Les magazines de mode relaient la montée en puissance de la sandale à paillettes et statuent sur la démocratisation du legging. Mais ils exercent également une importante fonction sociale : des supports tels que le ELLE brisent des tabous, donnent la parole aux femmes et défendent leurs droits. Parcourons ensemble quelques siècles d’histoire de l’imprimerie.
Retour vers le XVIIe siècle
Les premiers magazines féminins apparaissent au XVIIe siècle. Dans The Ladies’ Mercury, les dames, conformément au « dévouement et à la douceur propres à leur sexe », reçoivent des réponses – écrites par un homme – à leurs questionnements amoureux. Après quatre numéros, l’expérience s’arrête. The Treasure of Hidden Secrets s’adresse quant à lui aux « femmes douces, aux matrones honnêtes et aux vierges vertueuses » tout en prodiguant des conseils pratiques pour faire face à des pépins comme la peste.
Paternalisme version XVIIIe siècle
L’alphabétisation des femmes aux XVIIIe et XIXe siècles entraîne une croissance du nombre de publications. Les femmes de la classe supérieure y lisent les nouvelles de la royauté, découvrent des motifs de broderie et s’évadent dans la fiction romantique. On encourage les lectrices à envoyer histoires et poèmes. L’écart de rémunération se révèle abyssal. Les autrices ne perçoivent aucun salaire, devant se contenter de voir leur nom imprimé.
Les magazines de mode présentent les dernières silhouettes tout droit venues de Paris et proposent des patrons de couture pour pouvoir reproduire ces looks chez soi à moindre coût. Le paternalisme s’infiltre dans les reportages de mode : la publication de magazines féminins est essentiellement une affaire d’hommes. Ceux-ci financent la garde-robe et les magazines de mode de leur chère et tendre. Ils lui dictent comment elle doit s’habiller. Les vêtements de la femme au foyer reflètent le statut social de la famille. Elle devient l’accessoire de mode ultime : sois belle, tais-toi et donne-moi le bras avec style.
1832 : violet, blanc et vert
Les suffragettes passent autant de temps devant le miroir qu’à enquiquiner le Parlement. Elles n’entendent pas se conformer au cliché de la femme non féminine fagotée comme un homme. Les suffragettes sont donc tirées à quatre épingles, en particulier lorsque la presse est de la partie, même si elles jouent au chat et à la souris avec la police. Elles choisissent le violet (pour la loyauté), le blanc (la pureté) et le vert (l’espoir) pour caractériser leur mouvement.
Votes for Women, le journal édité par les suffragettes, encourage les femmes à arborer fièrement l’emblème tricolore, même discrètement, sous forme de broche ou d’épingle à cheveux. Hélas, l’explosion de couleurs (violet, blanc et vert) ne secoue pas les magazines féminins grand public au début du XXe siècle. Au contraire, ils ne piperont mot sur cette question tant que la loi accordant le droit de vote aux femmes ne sera pas adoptée. Manifestement, les éditeurs ne montent pas encore aux barricades pour les droits des femmes. Les femmes s’en chargeront elles-mêmes, dans l’entre-deux-guerres.
1858 : plan B
Mais le ton des magazines féminins change. The Englishwoman’s Journal permet à la maîtresse de maison de se tenir au courant de la mode et de partager des conseils pour gérer une maison ou un domaine. Mais il prône également une certaine forme d’indépendance pour les dames de la noblesse. Car si la fortune de papa venait par malheur à disparaître, il leur faudrait un solide plan B. Devenir gouvernante ou épouser le premier riche venu ne fait pas partie des options. Le magazine, dont la rédaction est entièrement féminine, promeut l’éducation et l’indépendance financière des femmes. Tout ça en 1858.
1914 : les filles à l’usine
Lorsque les deux guerres mondiales éclatent, les femmes remplacent les hommes aux champs, mais aussi à l’usine. En 1914, elles portent de longues jupes et des corsets serrés, dont elles se défont rapidement. Les magazines de mode recommandent des vêtements plus pratiques : jupes courtes et tailleurs-pantalons deviennent incontournables. Les femmes entament une émancipation imparable, dans des tenues inspirées des uniformes.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le ministère britannique de la Propagande s’entretient régulièrement avec les éditeurs de magazines féminins. Il choisit ce canal pour remonter le moral des femmes qui font tourner l’économie et les ménages. Ainsi, Vogue prodigue des conseils sur le rôle de la gent féminine en temps de guerre : participation à la vie professionnelle et utilisation frugale de la nourriture.
Gênées par leurs cheveux longs, les filles d’usines refusent néanmoins de porter des casquettes d’homme peu flatteuses. Le ministère invite alors les magazines de mode à promouvoir les cheveux courts ; de cette façon, les accidents sont évités et les citoyennes font des économies de shampoing. Les cheveux courts font l’objet d’une large publicité dans les pages beauté, tandis que le bob et le foulard font leur apparition pour camoufler les cheveux gras.
1945 : ELLE
Le tout premier numéro du Elle est publié en 1945. Hélène Gordon-Lazareff, sa fondatrice, veut que le magazine reflète l’évolution de la place des femmes : le droit de vote est un fait et elles se sont libérées de leurs fourneaux. Dès le début, l’autonomie est un sujet crucial dans les pages du ELLE, au même titre que la mode, la beauté et les questions sociales. Le fond et la forme vont de pair. Hélène délaisse les publicités misogynes au profit d’articles plus longs sur des sujets féministes.
1950 : la femme mystifiée
Droit de vote des femmes : check. Accès au travail : check. Soldats traumatisés qui rentrent au pays et aspirent à retrouver un foyer chaleureux et à reprendre leur place derrière la machine à écrire : euh…
Grâce à la publicité, un revirement majeur s’amorce au début des années 1950. Le problème ? Les femmes doivent céder leur place sur les lieux de travail aux soldats revenus du front. Par ailleurs, l’économie de guerre, qui s’est fortement développée, ne doit pas lever le pied : au lieu de chars et de canons, les usines commencent à produire en masse des réfrigérateurs et des aspirateurs.
L’idée des marketteurs ? Renvoyer les femmes dans leurs pénates. Parce que les femmes qui restent à la maison sont de meilleures consommatrices de tous ces appareils ménagers. Les publicités dans les magazines féminins font la promotion du bonheur domestique : dans un intérieur fraîchement nettoyé par leurs soins, des femmes radieuses derrière leur cuisinière accueillent, pantoufles aux pieds, leur mari de retour d’une dure journée de travail.
La journaliste Betty Friedan étudie les magazines féminins au début des années 1960 et prête dans le même temps une oreille attentive aux histoires de femmes au foyer frustrées. Aucune d’entre elles n’est heureuse, toutes parlent de ce « problème qui n’a pas de nom ». Sa conclusion ? Les femmes ont besoin de plus qu’une machine à laver dernier cri pour s’épanouir, et devraient avoir la possibilité d’étudier et de travailler. Bienvenue dans la deuxième vague féministe.
1960 : barricades
Pendant les années 60 et 70, la révolution sexuelle se répand comme une traînée de poudre dans le monde de l’édition. Les jupons et les nez poudrés font place aux vestes en cuir, aux jeans déchirés et aux coupes de cheveux rock’n’roll. Dans le sillage du ELLE, de plus en plus de magazines ont une rédactrice en chef qui défend une nouvelle image de la femme. Les magazines de mode soutiennent la lutte pour l’égalité des droits civiques. La pilule contraceptive fait son apparition dans les années 60, tout comme la minijupe.
Les femmes s’achètent elles-mêmes leur magazine, sur leurs propres deniers. Des articles sur les plans de carrières et la finance apparaissent. Dans les années 80, le power dressing est au sommaire des magazines de mode. Les femmes grimpent dans l’organigramme des entreprises et font leur shopping dans le dressing de leur mari : tailleurs-pantalons, jumpsuits et épaulettes. Des looks qui renforcent la position de la femme sur le lieu de travail.
Les vêtements « pour les fesses » symbolisent la liberté de choix dans la vie des femmes : string ou pantalon de grand-mère, mini ou maxijupe, ou pantalon boyfriend ?
L’objectivation des femmes dans les publicités diminue également. Elles ne sont plus désormais réduites à des objets de désir, mais deviennent des individus à part entière : on les photographie derrière un bureau, au sommet d’une montagne ou dans le hall d’un aéroport.
1970 : diversité
La communauté des femmes noires a un visage : en 1968, Katiti Kironde est la première mannequin africaine à faire la couverture d’un magazine de mode. 1970 voit la fondation d’Essence, une revue destinée aux femmes afro-américaines. Les annonceurs, principalement des hommes blancs derrière leur bureau, sont beaucoup plus lents à reconnaître la communauté noire et son pouvoir d’achat. En 2008, le Vogue italien qui publie un numéro présentant uniquement des top-modèles noires est en rupture de stock en 72 heures. On avance.
À partir des années 1990, des cover girls alternatives font leur apparition : athlètes, célébrités, politiques (Kamala Harris, ça vous dit quelque chose ?) et entrepreneures. Elles se servent des magazines comme d’une scène pour toucher un large public et renforcer l’autonomie des femmes.
Depuis quelques années, une représentation plus réaliste du corps fait son chemin dans les rédactions : des mannequins plus size défilent dans les pages mode et les préadolescentes squelettiques façon Kate Moss en sont exclues. La communauté LGBTQIA+ s’affirme également dans les reportages sur papier glacé. En septembre 2016, Hari Neff devient la première femme transgenre à faire la couverture de la version UK du ELLE.
2006 : #metoo
Les magazines de mode donnent à lire l’esprit du temps, à l’instar du phénomène #metoo. Les victimes prennent la parole, les politiques sont mis sous pression. Les lectrices veulent lire le monde dans leur magazine, et les questions sociales telles que la violence à l’égard des femmes restent des sujets brûlants. On est désormais loin des patrons de broderie.
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