Femmes en Belgique : 3 combats qui ont changé leur vie cette année

Mis à jour le 30 juin 2022 par Camille Vernin
Femmes en Belgique : 3 combats qui ont changé leur vie cette année © Joel Muniz / Unsplash

Au départ, il et elles ne sont ni politicien·ne·s, ni militant·e·s, ni super-héro·ïne·s. Rien ne les prédisposait à devenir les figures de proue de mouvements importants et précurseurs en Belgique. Chacun·e, avec la conviction intime qu’un changement était possible, a pourtant permis de faire avancer à sa manière la cause des femmes. En permettant non seulement d’améliorer à leur échelle leur quotidien, mais aussi en provoquant un sursaut politique et sociétal. Leur bataille est loin d’être terminée. Ça tombe bien, car il et elles n’ont pas fini d’en découdre. Voici les portraits de personnes grâce auxquelles les choses vont un peu mieux qu’hier et un peu moins bien que demain pour les femmes en Belgique.

Maïté Meeus - #Balancetonbar

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Maïté Meeus © Presse

Le tribunal médiatique est malheureusement le résultat des défaillances judiciaires.

Difficile d’être passé à côté du mouvement #balancetonbar ces derniers mois. En octobre 2021, plusieurs femmes portent plainte pour avoir été droguées à leur insu puis agressées sexuellement dans plusieurs institutions du quartier du Cimetière d’Ixelles. On parle d’abord du Waff et du El Café, mais ce sont bientôt des dizaines d’autres bars à travers la Belgique qui sont concernés. On pourrait parler de « révélation », mais le nombre de témoignages est tel que l’on tend plutôt à se demander depuis combien de temps tout le monde fermait les yeux.

C’est ici qu’intervient Maïté Meeus. Cette Bruxelloise de 23 ans se rend compte que les récits qui se répandent les réseaux ne doivent pas rester des témoignages isolés. Pour que l’indignation collective prenne forme, il faut les centraliser, les mettre en lumière. Elle crée la page Instagram @balance_ton_bar suivi aujourd’hui par 32 k personnes. Sa façon à elle de dire : « Soumissions chimiques, violences sexuelles, agressions… Voici ce qu’il se passe dans le monde de la nuit en Belgique. » « Quand je reçois des témoignages, je demande à la personne si elle souhaite que je les publie », explique Maïté. « Car certaines viennent juste se confier. D’autres me demandent des ressources ou des conseils : psys, avocat·e·s, centre de prise en charge des violences sexuelles (CPVS)… »

Quand on lui demande comment elle explique l’écart entre le nombre de témoignages qu’elle reçoit et le nombre de plaintes déposées, elle répond avec lassitude : « Le parcours des victimes au sein du système judiciaire est un véritable parcours de combattant·e. Au moment de la plainte, leur parole est rarement crue, ce qui représente une double peine pour les survivantes. » Pour l’instant, elle dit n’avoir reçu qu’un seul témoignage d’agresseur condamné. « Il y a clairement une impunité », explique-t-elle. « Beaucoup de femmes sont découragées de se livrer sans être crues. Il y a cette espèce d’incertitude, ou plutôt de certitude de ne pas être entendue, que justice “ne soit pas faite.” »  

Maïté entre bientôt en contact avec les politiques et les médias pour faire tourner cette cause au maximum. Pour l’aider, elle rencontre le milieu associatif et militant. Il y a notamment l’UFIA (Union féministe inclusive autogérée) créée dans l’urgence suite au scandale, avec lequel elle organise de grandes manifestations à Bruxelles en novembre, directement après les événements. Un seul mot d’ordre répété inlassablement : « On vous croit. » Cette phrase rabâchée en boucle, c’est le cœur de sa page Instagram. « J’étais en interview sur La Première avec Maître Caroline Poiré (avocate spécialisée dans les matières de violences sexuelles, NDLR) et on lui demandait si cela compliquait le travail de la justice que les langues se délient sur les réseaux », raconte Maïté. « Elle a répondu qu’elle en avait marre d’entendre cette question, car le tribunal médiatique n’est malheureusement que le résultat des défaillances judiciaires. »

Maïté va jusqu’à parler d’une vraie « sororité » en ligne. Mais elle a conscience de ses limites. « OK, c’est génial de libérer la parole, mais il faut aussi qu’une réelle volonté politique suive. » Et à force de radoter, les politicien·ne·s ont enfin tendu l’oreille. Un budget de 610.000 euros a été débloqué pour le mouvement #balancetonbar afin de lutter contre les violences sexuelles dans le monde de la nuit. La Ville de Bruxelles a quant à elle lancé le plan « Rien sans mon consentement » avec 77 mesures pour lutter contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l’espace public. Le Code pénal sexuel inclut désormais la notion de soumission chimique, une nouveauté historique. « Pas mal de choses bougent », conclut Maïté. « À voir comment cela va se concrétiser, car je reçois encore des tonnes de témoignages. Tout ça ne s’arrête pas aussi facilement. Il faut former la police, réformer la justice, sécuriser les boîtes, éduquer, sensibiliser… » Le 25 avril dernier, elle apprend que toutes les plaintes pour viols avec soumission chimique contre la figure de la nuit bruxelloise Carl De Moncharline ont été classées sans suite. « C’est un crachat au visage des victimes », se désole-t-elle. « Classé sans suite au bout de deux semaines ? Les moyens déployés pour ces enquêtes ne sont pas comparables à ce que l’on met en place dans le droit financier. La justice refuse de prendre ces affaires au sérieux et tant que ça continuera, tout ce que nous ferons sera vain. » 

Daan et Laïs - Utsopi

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Daan © Presse

Mon espoir, c’est qu’une loi antiputophobie voit le jour.

26.000, c’est le nombre estimé de travailleurs et travailleuses du sexe en Belgique (95 % de femmes, 3 % de trans et 2 % d’hommes). Depuis le 18 mars, après 30 ans de lutte, ces milliers de personnes sont enfin considérées comme des travailleuses comme les autres. Elles peuvent obtenir un contrat, des droits sociaux et une protection juridique. Le Parlement fédéral vient en effet d’approuver la décriminalisation du travail du sexe en Belgique, faisant de notre pays le premier d’Europe et le deuxième dans le monde après la Nouvelle-Zélande à adopter une telle réforme. Désormais, la prostitution est décriminalisée, mais pas le proxénétisme, qui est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 500 à 25.000 euros. Une peine qui peut sembler minime, mais qui augmente avec le nombre de victimes et la situation de vulnérabilité de celles-ci.

Cette réforme historique n’aurait sans doute jamais vu le jour sans le plaidoyer acharné de l’Union des travailleur.euse·s du sexe organisé·e·s pour l’indépendance (Utsopi). « Avant, la prostitution n’était pas punissable en elle-même. Mais toute personne qui aidait une travailleuse du sexe (TDS) à exercer pouvait être punie par la loi, que ce soit un·e banquier·e, un·e comptable, un·e assureur·e ou même un·e web designer », explique Daan Bauwens, directeur d’Utsopi. « Avoir des relations sexuelles rémunérées n’était donc pas illégal. Mais la décriminalisation va enfin permettre aux TDS d’être libres, autonomes, de pouvoir se rassembler, être accompagnées sur les questions de protection et de sécurité. Le problème de l’ancien système, c’est qu’il ne distinguait pas les gestionnaires et les proxénètes. Ce qui laissait libre cours à tous les abus puisque les TDS dépendaient souvent des proxénètes pour leur fournir des informations », ajoute le journaliste qui, à New York, a suivi les cours de Carole Vance, cheffe de file de l’anthropologie sexuelle et figure du mouvement « sex-positive ». Il a réalisé plusieurs reportages sur le rapport à la sexualité dans nos pays et ailleurs. « Mais tu ne sais jamais ce qu’il se passe après les histoires que tu écris, alors j’ai décidé de passer de l’autre côté pour faire bouger les lignes. » Il devient directeur d’Utsopi et tombe follement amoureux de l’organisation. 

À ses côtés, beaucoup d’hommes et de femmes engagés, des acteurs et actrices de terrain et Laïs Djone, la coprésidente bénévole de l’association. « Au début, l’organisation servait surtout à se regrouper, comme un safe space pour enlever les masques et échapper au secret, car beaucoup de TDS le cachent autour d’elles, mais ça a rapidement pris une tournure politique », explique-t-elle. « Pour faire adopter la décriminalisation au Parlement, on n’a pas attendu que les politiques viennent nous consulter. On a frappé à toutes les portes, contacté la presse… » La Covid a été un tournant. La fermeture des maisons closes a mis en avant la précarité économique et juridique des travailleuses du sexe. Des colis alimentaires et des aides financières ont été fournis. Paradoxalement, il est apparu en Belgique l’image d’une communauté forte, capable de s’exprimer et de s’organiser, très loin de l’image stéréotypée de victimes isolées. La prochaine étape pour Laïs après la décriminalisation ? La déstigmatisation. « Mon espoir, c’est qu’une loi antiputophobie voit le jour, comme il existe des lois antihomophobie. Qu’on ne puisse plus dire “sale pute” impunément et que ça vienne directement de l’État. C’est un autre combat que l’on ne va pas lâcher. » 

Laura Lequeu - Toi Mon Endo

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Laura Lequeu © Presse

Pourquoi on ne parle pas d’une maladie qui touche plus d’une femme sur dix ?

Comme une femme sur dix, Laura Lequeu souffre d’endométriose. Le terme est omniprésent à la télé, dans les médias et sur les réseaux sociaux aujourd’hui – et c’est sans doute un peu grâce à elle – mais personne n’en parlait il y a quelques années à peine. En cause ? Une méconnaissance générale de la maladie, un peu. Mais un tabou et d’énormes stéréotypes liés aux règles surtout. Comme à la plupart des femmes, on répète à Laura que « c’est normal d’avoir mal » quand on a ses règles. Elle commence la pilule à 13 ans seulement, ce qui la soulage un peu au début, mais ne la traite pas. S’en sont suivies plusieurs années d’errance diagnostique. À 19 ans, elle se retrouve dans l’incapacité d’avoir des rapports sexuels avec son copain, c’est comme si des lames de rasoir la transperçaient de l’intérieur. Un gynécologue lui dira d’abord qu’elle souffre d’une mycose, un autre qu’elle « n’aime peut-être pas vraiment son copain ». On lui diagnostique même à tort un cancer du col de l’utérus à 19 ans. 

« Ce sont des choses qui te détruisent psychologiquement », explique la jeune femme de 23 ans. « J’en avais tellement ras le bol que je suis allée taper mes symptômes sur Google et là, le mot “endométriose” clignotait de partout. » L’endométriose est liée à la présence de tissu semblable à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus. Il se greffe alors sur les autres organes, ce qui provoque des lésions, des adhérences et des kystes ovariens. Il y a trois moyens de détecter une endométriose : une échographie, une IRM ou une opération. C’est cette dernière solution qui a permis à Laura d’être diagnostiquée après neuf ans de douleurs dans le flou total. Un soulagement en quelque sorte, mais alors qu’elle souffre d’une crise post-op et est obligée d’être hospitalisée, l’université l’empêche de déplacer son examen, car l’endométriose n’est pas reconnue comme une maladie. « Il fallait absolument que les choses changent », raconte Laura. « J’ai posté une vidéo sur YouTube dans ma chambre avec un vieil iPhone 7… Et ça a cartonné. J’ai reçu des centaines de messages sur Instagram de filles qui souffraient de la même chose que moi. » C’est à ce moment-là qu’elle décide de créer l’association Toi Mon Endo. 

Pendant la Covid, elle commence par ouvrir le dialogue sur les réseaux sociaux francophones où elle partage notamment son histoire. Avant d’aller encore plus loin et de proposer un projet de sensibilisation dans les écoles secondaires à la Fédération Wallonie-Bruxelles. « Pourquoi on ne parle pas d’une maladie qui touche plus d’une femme sur dix ? », s’étonne-t-elle. Son projet est accepté et elle reçoit 31.000 euros  de subsides. « C’est la première fois que la Belgique allouait un subside à l’endométriose. » À force d’alerter l’opinion publique sur ce mal méconnu qui touche les femmes (et pourtant diagnostiqué pour la première fois en 1860… comme de l’hystérie), les médias et les politiques s’en mêlent. Pour la toute première fois en Belgique, un plan de sensibilisation déposé par la députée francophone bruxelloise Margaux De Ré (Ecolo) vient d’être voté au Parlement francophone bruxellois à l’unanimité et un second vient d’être déposé à la Fédération Wallonie-Bruxelles. La députée fédérale Florence Reuter (MR) a également déposé une proposition de résolution visant à garantir une meilleure prise en charge des patientes atteintes d’endométriose. Récemment, en France, Emmanuel Macron réalisait un reel Instagram consacré au sujet, donnant à l’endométriose une visibilité sans précédent, « mais qui arrive comme par hasard à quelques mois des réélections », déplore Laura qui constate qu’aucune mesure concrète pourtant avancée par le président n’a été réalisée pendant son mandat. Pour les cinq prochaines années, elle l’attend donc au tournant… 

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