières, par réutilisation et assemblage de tissus. Ils sont coupés en biais, recousus par lamelle d’échantillons de nos stocks, puis froissés, chauffés, repassés, selon une méthode proche du travail de Fortuny. Ce processus tient de la sculpture et de la création de couleurs particulières, pour aboutir à de nouvelles textures. Ensuite, je drape et j’assemble directement le tissu sur mannequins. » Olivier Theyskens obtient ainsi des patchworks de matières en biais allongés, des mélanges d’imprimés, des fusions exceptionnelles de soies et de dentelles. « Je garde depuis toujours mes beaux échantillons de tissus, il y en a même ici que je conserve depuis les années 90, quand j’étais encore à Bruxelles. »
Cette collection rassemble une composition exceptionnelle de couleurs flamboyantes, une touche de sublimation de soieries françaises qui n’existe plus aujourd’hui. « Il peut s’agir aussi de coupons d’anciennes collections, de fins de rouleaux de tissus chinés. Je prends parfois plaisir à finir un rouleau de deux mètres, découpé dans tous les sens. C’est une forme de recyclage, car je n’ai pas lancé de production de tissus dans le cadre de ce travail. C’est un exercice de style pour moi depuis deux saisons, mais ça ne deviendra pas systématique, parce qu’il faut aussi faire travailler les fabricant·e·s de tissu... En tout cas, reconsidérer ce dont on dispose, le réutiliser pour obtenir un résultat totalement neuf et différent avec des matières dont ce n’était pas la première destination, permet d’obtenir des pièces uniques, réalisées à la commande, ou en très petites quantités. On peut toujours évoluer et innover. Pour moi, c’est un Acte II vers le fait de prendre le temps, de construire un attachement singulier à ce travail, qui est une philosophie. » Pour Pascaline Wilhelm, spécialiste en prospective matière-textiles et consultante stratégique dans la mode, « la démarche d’Olivier Theyskens est différenciante, c’est un processus très fort, qui crée une particularité, une exception, une nouvelle matière ». À réflexion, notamment.
Le (re)cycle de la vie
Pascaline analyse : « Aujourd’hui, ce qu’il y a de plus compliqué, parmi toutes les initiatives particulières de “refaire”, ces petits ruisseaux qui font les grandes rivières, c’est de déterminer encore où se pose la création. Car au-delà de refaire, il y a surtout l’idée d’inventer. De repartir de choses existantes, de générer de nouvelles bases de fabrication. Il faut distinguer la partie artisanale, et la problématique à plus grande échelle de produits qui ne sont plus bons sur le marché : comment les réhabiliter, leur redonner une âme et une utilité ? » C’est là qu’intervient la créativité pure, au-de- là du bon sens de ne pas gaspiller.
L’experte souligne d’ailleurs que paradoxalement, « avec les alternatives synthétiques au cuir, on se retrouve aujourd’hui avec un souci de peaux alimentaires qu’on doit jeter ». Que ce soit pour des raisons économiques ou écologiques, la question de la valorisation des déchets est en passe de focaliser toutes les attentions : « Lenzing, une entreprise autrichienne qui fabrique du lyocell et de la viscose – fibres obtenues à partir de bois cultivés dans des forêts gérées – intègre à ses proces- sus de fabrication des déchets de coton. La production est à près de 50 % issue de restes. »
Désormais, on fabrique des doudounes à partir de filtres de cigarettes, des start-ups arrivent à produire des agglomérés refondus en récoltant des stylos jetables et des briquets. « Des stocks de vêtements devenus importables sont déchiquetés pour devenir de l’isolant de bâtiments, et la marque Freitag, qui fabrique des sacs à partir de bâches de camions, a lancé une petite ligne de vêtements écoresponsable dont tous les composants ont été conçus pour être détachables rapidement, recyclés et compostés. » En amont du recyclage, l’écoconception reste la clef. La mode vit une révolution, de ces cycles qui reviennent mais ne tournent plus en rond.
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