Ces mots apparaissent un peu partout : “grande démission” , “démission silencieuse”, “détravail”, “tracances”… Autant de concepts qui dévoilent un monde du travail bouleversé qui cherche ses nouvelles marques. Il y a du changement dans l’air des salles de réunions, dans le taux de présence en open space et même dans le contenu des lettres de motivation des personnes en recherche d’emploi ou de reconversion.

La grande démission. On dirait un concept social obscur sorti d’un vieux livre d’histoire. Pourtant, ce phénomène actuel touche notre société de plein fouet. Né aux États-Unis, il succède à la crise Covid. En 2021, on estime qu’environ 48 millions d’américain·e·s claquaient la porte de leur entreprise à la suite des confinements successifs les ayant amenés à redéfinir leurs priorités. Une réalité qui a d’ailleurs donné lieu à un phénomène viral sur TikTok. À grands coups de hashtags #quitmyjob, des internautes filmaient leur démission en direct. La vidéo la plus célèbre reste celle d’une jeune em- ployée de Walmart, Shana Blackwell, qui s’est immortalisée en train d’annoncer au micro du magasin qu’elle « fou- tait le camp ». Une séquence qui a rapidement fait le buzz et servi d’exemple sur les réseaux.

Faire le « minimum syndical » ?

Vint ensuite l’idée de « quiet quitting ». Une démission silencieuse consistant à en faire le moins possible. Conserver son poste tout en limitant considérablement ses efforts. Mais comment expliquer cette apathie latente au travail ? « Les deux phénomènes signalent une insatisfaction », explique Bernard Fusulier. « Le confinement a amené beaucoup de personnes à réfléchir au sens de leur vie, et surtout à concilier différemment vie privée et professionnelle. » Le chercheur explique que le travail revêt deux dimensions que l’on cherche à combiner : une dimension expressive (qui donne du sens et permet de se construire une identité) et une dimension instrumentale (gagner de l’argent). Lorsque ces deux conditions ne sont pas remplies, que la vie professionnelle n’est pas épanouissante, il y a plusieurs solutions : l’exit ( la démission), la voice (revendiquer, manifester), la loyauté envers son entreprise ( l’immobilisme) ou l’apathie ( réduire son implication).

Mais comment expliquer que le phénomène touche à ce point les États-Unis (avec environ 4 millions de démissions mensuelles) et même la France (470.000 Français·es ont renoncé à leur CDI durant le premier trimestre 2022), mais épargne pour l’instant la Belgique (3,2 % de démis- sions durant le premier semestre 2022) ? Cette dynamique différente s’expliquerait par l’existence du système d’indexation des salaires, mais aussi par le pourcentage très élevé de CDI que l’on hésite à lâcher par sécurité. Ce qui ne signifie pas que les phénomènes de « grande démission » et de « démission silencieuse » ne pendent pas au nez des patron·ne·s belges. « Il y a clairement un monde du travail malade, avec du burn-out, du bore-out, des “jobs à la con”… », explique Bernard Fusulier. « On observe une remise en cause d’un système de travail intensif qui épuise les ressources, y compris humaines, en faveur d’un système de travail soutenable qui les renouvelle. »

Quand les rapports de force s’inversent

Le temps du salariat soumis est révolu. Les rapports de force sont en passe de se transformer, et beaucoup de patron·ne·s pointent aujourd’hui la conservation de leurs talents comme le principal défi des années à venir. « L’en- jeu pour moi serait de troquer une gestion des ressources froides pour un management humain qui réinvestit les questions de reconnaissance au travail », explique Laurent Taskin, professeur de management à l’UCLouvain. « Les travailleurs·euses deviennent des parties prenantes de l’organisation, et non un capital à faire fructifier. »

La distance imposée par le confinement — parfois tou- jours de mise aujourd’hui — a non seulement conduit à un sentiment d’isolement, mais aussi à se rendre compte de la manière dont on était traité dans l’organisation. Avec, pour certain·e·s, un manque de reconnaissance existentielle de la part de leur hiérarchie. Ce mouvement couplé à une plus grande exigence vis-à-vis de son bien-être a donné lieu au phénomène actuel. « On se dit “au fond je fais tout ça dans des conditions difficiles de travail pour cette considération et/ou ce salaire-là ?” », ajoute Laurent Taskin. « Et cette réflexion n’est pas réservée à des travailleurs·euses chanceux·euses, bien payé·e·s, dans des secteurs à haute connaissance. Elle concerne l’ensemble des travailleurs et travailleuses en Belgique. »

quiet quitting

© Anne Vygard – Unsplash

De la fatigue d’être soi

Des employé·e·s trop gâté·e·s, fainéant·e·s voire carrément de mauvaise foi ? « Ce qui est sûr, c’est que celles et ceux qui s’imaginent que ces travailleurs·euses démissionnent pour “vivre au crochet de la société” avec des indemnités chômage passent totalement à côté du phénomène », avertit Mélody Coomans, coach en développement de carrière et recon- version et fondatrice de Switch Lab. Selon elle, les travailleurs·euses désirent plus de flexibilité, le sentiment de pouvoir s’organiser avec plus de souplesse. « Il est plus simple de contrôler que de s’interroger sur la façon d’établir les résultats attendus et de laisser l’employé·e choisir sa méthode pour les atteindre. »

Finalement, on peut se demander si le « quiet quitting » n’intègre pas une tendance beaucoup plus globale, puisque le terme a récemment été détourné pour définir nos comportements amoureux. Il s’agit de laisser sa relation prendre fin par elle-même, en ne faisant tout simplement plus d’efforts. « On peut dire qu’il y a une fatigue d’être soi », explique Bernard Fusulier. « L’injonction culturelle à l’épanouissement personnel est très frustrante et concerne tous les domaines (emploi, couple, famille, loisirs…). D’où la présence d’une foule de livres et de formations sur le développement de soi et le bien-être, ainsi qu’une multitude de psychothérapies… »

On parle de « ramollissement généralisé », d’un « puissant appel du canapé ». Les années folles ont-elles laissé place aux années molles ? Sans aucun doute. Ce qui ne signifie pas que l’ambition ne soit pas une valeur toujours assumée et valorisée. Mais l’adage « il faut souffrir pour réussir » est tout simplement devenu old school. Aujourd’hui, l’enjeu est plutôt de faire moins… mais mieux !

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