Témoignage : « J’ai été accusée à tort »

Mis à jour le 6 février 2023 par Juliette Debruxelles et ELLE Belgique Photos: Shutterstock
Témoignage : « J’ai été accusée à tort » © Shutterstock

J’aimais beaucoup Monique. C’est tout ce que j’ai réussi à dire à la police lorsque j’ai été interrogée : « J’aimais beaucoup Monique. » Ça ressemble à une parole de coupable. Pourtant je jure que je n’ai rien fait. Je ne suis responsable ni de son décès ni de l’affection qu’elle me portait et qui l’a conduite à me léguer une partie de ce qu’elle avait. C’est pourtant ce qui m’a été reproché. Témoignage.

Je vivais avec Monique depuis près de 2 ans lorsqu’elle s’est éteinte. Belge, j’étais étudiante à Paris, les loyers étaient déjà hors de prix et la solution de la coloc avec des seniors était à la mode. Après avoir passé une sorte d’entretien d’embauche, Monique m’avait choisie parmi 15 autres personnes pour partager avec elle un appartement de 90 mètres carrés. Nous avions chacune notre chambre et notre propre salle de bains. La cuisine et le salon étaient des pièces communes. Je devais m’assurer de faire les courses, de l’aider au ménage, de veiller à ce qu’elle prenne ses médicaments le matin et le soir et à ce qu’elle se couche et se réveille à heures à peu près fixes. À 83 ans, Monique était sympa, drôle, gourmande, mais aussi très fatiguée. Si je ne la réveillais pas, elle pouvait faire la grasse mat’ jusqu’à 14 h puis se coucher au milieu de la nuit. Cette responsabilité n’avait rien de contraignant, Monique était contente et disait que j’étais son horloge. Une des conditions du contrat de collocation : ne pas s’absenter plus de 48 heures d’affilée et ne pas ramener de gens à la maison après 22 h. Sa hantise, c’était de tomber et d’agoniser, seule. De mourir et de n’être découverte que plusieurs jours après. Elle m’en parlait souvent en rigolant. Elle se confiait beaucoup, me racontait sa jeunesse, la comparait à la mienne, sans jugement. Elle était triste, parfois, de ne jamais voir son fils et ses petits-enfants. Elle disait qu’il s’était marié avec une conne qui l’avait rendu con. Elle aimait éperdument son fils et je ne sais pas vraiment ce qui s’est passé pour qu’il décide de négliger sa maman. Elle avait aussi quelques neveux et nièces qu’on ne voyait jamais, pas même en photo. C’est pourtant eux qui m’ont accusée d’avoir tué Monique. Parce que c’est arrivé : un matin, j’ai voulu la réveiller et elle n’a pas répondu. J’ai eu froid dans tout le corps, j’ai compris avant même d’ouvrir la porte et de découvrir ce visage que je n’oublierai jamais. C’est comme si Monique avait perdu 100 ans en une nuit, comme si elle était devenue toute petite et toute déshydratée dans ce grand lit. J’ai eu très peur, j’ai hurlé dans le couloir. Des voisins sont venus, ont appelé les pompiers. Monique était morte, sans autre raison apparente que les effets de l’âge sur son organisme. Je suis allée chercher mes affaires chez Monique le soir même et j’ai trouvé une solution d’hébergement chez une copine pour terminer les trois semaines de cours qui restaient. Je ne pouvais même pas imaginer passer une nuit seule dans l’appart. Monique a été enterrée quelques jours plus tard, c’est la première et seule fois où j’ai vu son fils et ses neveux. La femme de son fils m’a demandé si j’avais pris quelque chose dans l’appartement, puis elle a attrapé ma boucle d’oreille pour la scruter comme si elle la reconnaissait. Elle m’a demandé où était le service à café en porcelaine. Des voisins leur avaient raconté que j’avais fait des allers-retours avec quelques ami·e·s le soir même du décès de Monique et elle était persuadée que j’avais embarqué des choses. J’ai assez mal réagi, je me suis sentie accusée tout de suite et je me suis emportée alors que j’aurais juste dû la regarder comme si elle était dingue. Ça m’a été reproché plus tard. Quelqu’un a dit à la police que j’avais agressé verbalement la famille lors de l’enterrement. Parce que oui, la police s’en est mêlée… 

Quatre mois environ après le décès de Monique, son notaire a ouvert son testament et elle me faisait don de plusieurs objets d’art de valeur, de 100.000 euros et de sa bague de fiançailles. La famille a illico porté plainte contre moi pour abus de faiblesse. S’ils avaient pu, ils m’auraient accusée de meurtre, mais cette charge n’a pas été retenue. J’étais rentrée en Belgique où je commençais à bosser et j’ai reçu une convocation pour me présenter au commissariat de mon quartier. Là, on m’a expliqué que quelqu’un en France m’accusait d’avoir profité de la vieillesse d’une dame pour lui faire rédiger un testament à mon avantage. Que je l’avais probablement privée de ses médicaments ou au contraire droguée pour la tuer à petit feu. Rien ne tenait la route. Déjà parce que le reste des biens et avoirs de Monique étaient conséquents (dont l’appartement dans lequel nous vivions toutes les deux), ensuite parce qu’ils revenaient en totalité à son fils. Ce n’est pas comme si Monique m’avait tout légué. Elle m’avait laissé quelques œuvres qui devaient valoir en tout une dizaine de milliers d’euros, de l’argent pour commencer dans la vie et un bijou qui faisait référence à nos longues conversations à propos de l’amour. On ne peut pas dire que la famille se soit sentie spoliée, dépossédée. Et pourtant si. Seul le fils héritait et les neveux n’avaient rien. C’est eux qui étaient à la manœuvre. Heureusement que Monique ne m’avait pas laissé davantage, car les choses auraient pu être plus graves. J’ai d’abord fait ma déposition en Belgique, puis j’ai dû attendre des semaines avant d’apprendre que je ne serais pas poursuivie en France. Le policier belge qui suivait mon « affaire » était vraiment super, il m’avait rassurée tout de suite en me disant que je n’avais pas le profil d’une empoisonneuse de vieille dame (la famille avait demandé une autopsie de Monique, mais ça avait été refusé), mais tout de même, j’ai eu très peur. Je m’imaginais dans un épisode de « Faites entrer l’accusé », je me voyais croupir en prison, victime d’une erreur judiciaire. J’ai mis de longs mois à me remettre de tout ça. J’ai gardé les œuvres d’art de Monique, je porte sa bague et avec son argent, j’ai acheté un petit studio à la mer. J’y ai accroché une photo de nous deux. Je suis certaine qu’elle est mon ange gardien et qu’elle veille sur moi, où qu’elle soit. Son fils est passé à côté de tout ça.  

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