L’équitation est l’une des très rares disciplines mixtes des Jeux Olympiques. En Belgique, c’est même le premier sport chez les femmes tandis qu’il se retrouve en troisième position chez les hommes. Bien qu’il soit considéré comme un « sport de fille », l’équitation se masculinise fortement à haut niveau notamment en sauts d’obstacles. Une tendance qui pose question quant à sa position de mixité.
Pour comprendre l’évolution du statut du cheval et plus tard, celui du sport équestre en tant que tel et de son rapport à l’ascension des femmes dans ce domaine, il est important de revenir à ses origines. Au 19ème siècle, la pratique de l’équitation était une activité essentiellement masculine, les chevaux étaient avant tout des alliés pour la guerre ou pour labourer les champs. Cependant, avec l’arrivée de la mécanisation, le cheval a perdu ce statut et la pratique s’est fortement féminisée depuis le milieu du 20ème siècle. Ce n’est donc plus l’utilité économique du cheval qui est mis en avant mais ses qualités pour la détente et les soins. Ainsi plus particulièrement dans les classes les plus aisées, monter à cheval devient un véritable loisir ouvert aux femmes. La vague de mouvements protestataires féministes permettra notamment l’autorisation de monter à califourchon et de porter un pantalon. Suite à ces progrès, elles sont également pour la première fois autorisées à participer à des compétitions olympiques de dressage en 1952, puis en sauts d’obstacles (CSO) en 1956. C’est d’ailleurs en 1952 que la danoise Lis Hartel devient la première femme à remporter une médaille olympique en équitation, une médaille d’argent en individuel. Malgré tout, la féminisation de ce sport tarde et intégrer les femmes dans ce milieu d’origine masculine n’est pas si simple. La chercheuse et ancienne enseignante en sociologie du genre à l’Université de Liège, Claire Gavray, explique cette tendance : « Bien que les femmes aient montré dans l’Histoire qu’elles étaient très combatives, elles ne sont pas associées à la compétition comme les hommes, on ne leur donne pas ce statut-là symboliquement ». C’est finalement depuis 1964 que les femmes peuvent concourir à toutes les épreuves d’équitation, faisant de la discipline l’un des rares sports mixtes des Jeux Olympiques. À savoir que 3 disciplines équestres olympiques sont au programme depuis 1912 : le dressage, le CSO et le concours complet.
Une mixité jusqu’à un certain moment
Grâce à cette démocratisation, de plus en plus de femmes ont donc accès aux compétitions. Cependant, la proportion d’hommes lors de concours de CSO reste majoritairement plus élevée que celle des femmes, notamment lorsque l’on passe d’une épreuve internationale 2* à une 5*. Une constatation qui amène à s’interroger sur le fait que l’équitation doit rester ou non un sport mixte. Pour le jeune cavalier belge Gilles Thomas, élu talent de l’année 2016, cette discipline doit rester mixte. « Selon moi, les compétitions doivent rester mixtes car elles permettent à plus de personnes de pouvoir concourir et par cela, les hommes et les femmes se trouvent au même niveau ».
Voir cette publication sur Instagram
En effet, un principe de justice se fait ressentir dans ce sport à travers l’égalité salariale notamment par les gains et récompenses, contrairement à d’autres disciplines où hommes et femmes ne s’affrontent pas dans les mêmes épreuves et donc ne reçoivent pas les mêmes récompenses. Cependant, il apparaît que dans les sports équestres la mixité, définie par Sabine Fortino comme « la coexistence des 2 sexes dans un même espace social », ne rime pas avec égalité. En effet, bien que très présentes et performantes dans les niveaux de compétition amateur par exemple, les cavalières réalisent peu souvent des carrières professionnelles internationales. En exemple, l’étape internationale du Longines Global Champions Tour se tenant à Saint-Tropez le 19 mai 2022. Dans l’épreuve CSI 2* d’1m40, sur 36 partants 27 sont des femmes et 9 sont des hommes. Dans l’épreuve CSI 5* d’1m45, sur 51 partants 16 sont des femmes et 35 sont des hommes. De plus, d’après les chiffres de l’année 2021 fournis par la Fédération Royale Belge des Sports Équestres (FRBSE), sur 8341 licenciés compétition CSO, 6257 sont des femmes contre 2084 hommes. Une différence flagrante qui demande des explications. « Ce serait tout à fait plausible d’évoquer un plafond de verre dans cette discipline » justifie la sociologue Claire Gavray. En effet, un plafond de verre peut se trouver à partir de l’entrée en catégorie professionnelle où seules 25% d’entre elles évoluent à haut niveau contre 60% en amateur.
Mais quelles sont les causes de ce plafond de verre ? Premièrement, les carrières équestres sont longues et incertaines et requièrent une grande implication sociale et des efforts physiques quotidiens. Un aspect qui peut être un frein pour une femme si elle souhaite avoir des enfants. Sans surprise, les risques de chute en CSO sont très fréquents et les compétitions internationales nécessitent une grande mobilité géographique. Or Claire Gavray explique que la famille peut passer inconsciemment le message qu’il serait préférable que la femme fasse des études et trouve un travail près de chez elle. « C’est une association femme-mère qui est intériorisée par les femmes car beaucoup de messages inconscients sont transmis par la famille afin de valoriser la compétition pour les hommes. Ainsi elles adhèrent inconsciemment aux stéréotypes et au modèle qu’on leur fournit ». Un autre facteur remis en question pourrait justifier ce plafond de verre, celui de la différence de masse et de force musculaire. Pour la cavalière belge Louise Castro c’est notamment cette raison qui justifie son avis sur la mixité de la discipline. « Pour moi ça ne fait pas sens que les hommes et les femmes concourent ensemble. Je pense que les hommes ont plus de force et de muscles, c’est pour cette raison que tous les JO sont séparés en catégories comme le football, par exemple. Il existe en Belgique et en France des concours avec des épreuves uniquement pour femmes, je trouve que c’est une très bonne initiative pour intégrer plus de femmes aux compétitions de haut niveau ».
Voir cette publication sur Instagram
Bien que les hommes et les femmes soient constitués différemment, l’ancien vétérinaire des équipes belges d’endurance, Bruno van Cauter, explique que cela n’a aucun impact sur la monte du cheval. « Les femmes sont construites différemment que les hommes, les torses des hommes sont plutôt en triangle alors que ceux des femmes sont plutôt de forme losangique avec des hanches. Mais l’équitation est un sport où apparemment ça ne les gêne pas ». De plus, la monte doit se faire dans le respect du cheval c’est-à-dire en tirant le moins possible sur la bouche et en gardant des rênes souples et un cheval léger. La cavalière belge Stéphanie Janssens le rappelle « La capacité physique c’est important mais je ne pense pas que ça joue car il ne faut pas tirer dans la bouche, ce n’est pas le but quand on monte à cheval ».
Voir cette publication sur Instagram
Si la différence de capacité physique ne joue pas sur l’évolution professionnelle du cavalier ou de la cavalière, la capacité mentale a par contre un rôle fondamental sur leur ascension équestre. Le manque de confiance en soi peut en être la cause, c’est le cas par exemple pour Stéphanie Janssens qui tourne en 2* « Je pense que les hommes ont plus confiance en eux, les femmes c’est typique qu’elles soient moins sûres d’elles. Personnellement, j’ai engagé un coach pour travailler sur ma confiance ». C’est une raison que Bruno van Cauter évoque également : « Apparemment les hommes ont plus un esprit compétiteur que les femmes. C’est-à-dire que le garçon qui va se lancer en saut d’obstacles ne va pas simplement vouloir monter, ce qui l’intéresse c’est faire des concours et gagner. Beaucoup de femmes font plutôt de l’équitation pour le contact avec l’animal en plus d’avoir une activité sportive et sociale ». Les hommes seraient donc forgés dès l’enfance à participer à des compétitions pour gagner, et ainsi cela renforcerait leur esprit de compétition et donc leur mental. Gilles Thomas ajoute à ce propos « Je pense que les hommes sont plus forts mentalement pour la compétition ». Une phrase que la sociologue Claire Gavray justifie par l’existence de croyances dans des différences naturelles biologiques. « C’est le fait de penser que les hommes n’ont pas le même cerveau, il y a une hiérarchie entre les capacités des hommes et des femmes, c’est l’argument qui revient pour tout justifier ». Cette dualité est donc de l’ordre du stéréotype. Cependant, ces stéréotypes ne sont pas inoffensifs car ils construisent le monde social en faisant croire que c’est un ordre naturel. Ainsi, cette complexité de l’organisation sociale à tous les niveaux construit les positions et les représentations.
Une tendance qui s’affaiblit timidement
On observe cependant depuis quelques années une évolution positive de l’ascension des femmes dans les épreuves de CSO. Et cela notamment depuis que l’allemande Meredith Michaels-Beerbaum a été la première cavalière à remporter 3 fois la finale de la Coupe du monde de CSO en 2005, 2008 et 2009. Des cavalières comme l’australienne Edwina Tops-Alexander, les américaines Jessica Springsteen ou encore Laura Kraut sont des grands noms de la scène internationale. La française Pénélope Leprévost est aussi un exemple de réussite avec sa fille Eden qui est en train de prendre la relève.
Voir cette publication sur Instagram
Se sont également développés des sponsors permettant aux cavaliers d’assurer leurs équipements ou les soins pour leurs chevaux en échange de rôles d’ambassadeur et de représentation de la marque. Cela permet aussi de gagner en notoriété, ce qui est très important pour donner confiance aux propriétaires. Ces derniers confient leurs chevaux aux cavaliers pour qu’ils les valorisent dans une optique d’élevage ou de commercialisation ultérieure. Ce compromis permet donc aux cavaliers d’avoir plusieurs montures pour participer à plus de compétitions et ainsi gagner plus de points pour accéder aux concours 5*. Pour le cavalier 5* Gilles Thomas, c’est une raison supplémentaire expliquant qu’il y ait moins de femmes dans les grosses épreuves « Il faut beaucoup de chevaux donc beaucoup de propriétaires, il faut les chercher et les hommes sont plus directs pour ça ». Autre évolution qui permet aux femmes de s’intégrer davantage dans les compétitions, les protections de sécurité. De nos jours, les technologies ne cessent d’évoluer et il existe désormais des gilets de sécurité en airbags qui limitent considérablement le choc et le risque de fracture lors d’une chute. Enfin, concernant l’assimilation de la compétition aux hommes, un travail en amont dans le système éducatif et dans la cellule familiale est de plus en plus entrepris. Par contre, Claire Gavray le nuance : « C’est très difficile car il faudrait qu’un même individu reçoive des messages cohérents de la part de la famille et de l’institution scolaire ce qui n’est pas toujours le cas. Les écoles font tout ce qu’elles peuvent pour essayer d’amener des réflexions sur les égalités hommes/femmes mais dans certains milieux sociaux ce n’est pas dans l’ordre des choses car ça dépend de la culture familiale. Toutes les familles n’adhèrent pas à ce modèle ». Malgré des évolutions, un grand travail est encore à réaliser pour permettre aux femmes leur ascension professionnelle équestre.
Bien que la question sur la mixité de ce sport ne fasse pas l’unanimité selon les cavaliers et professionnels du monde équestre, cette discipline reste avant tout un moyen d’émancipation pour les femmes dans de nombreux pays, notamment dans les pays arabo-musulmans. Bruno van Cauter nous fait part de son avis et de son expérience à ce sujet : « J’ai travaillé dans les pays musulmans en tant que vétérinaire et je suis absolument pour que l’équitation reste mixte pour éviter la ségrégation. Dans ces pays, l’équitation a permis l’ouverture et l’accès au sport pour les femmes et c’est probablement l’un des premiers sports où l’on a vu des femmes, parfois même voilées, en compétition. Mais pour les compétitions internationales ou en Europe, hors des pays du Golfe, il n’y a pas de ségrégation et elles ont le droit de concourir. C’est une façon indirecte de lutter contre le sexisme dans le sport, ce serait une grosse erreur de catégoriser les épreuves internationales d’équitation à une section femme et une section homme car ce serait leur tendre le bâton pour qu’ils obtiennent que les femmes n’aient pas les mêmes droits que les hommes ».
À LIRE AUSSI
Sport et écologie : quelles disciplines ont le plus d’impact sur notre planète ?
Sport : qui sont les jeunes talents belges à suivre de près ?
Cette smartwatch s’adapte à votre mode de vie et à vos tenues