Visite dans la boutique de Mark Colle, fleuriste acclamé dans le monde entier qui a su séduire, entre autres, Dior et Dries Van Noten.
Exit les vases en porcelaine. Grâce à Mark Colle, les fleurs débarquent sur les podiums des défilés de mode.
Depuis que Dries Van Noten est venu frapper à sa boutique anversoise il y a quelques années, le fleuriste est entré dans l'univers fermé de la mode. Les magasins, les salles d'exposition et les conférences de presse portent souvent ses couleurs et de nombreux créateurs font également appel à sa créativité. C'est le cas notamment de son ami Raf Simons qui a fait appel à lui d'abord chez Jil Sander et puis plus tard chez Dior. Pour sa première collection, largement acclamée, le fleuriste avait érigé des murs de plusieurs mètres entièrement recouverts de fleurs. Depuis, les millions de fleurs ont fanées mais leur image reste gravée dans l'esprit de beaucoup.
Pourtant, Colle parle de son lien avec la mode comme d'un accident. "Ce n'est pas quelque chose que j'ai choisi consciemment. Au début, comme tout ceux qui n'y connaissent rien, je trouvais que la mode était quelque chose de superficiel. Puis j'ai fourré mon nez dedans et j'ai réalisé toute l'énergie, le sang, la sueur et les larmes qu'il faut pour créer une collection. C'est respectable. Depuis, j'adore travailler avec le monde de la mode: il y a tellement de potentiel créatif!"
La boutique anversoise de Colle est baptisée Baltimore d'après le nom de la ville où il a vécu pendant un certain temps.
Même si il a de grands projets, Colle tient à garder sa petite boutique. "J'ai besoin de garder les deux pieds sur terre. Évidemment, les clients du quotidien n'ont pas les mêmes moyens et demandes que Dior mais c'est important pour moi de continuer à faire les deux", explique le jeune homme.
" Je voulais faire les choses autrement pour cette boutique donc je suis parti dans un esthétique très élégante, avec du bois partout du sol au plafond en passant par les murs."
Le jour ou nous le rencontrons, Mark Colle et son équipe travaillent pour un mariage qui a lieu le lendemain. "Je pense que la nuit va être longue" explique-t-il. Il n'arrêtera pas de travailler une seconde pendant toute la durée de l'interview.
"Pour les mariages, je fais régulièrement des couronnes de fleurs pour les cheveux. Je n'ai pas encore reçu de demandes bizarres dans ce domaine mais je suis ouvert à tout. Une fois, quelqu'un m'a quand même appelé pour réaliser un décor pour une fête dans un château incendié dont le thème était Alice au pays des merveilles. J'ai trouvé ça merveilleux!"
Et comment s'y prend-t-il pour travailler? "Je reçois mes fleurs de Aalsmeer en Hollande. C'est un des plus grand marché aux fleurs du monde. Je m'y rend en personne deux fois par semaine pour passer mes commandes. C'est important de savoir ce qui est sur le marché. Il faut toujours s'intéresser à son produit sinon tu es vite hors du coup."
"C'est un travail qui change tout le temps: parfois le client décrit l'atmosphère et les thèmes autour desquels je dois travailler. Pour Jil Sander, j'ai pu voir la collection à l'avance, et j'ai vraiment pu adapter mon travail aux silhouettes, aux couleurs et aux tissus. Pour Dior, j'ai du travailler avec les codes de la maison mais je connais bien Raf et je voulais amener un morceau de lui dans mon travail d'où le jaune vif et le bleu."
"Je ne supporte pas les croquis et les tableaux d'inspiration. Mes idées sont uniquement dans ma tête. Je ne peux pas les expliquer. Je suis quelqu'un d'extrêmement chaotique et je travaille toujours avec mon instinct. Il ne faut pas me demander d'écrire les choses ou de faire des collages. Ce n'est pas que je ne trouve pas de l'inspiration dans les livres ou les magazines mais je ne vois juste pas l'utilité de faire ça."
"Je dois parfois mettre les choses sur papier pour que le client comprenne ce que j'ai en tête. La semaine prochaine, j'ai une fête de fiançailles au Guggenheim de New-York. Pour que les organisateurs comprennent, j'ai collé ce que j'avais en tête sur des photos du musée."
Paris, New-York... Mark Colle et ses fleurs voyagent souvent hors du pays. Mais comment ça se passe? "Je dois monter mes projets internationaux sur place. Tout fane si vite que je suis obligé de faire ça sinon mes créations risquent de sécher complètement. J'amène juste mes fleurs par avion et c'est parfois un véritable défi. Aux États-Unis par exemple, ils sont vraiment paranoïaques et ne laissent pas certaines plantes passer la douane parce qu'elles paraissent suspectes. Je n'ai pas vécu ça mais un de mes collègues s'est vu confisquer toute sa collection... une catastrophe!"
"L'Inde est aussi un pays incroyablement compliqué. J'ai du travailler pour un mariage à New Delhi et je n'ai quasiment rien pu apporter. J'ai donc été sur place une semaine à l'avance pour visiter les marchés aux fleurs locaux. C'est vraiment stressant parce que tu ne sais pas à quel marchand tu peux faire confiance mais ça a été une expérience assez intéressante. Les fleurs étaient vendues par paquet de quatre dans du papier journal. J'avais besoin de milliers de pièces et le mariage durait cinq jours.... C'est un monde totalement différent."
La beauté n'est pas un critère selon Colle. "J'adore travailler avec des fleurs qui ne sont pas vraiment belles et arriver à créer quelque chose de beaux quand même. Les fleurs fanées ont aussi quelque chose de particulier, elles ont un certain charme."
Sa fleur préférée? La Dahlia, une fleur des champs, qui a une apparence incroyablement futuriste.
D'où lui vient toute son inspiration? "Le cinéma, la musique, l'architecture. L'essentiel, c'est vraiment de garder les yeux ouverts en permanence. Le film italien Suspiria a longtemps été une source d'inspiration. C'est un film d'horreur des années 60 très kitsch avec plein de rouge, de vert et de bleu très lumineux. J'étais obsédé par ces couleurs, j'ai créé des tas de bouquets dans ces tons. Aujourd'hui, je suis surtout obsédé par la musique techno. Tellement obsédé que je veux absolument faire quelque chose dans la ville fantôme de Détroit. J'adorerais laisser des fleurs grignoter le béton d'un bâtiment abandonné, le tout sur fond de musique techno. Mais il faut du temps pour ça et je ne l'ai malheureusement pas..."
Le temps qui passe est un facteur de taille pour un fleuriste. "Je suis effectivement tout le temps sous pression car les fleurs ont une espérance de vie limitée. Tout disparait en un éclair. Mais j'aime tellement ce boulot: c'est spontané, tu ne peux pas commencer une installation et puis y réfléchir pendant des heures. Je n'ai pas ce luxe mais c'est justement ça qui est excitant. C'est précisément ce défi qui rend ce travail si passionnant à mes yeux."
Mark Colle a.k.a la rock star des fleuristes.
Isabelle Vanderheyde (traduction Justine Rossius)
Crédit photo: Oona Smet