Alors que nous sommes coincé·e·s dans les bouchons le matin, elles rentrent chez elles ou sont à pied d’œuvre depuis longtemps. Ce n’est pas forcément le cas tous les jours, mais il arrive que ces travailleuses de la nuit ne tombent dans les bras de Morphée qu’à l’aube. Pourquoi des horaires décalés ? Comment combinent-elles ce rythme avec le reste de leur vie ?

Caroline Baugniet, camioneuse

© Justin Paquay

Caroline Baugniet, qui a participé à l’émission de téléréalité flamande « Lady Truckers », a toujours été un oiseau de nuit. Pendant les examens, elle dormait l’après-midi et commençait à étudier le soir (au grand dam de sa mère). Quand elle s’est retrouvée conductrice de poids lourds après un emploi de toiletteuse pour chiens, elle s’est directement retrouvée dans son élément. Au cours de ses nombreuses années d’activité comme chauffeuse, elle a travaillé selon différents horaires. Il y a néanmoins toujours eu une constante : une nette préférence pour la nuit. « Avant, je roulais à l’international, mais aujourd’hui, je transporte des chips Pringles de l’usine vers trois entrepôts belges. Je travaille quatre nuits, après quoi je suis à la maison quatre jours. Je quitte la maison à 17h45 et je rentre à 7 heures
le lendemain matin. Quand je prends mon service, l’heure de pointe bat encore son plein, mais à partir de 20 heures, c’est beaucoup plus calme sur les routes. J’aime travailler à l’heure où les autres vont dormir. Ça me fait du bien d’être seule. »

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Caroline combine parfaitement son travail de nuit avec ses autres activités. Elle dirige un petit manège à titre complémentaire. « Pendant mes jours de congé, j’entraîne des chevaux et je donne des leçons aux enfants. Quand je travaille la nuit, je dors quelques heures le matin, puis je m’occupe des animaux. » Dans cette vie bien remplie, elle parvient également à trouver du temps pour son compagnon et sa fille de 18 ans. « J’ai rencontré mon compagnon au travail, il charge parfois mon camion. Ses horaires sont très irréguliers : il travaille tantôt la journée, tantôt plusieurs nuits d’affilée… Il y a donc des périodes où nous nous voyons à peine, mais nous nous comprenons puisqu’aucun de nous deux n’a un horaire classique. J’ai aussi de la chance qu’il ait autant de patience : il a passé de nombreuses nuits en solo. » La fille de Caroline est également habituée à l’absence de sa mère. Elle vole aujourd’hui de ses propres ailes, mais quand elle était plus jeune, Caroline a travaillé un moment comme assistante vétérinaire pour pouvoir lui consacrer plus de temps. « Ma fille a ensuite choisi d’aller en internat, ce qui m’a permis de reprendre le volant d’un camion. Ça tombait bien, car ça commençait à me manquer. »

Pour Caroline, rester éveillée la nuit n’est pas un problème. Mais dormir la journée s’avère un peu plus compliqué. « Heureusement, mon entourage est compréhensif. D’autres travailleurs et travailleuses de nuit ont du mal avec les nuisances sonores, un chien qui aboie, des travaux dans la rue… Il faudrait plus de tolérance à l’égard des personnes qui travaillent la nuit. » Dans ce contexte, il n’est pas évident pour Caroline de voir ses amis. « Je dois parfois passer mon tour pour un apéro, et je travaille souvent les dimanches et jours fériés. L’usine est en effet automatisée et fonctionne 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Malgré tout, je ne voudrais renoncer à aucun de mes deux jobs. »

Truus Helsen, boulangère

© Justin Paquay

Après avoir travaillé plusieurs années pour d’autres boulangers, Truus Helsen et Anne Bausart ont lancé leur propre commerce à Borgerhout en janvier 2022 : Bakkerij Boulot. Quand on est son propre patron, on peut évidemment fixer ses horaires. Elles ont donc décidé de ne commencer qu’à 5 heures du matin et de fermer le dimanche. « La première arrive à 5 heures pour cuire les pains, tandis que la seconde démarre la journée à 6 heures afin de préparer les pâtes pour le lendemain. Nous alternons ainsi tous les jours. Le samedi, nous commençons à 3h30 pour cuire plus de viennoiseries. » Étant donné que les deux associées proposent un assortiment limité et du pain au levain, elles parviennent à respecter ce rythme. « La pâte doit reposer plusieurs heures au frigo, il est donc inutile de se lever plus tôt pour la faire le matin. »

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Malgré les longues journées, de 5 à 17 heures à peu de choses près, le rythme de Truus est très différent de celui qu’elle avait il y a quelques années. Issue d’une famille de boulangers, elle a longtemps travaillé comme développeuse web avant de suivre une formation en boulangerie et de se reconvertir. « Dans la boulangerie où je travaillais auparavant, je faisais un vrai travail de nuit. Je commençais entre 3 et 4 heures, y compris le week-end. C’était donc compliqué de voir mes amis. Étant don- né que nous n’ouvrons pas le dimanche, le week-end commence dès la fermeture du magasin le samedi après-midi. » Prévoir une activité un soir de semaine s’avère plus complexe. « J’essaie parfois d’aller au cinéma ou au restaurant, mais je ne veux pas rentrer trop tard, car je dois me lever tôt. Ce n’est pas agréable d’avoir les yeux rivés sur sa montre. »

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Cela dit, Truus n’éprouve aucune difficulté à se lever plus tôt que la majorité d’entre nous. Même quand elle a congé, elle aime aller se balader avant le lever du soleil. « Je me rends tranquillement à la boulangerie à vélo le matin, alors qu’avant, j’arrivais parfois au bureau stressée par la circulation. Au magasin aussi, la journée commence calmement, puis s’intensifie progressivement jusqu’au coup de feu de l’ouverture. J’aime cette transition, la nuit qui cède sa place au petit matin. Le week-end, il m’arrive de croiser des fêtards rentrer chez eux, alors que pour moi, une nouvelle journée commence. C’est amusant. »

Stefanie Vandervelden, urgentiste

© Justin Paquay

Stefanie Vandervelden est urgentiste. Chaque lundi soir, elle se rend à l’hôpital pour une garde de nuit de 12 heures. Si la pression retombe pour beaucoup en soirée, aux urgences, c’est le coup de feu. « Nous commençons à 20 heures, mais c’est l’effervescence jusqu’à 2 heures environ. » Le reste de la nuit, les patient·e·s arrivent au compte-gouttes et Stefanie a enfin le temps de gérer le volet administratif. « Une fois le calme revenu, il est assez agréable de travailler aux urgences la
nuit. Je peux alors répondre aux e-mails, discuter un peu avec le personnel soignant ou manger tranquillement sans avoir à décrocher le téléphone. En effet, nous recevons pas mal d’appels de médecins généralistes, d’autres hôpitaux, de patient·e·s. Les gens se demandent souvent pourquoi le délai d’attente est long aux urgences. En fait, nous sommes très souvent au téléphone… »

Quand Stefanie rentre chez elle le mardi matin, elle file se coucher. « Heureusement, je m’endors facilement et n’importe où. Je dois néanmoins veiller à me lever au bout de quelques heures, sinon je ne dors pas la nuit suivante. » Elle travaille à quatre cinquièmes et effectue cinq gardes de nuit par mois : chaque lundi et souvent une fois le week-end. « Étant donné que je travaille de nuit le lundi, je suis à la maison la journée les lundis et mardis ; le mercredi est mon jour de congé. C’est très pratique avec deux belles-filles et un fils de quelques mois. Quand les enfants ne sont pas à la maison, je peux prendre du temps pour moi, pour faire du sport ou une pédicure par exemple. »

Pour l’instant, la balance penche du côté des avantages, même si Stefanie n’a certainement pas l’intention de travailler de nuit toute sa vie. « Après une bonne journée passée avec mes proches, surtout le week-end, c’est parfois difficile de les quitter. En vieillissant, les gardes de nuit pèsent davantage sur le rythme biologique. Mais je savais dès le départ que ça faisait partie du job et je ne regrette pas d’avoir choisi cette voie. Les urgences balaient tout le spectre de la médecine, et on ne sait jamais ce qu’elles réservent. Cette flexibilité correspond bien à ma personnalité. »

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