C’est un constat accablant. Sur 100 dossiers de viol, un seul aboutira à une peine de prison en Belgique. La majorité des dossiers sont classés sans suite, faute de preuves ou faute d’avoir pu identifier les auteurs.

Danièle Zucker, docteure en psychologie, analyste du comportement criminel, co-fondatrice de HER (bureau d’enquête sur le harcèlement en entreprise) et ex-responsable des urgences psy à Saint-Pierre a partagé sur son compte Instagram les résultats d’une étude datant de 2009 en Belgique. Elle représentait à l’époque la Belgique dans le cadre du programme Daphnée mené par la Commission européenne pour lutter contre la violence envers les enfants, les adolescents et les femmes. L’étude visait à comprendre le cheminement judiciaire de 100 dossiers de plaintes pour viol. Et les conclusions sont pour le moins édifiantes :

  • La Belgique occupe la troisième place, avec le taux le plus élevé de dépôts de plaintes derrière la Suède et l’Islande.
  • En revanche, le taux de condamnation suit une courbe inverse. Il avoisinait les 20% en 1995, avant de descendre à 13% en 2006, l’un des plus bas d’Europe.

La Belgique a donc pris des initiatives pour faciliter le dépôt de plainte des victimes, mais les tribunaux ne condamnent que très peu les auteurs. Chez nous, comme dans beaucoup d’autres pays, les classements sans suite sont donc légion. Les conclusions de l’étude postulent ainsi que, sur 100 dossiers de viol, un seul aboutira à une peine de prison effective pour l’auteur. La majorité des dossiers sont classés sans suite, faute de preuves ou d’avoir pu identifier l’auteur.

 

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Pour comprendre si les choses ont évolué en 13 ans, nous avons interrogé Danièle Zucker. L’impunité règne-t-elle toujours autour du viol ?

Les chiffres datent de 2009, ont-ils évolué aujourd’hui ?

Une nouvelle étude de ce type n’a pas été refaite en Belgique. On connaît cependant les chiffres de la France, où de récentes études ont montré que le taux de condamnation pour viol tournait autour des 2%. Ils ont un système assez similaire au nôtre. À la place d’être jugés en cours d’Assises, les dossiers pour viol sont de plus en plus correctionnalisés avec des peines beaucoup plus légères. En Belgique dans la récente réforme de la loi, le quantum de peines a augmenté, reste à voir si les juges s’en serviront.

Personnellement, je prône pour un tribunal spécialisé comme en Afrique du Sud, en Nouvelle Zélande, au Canada et en Espagne, avec des juges ayant suivi une formation sérieuse qui leur permet de pouvoir identifier un agresseur sexuel et de connaître son fonctionnement et son parcours.

Comment expliquer un tel écart entre le nombre de dépôts de plainte et le taux de condamnation ?

Le problème est très complexe, et on a pris l’habitude de penser aux victimes. C’est une excellente chose, mais il serait également bienvenu de se focaliser sur les auteurs et leur mode de fonctionnement. Aujourd’hui, on facilite le dépôt de la plainte, on parle de “libérer la parole” et tout ça est évidemment éminemment nécessaire. Mais si le reste de la chaîne judiciaire et policière ne suit pas, à quoi bon ?

 

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On a mis en place des Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS), mais il faut savoir que ces centres n’accueillent les victimes que si elles se présentent dans le mois qui suit leur agression. Après, c’est le retour à la case départ, c’est à dire une loterie. Pourtant, ces centres sont primordiaux, car les victimes ont affaire à des personnes formées aux violences sexuelles et qui veulent faire ce boulot. Parce que tout le monde ne peut pas auditionner ou suivre un dossier de viol. C’est un sujet extrêmement compliqué et sensible. (ndlr :  66% des victimes passées par un CPVS portent plainte. Le taux est six fois supérieur aux victimes passant par les commissariats)

Au lieu de se concentrer uniquement sur la victime, il faudrait se focaliser davantage sur l’auteur en essayant de connaître son fonctionnement. Par exemple, le fait que l’alcool fait partie d’une réelle stratégie dans le viol, ce n’est pas simplement un élément en plus. Si on ne comprend pas le fonctionnement des agresseurs sexuels, on ne va pas prendre cela en considération, on va penser que l’événement s’est déroulé dans un milieu festif alors qu’il s’agit d’alcooliser la victime pour avoir un accès simplifié et démultiplier les effets de la jouissance et de la sensation de prise de pouvoir. Quand on lui demandera des comptes, l’agresseur pourra prétexter qu’il était ivre et qu’il ne se souvient plus des faits. Il s’agit d’une vraie stratégie mise en place, et j’ai maintes fois été témoin de juges et d’experts qui sont tombés dans le panneau.

Comment résoudre le problème du « faute de preuve » pour condamner les agresseurs aujourd’hui ?

Il faut absolument commencer à réfléchir autrement en reconsidérant ce qu’est une preuve “acceptable” dans un dossier de viol. On peut, pour cela, utiliser le concept de “faisceau de présomptions”, donc se fier à plusieurs indices qui convergent dans la même direction pour établir la culpabilité de l’agresseur. On doit arrêter d’attendre d’avoir des preuves matérielles, car on sait qu’on en aura rarement dans ce type d’affaire. Il faut des enquêtes dignes de ce nom, avec des recherches sur l’agresseur, ses ex, ses proches, ses antécédents… Par ailleurs, il serait intéressant de mettre les dossiers viol immédiatement à l’instruction. Cela donne plus de latitude dans les devoirs d’enquête, comme la possibilité d’effectuer une perquisition.

Pour cela, il faut déjà considérer la lutte contre les violences sexuelles comme prioritaire. Mais quand il a été demandé au ministre de la Justice de créer un tribunal spécialisé, la réponse a été que ce n’était pas possible en Belgique. Ils l’ont pourtant fait en Espagne…

Vous dites “un violeur est un criminel en série”.

Il faut arrêter de rêver, et accepter de prendre en compte les résultats des recherches scientifiques. Dans plus de 70% des cas, les auteurs de viol sont des récidivistes. L’âge moyen pour commettre son premier viol est de 13 ans. Cela vous donne la mesure du problème.

Il y a véritablement deux pôles d’action ; d’une part les condamnations avec des sanctions claires à la hauteur de la gravité de ce que représente le crime de viol et d’autre part la prévention. Mon cheval de bataille est de commencer à prendre le problème à bras-le-corps sur les campus universitaires et les écoles supérieures. Cela aurait en même temps une action préventive. Prendre les potentiels futurs agresseurs en charge le plus tôt possible avant qu’il ne soit trop tard. Il faut agir quand ils sont jeunes et qu’on peut encore faire quelque chose.

Pour l’aspect purement préventif, j’avais notamment imaginé de créer des stages d’empathie. J’ai réalisé que cela existait déjà au Danemark. Le manque d’empathie est une caractéristique que l’on retrouve très souvent chez les agresseurs sexuels. En observant les comportements de l’enfant et en encourageant cette empathie, on peut vraiment changer les choses. On luttera également plus efficacement contre le harcèlement scolaire.

 

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Pour aller plus loin

Danièle Zucker

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