C’est la question qui agite tous les négociateurs·trices, les marketeurs·trices, les leaders·euses et, un jour ou l’autre, tous les parents du monde. Jonah Berger, expert en marketing viral, décode les leviers de résistance au changement. À l’avis, à l’amor.
Il est auteur de best-sellers à propos des fils invisibles qui tissent nos comportements et professeur de marketing. C’est dire s’il sait comment nous placer son ouvrage entre les mains. Et nous inciter à ne pas le lâcher, même si on n’avait pas forcément d’avis sur nos envies. Son domaine d’expertise : les influences sociales, le pouvoir du bouche-à- oreille, et le phénomène de la popularité. Si vous ne comprenez pas pourquoi vos plaidoyers magnifiquement argumentés laissent souvent votre auditoire de marbre, même pas lissé, à peine lassé, Jonah Berger vous expliquera que c’est exactement le même processus qui vous mène à la résistance : plus on essaye de vous convaincre, plus haut vous levez un sourcil circonspect. Je pense, donc je résiste. Surtout si l’autre insiste. « Les bons négociateurs identifient les barrières au changement et les font disparaître (...) Lorsqu’il s’agit de changer quelque chose, rares sont celles et ceux qui pensent à s’attaquer d’abord aux obstacles. » Autrement dit, l’accélération ne sert à rien si on n’a pas ôté le pied du frein.
Cet éminent stratège expert en situation de crise énonce ce que tout parent/conjoint/prestataire de services a déjà goûté comme dissolvant de bonne volonté : « Quand on les brusque, les gens se braquent. L’être humain est doté d’un système inné de résistance à la persuasion qui se déclenche dès qu’il sent que l’on cherche à l’influencer. » Il faut donc commencer par identifier ce qui bloque. Faire montre d’une implacable logique (« on peut claquer l’épargne des enfants en voyages exotiques, ça leur enseignera la débrouille pendant qu’on visitera des plages bientôt englouties par les glaciers fondants », ou n’importe quelle autre proposition guidée par le bon sens, de « sortez les mains en l’air » jusqu’à « je te préviens je ne viens pas s’il y a ta mère ») se heurte généralement à un mur de ce qu’on appelle « la réactance ».
D’abord, « pour que les gens aient le sentiment d’être maîtres de leur destinée, il faut leur laisser le choix de la voie à emprunter ». Donc, on ne dit pas « si on adoptait un cinquième chien ? », on dit « chihuahua ou dogue de Bordeaux ? ». On ne dit pas « j’en peux plus de te voir dans le divan, trouve-toi un job », on dit « tu préférerais faire une formation en entreprise ou démarrer comme indépendant ? ».En plus, on a tendance à attaquer la seule option offerte, mais à défendre une solution qu’on a choisie. Autre levier : souligner les contradictions. De ceux qui ne prennent plus l’avion, mais changent de smartphone tous les six mois, de ceux qui militent pour la hausse des salaires et achètent en ligne des jeans à 14 euros. « Les négociateurs chevronnés ne commencent pas par ce qu’ils désirent ; ils se concentrent d’abord sur la personne qu’ils veulent faire changer d’avis. Ils s’efforcent de comprendre sa position, ses sentiments, ce qui la motive et montrent qu’ils sont capables de se mettre à sa place. » Sans perdre de vue la leur, on s’entend bien.
1. Initier la fin de l’inertie
2,6. C’est le ratio que doivent représenter les avantages par rapport à ce à quoi une personne va devoir renoncer, pour qu’elle accepte de modifier une habitude. 2,6, c’est le code du portail pour sortir de notre zone de confort. Jonah Berger appelle ça « l’attachement au statu quo ». D’autant que pour nous compliquer la tâche, il met en évidence un autre attachement : celui aux choses que l’on possède déjà, et que l’on surévalue généralement. C’est un peu l’effet Vinted : vous estimez que ce manteau qui va avec tout (depuis 20 ans) vaut au moins 300 euros, et des insensibles vous en proposent 17 euros, en vous demandant une photo de l’ourlet pendant que vous faites le poirier à 48° au clair de lune derrière le frigo.
Comment on retourne la situation ?
« Les pertes ont plus de poids que les gains. » L’auteur énonce une vérité névrotique mathématique. Cependant, il existe des leviers, mais ça demande un peu de patience. Avant de se régaler d’une bonne carbonnade, il faut la regarder clapoter pendant quatre heures. Souvent, le « pas mal » tout de suite est préféré au « carrément génial » plus tard. Pour ranger à votre avis quelqu’un qui raisonne en satisfaction à court terme, exposer le coût financier, nerveux et/ou émotionnel de l’inertie est donc plus efficace que de vanter la nouveauté. Ce que ça coûte vs ce qu’il en coûte.
2. Viser moins haut, viser plus beau
Un autre frein au changement identifié par Jonah Berger se situe au niveau du « périmètre d’acceptation ». Ce dont on n’est même pas prêt à entendre parler du moins pour l’instant s’appelle « la zone de rejet ». Les vacances sur une plage nudiste avec votre meilleur pote ultra-prude, ça risque d’être tendu du string (façon de parler, du coup). En revanche, le spa privatisé avec espace à vapeur dense, ça se tente. L’idée, c’est d’amener la personne que vous souhaitez convaincre à « regarder par-dessus la barrière » (toujours au sens figuré parce que dans l’exemple cité, ça ne se fait pas).
Comment on retourne la situation ?
En construisant des ponts pour avancer à petits pas, au lieu d’argumenter face à un mur. Les ados sont pros : si c’est non pour un retour de boîte de nuit à 5 h du matin, 23 h, ça peut passer. La prochaine fois, ce sera minuit. Ce qu’on veut réellement obtenir et qui « se situait au départ dans la zone de rejet est maintenant dans la zone d’acceptation (...) Vous peinez à faire changer quelqu’un d’avis ? Plutôt que de vous efforcer d’obtenir plus, demandez moins ». Vous n’aurez pas 20 % d’augmentation cette année. Mais si vous demandez 10 % et trois jours de congé supplémentaires, vous pourrez prolonger votre séjour tous arguments au vent au No Bikini Beach.
3. Tester, c’est adopter
L’incertitude est l’ennemie du changement, et pour mettre dans leur poche des civilisations entières, les esprits les plus stratèges ont trouvé une solution : les échantillons. Qui sont les cousins des tests gratuits, et les neveux des retours gratuits d’achats en ligne. La personne que vous voulez convaincre est plus néophobe qu’un bambin devant une salade de calamar avec les tentacules , plus rétive qu’un·e automobiliste convaincu qu’il vient de trébucher sur une trottinette garée n’importe où (pléonasme) ? Faites tester, sans engagement, l’alternative que vous proposez, vous aurez toutes les chances de gagner du terrain (sauf le kid pour les fruits de mer. Ça, vous pouvez vous l’accrocher).
Comment on retourne la situation ?
Inviter à essayer ne change ni la nature ni le prix de ce que vous voulez fourguer, « mais cela réduit l’incertitude quant à savoir si c’est une bonne idée ou pas ». Ensuite, il convient de rendre le choix réversible, pour ne pas vous faire détester du testeur. Ça laisse aussi du temps à l’attachement (au chat que vous gardez pour la semaine, mais que son propriétaire n’a en réalité aucune intention de récupérer). Vous saurez peut-être comment faire changer d’avis n’importe qui, mais, surtout, et c’est utile aussi, vous verrez venir celles et ceux qui l’ont lu.