Petite fille déjà, Flora Miranda était attirée par tout ce qui respire la technologie. Lorsqu’elle a commencé à étudier la mode à Anvers, elle s’est rendu compte que ses deux passions matchaient à merveille. Des bases de données aux imprimés 3D en passant par les tissus générés par ordinateur, tout est permis.
Flora Miranda défend une mode expérimentale, interdisciplinaire et futuriste. Là où certain·e·s ne veulent pas entendre parler d’automatisation et d’apprentissage automatique, elle a des étincelles dans les yeux quand elle aborde ces sujets. Pourtant, la créatrice autrichienne n’avait pratiquement jamais touché à la mode. Jusqu’à ce stage d’été à l’âge de 16 ans. « Via une connaissance de mon père, j’ai eu la chance de faire un stage pour une marque suisse de vêtements de sport. C’était un monde complètement différent de ce à quoi je m’attendais : il ne s’agissait pas d’un atelier où l’on coud des vêtements, mais bien d’une entreprise commerciale à grande échelle qui ne fabrique ses modèles – souvent des copies de collections précédentes – qu’en Suisse. J’ai beaucoup appris en termes de vente, de gestion et de stratégie, certes, mais je ne me voyais pas devenir créatrice de mode. »
Heureusement, il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis. Le virage s’est produit lorsque Flora a eu entre les mains un livre sur la mode belge, avec des photos d’Angelo Figus, Raf Simons et A.F. Vandevorst. « J’ai trouvé ces créateurs très talentueux. Ils présentent la mode comme une forme d’art. De plus, j’ai lu qu’ils avaient tous étudié au même endroit : à l’Académie de la mode d’Anvers. » On devine alors facilement à quelle porte Flora est allée frapper quand elle a fêté ses 18 ans. « L’Académie d’Anvers dégage la créativité que je recherchais dans la mode. De plus, je suis fascinée par les grands maîtres de la peinture flamande, tels que Rubens et Brueghel. Quand je me promène dans les rues ici (elle est restée vivre à Anvers, ndlr), parmi les bâtiments anciens, j’ai l’impression d’évoluer dans un tableau. »
Comment êtes-vous passée de la peinture à la technologie ?
« J’ai toujours été super attirée par tout ce qui a trait à la technologie. Adolescente, j’ai par exemple appris à me servir de Photoshop toute seule. Déjà à l’époque, je combinais le technologique avec l’artistique. Je créais des tableaux dans Photoshop avec des images que je trouvais ou que je dessinais moi-même, puis je les peaufinais à la peinture à l’huile. »
Vous avez été diplômée en 2014 avec une collection sur la téléportation et la physique quantique, des sujets qui n’étaient pas abordés à l’Académie de la mode. Comment avez-vous trouvé votre place ?
« Ma formation m’a surtout initiée au storytelling : comment puis-je aborder des thèmes technologiques sans passer par un logiciel ? Parfois, une histoire sur une thématique technologique semble plus technologique que ce qu’on élabore à partir d’un programme. J’ai acquis ces compétences plus tard. Après mes études, j’ai découvert toutes sortes de techniques : apprentissage automatique, création générative, numérisation, impression 3D. Ma vie est une grande courbe d’apprentissage. »
Décrypter le code
Les nouvelles technologies apparaissent de façon récurrente au cours des différentes phases de votre travail, de la conception à la production. Pouvez-vous donner un exemple de projet qui vous a marquée ?
« Je me souviens qu’en 2018, avec Mark Florquin, j’ai réalisé des scans 3D de robes issues de différents musées, après quoi je les ai rematérialisées en recourant à une nouvelle technique artisanale. Ces nouvelles jupes se distinguent des modèles originaux car je suis partie du scan 3D : j’ai placé une aiguille à chaque jonction du squelette et tissé des triangles entre elles, puis j’ai peint le tissu avec du silicone. De cette manière, par des moyens numériques, j’ai donné une nouvelle vie à ces pièces, d’ordinaire cloitrées entres les murs d’un musée. »
En plus de votre marque Flora Miranda, vous dirigez depuis 2017 le projet IT Pieces, en travaillant avec les données de clients externes. Ça fonctionne comment ?
« Sur la base des données de ces entreprises, je crée des pièces personnalisées. Par exemple, pour un spectacle d’une compagnie de ballet à Cologne, j’ai conçu des costumes inspirés des fréquences de la musique du compositeur Alva Noto. Je travaille également sur un projet autour des données et de la diversité avec Proximus, Delhaize, Special Olympics, Workday et Dual&Day, entre autres. Ces grandes entreprises disposent d’énormément de data, mes muses à moi. (Rires) »
La numérisation a-t-elle modifié le rôle du créateur ?
« Dans l’univers numérique, un créateur de mode ne se contente plus de réaliser un dessin, mais il développe tout un système de conception. Par exemple, il est possible de construire une plateforme en ligne avec des vêtements génératifs et personnalisables. Des modèles de base peuvent dès lors être modifiés automatiquement en termes de forme, couleur, structure en fonction des données introduites. »
Un créateur devient donc aussi un programmeur ou un chercheur ?
« Chacun son métier. Quoi qu’il en soit, le monde de la mode est divisé aujourd’hui entre les créateurs qui font des croquis artistiques, d’autres qui se spécialisent dans les dessins techniques, dans le drapage, les patrons, la couture… Le monde de la mode numérique ne fait pas exception : certains se spécialisent dans des programmes 3D, d’autres se concentrent sur des techniques telles que les cheveux numériques, les paillettes, etc. Et puis il y a les créateurs qui voyagent entre le numérique et l’artisanal : je suis de ceux-là. À mes yeux, c’est formidable de relier ces deux mondes et de les enrichir. »
L’avenir de la mode est-il numérique ?
« Je pense que mes rêves d’une mode fluide, générée par des données, ne sont plus des chimères, surtout depuis que la crise sanitaire a donné un coup d’accélérateur à la mode numérique. Le futur semble plus proche que jamais. Pour apporter un changement majeur, il est avant tout nécessaire que les différentes disciplines collaborent. S’il n’y a qu’une personne qui aborde ces questions en profondeur, ça se limite à de la recherche. Les choses ne bougeront que si l’ensemble de l’écosystème se met en branle. »
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