Aligner les dents, gonfler les lèvres, gommer les rides, lifter les paupières… Les personnes qui choisissent de modifier leur apparence physique le font le plus souvent pour gagner en amour-propre et confiance en soi. Mais soyons honnêtes, la pression sociale est bien réelle et elle s’abat principalement sur les femmes. Les gens beaux sont-ils plus heureux ? La question dérange, mais mérite d’être posée. Car, selon certaines études et statistiques, améliorer son apparence physique peut avoir de réels effets positifs sur la vie privée et professionnelle.
Jugé comme trop frivole, le sujet des discriminations liées à l’apparence physique est rarement traité par les scientifiques et peu pris en compte par les politiques. Un constat que dénonçait déjà en 2002 le professeur Jean-François Amadieu dans son livre « Le poids des apparences, beauté, amour et gloire » aux éditions Odile Jacob. Celui qui enseigne la sociologie et la gestion des ressources humaines à l’université Paris-I et qui est directeur de l’Observatoire des discriminations démontrait le poids des apparences physiques et vestimentaires dans la vie de tous les jours. En 2016, il publie un nouvel ouvrage baptisé « La société du paraître, les beaux, les jeunes… et les autres », et certaines vérités qu’il met en lumière ne sont vraiment pas belles à découvrir.
Des clichés tenaces
Au fil de la lecture, on apprend avec effroi – mais sans grand étonnement au fond – que l’apparence physique reste grandement déterminante tant dans les relations sociales que dans l’obtention d’un emploi ou d’un appartement. On découvre que, par nature, l’être humain est attiré par le beau et par celles et ceux qui lui ressemblent, qu’à la simple vue d’un visage en photo, une personne sera jugée bonne ou mauvaise, compétente ou incompétente, mais aussi que les enfants préfèrent les femmes minces, et ce dès 3 ans, que les personnes en surpoids écopent de tous les défauts du monde, ou encore que des études* démontrent qu’être jeune, mince, blonde, à forte poitrine, maquillée, bien habillée et amatrice de talons hauts est bien souvent synonyme de compétences et facilite l’obtention d’un emploi ainsi que de meilleurs revenus aux postes en contact avec la clientèle ou à moindres qualifications. À l’inverse, pour les postes de direction ou de management*, ces éléments sont beaucoup moins appréciés. Malgré tout, correspondre aux critères de beauté valorisés par la société faciliterait grandement la vie, les relations, les carrières et permettrait de bénéficier de meilleures opportunités. C’est en quelque sorte comme avoir tous les feux au vert sur l’autoroute de la vie.
Et les hommes ne sont pas épargnés non plus par ces diktats. À diplôme égal, ceux jugés plus séduisants et plus grands gagnent davantage et ont plus de promotions. Et on ne vous parle même pas de l’effet lunettes = intelligence. C’est le jackpot assuré ! C’est tellement énorme qu’on a presque envie d’en rire… mais pas longtemps. Parce que derrière ces clichés tenaces se cachent les mots : sexisme, grossophobie et jeunisme.
Et si l’on refuse de « jouer le jeu » que la société nous impose ? Doit-on dire adieu à nos chances de décrocher (et garder) un job ? Aline Lewy, consultante senior chez Robert Walters Group, cabinet de conseil international spécialisé dans le recrutement, se veut rassurante concernant les pratiques dans notre pays : « L’apparence physique d’une personne n’influe pas sur un recrutement. La raison est simple : en tenir compte est illégal en Belgique***. Si une société nous demande de publier une offre dans laquelle il est fait mention d’un critère physique, nous refusons tout simplement. La politique du groupe est d’ailleurs d’envoyer les CV aux employeurs sans photo, pour garantir un maximum de neutralité. » Une protection qui semble minimum, mais qui n’existe pas partout dans le monde.
Des discriminations tolérées
Jamais l’apparence physique n’a été aussi importante, et ce, tant dans la sphère privée que publique. En cause, la puissance d’Internet, le développement des réseaux sociaux et autres applications. L’émergence des filtres a incontestablement influencé notre vision de nous-mêmes en créant parfois des complexes inexistants auparavant, et ce, jusqu’à la dysmorphophobie. Sans oublier les appels et réunions en vidéo qui ont fait un boum depuis la pandémie. On est sans cesse confronté à son image. Mais pour le professeur Amadieu, le problème est surtout culturel et politique puisqu’« attaquer les gens sur leur physique, leur taille, leur poids est le premier motif de moqueries et quasiment la dernière discrimination qui peut être pratiquée sans que cela n’émeuve grand monde. Socialement, c’est toléré, alors qu’énormément de personnes en souffrent au quotidien. Il n’y a pas ou peu de tissu associatif derrière, pas de puissant lobby pour défendre les victimes. Or, pour que les gouvernements enquêtent et légifèrent, il faut que l’opinion publique s’empare du sujet et s’en offusque ».
Génération dents blanches et lèvres gonflées
L’un des exemples récents de cette quasi-sacralisation du physique : l’essor de l’alignement dentaire. On ne se contente plus de veiller à la bonne santé de sa dentition. On veut aussi qu’elle soit belle. Emmanuel Jr. Dumu est spécialiste en orthopédie dento-faciale depuis 2010 et il constate un changement dans les comportements des personnes qui poussent les portes de son cabinet : « Auparavant, la majorité des patient·e·s étaient surtout référé·e·s par les dentistes. Aujourd’hui, et de plus en plus souvent, les patient·e·s se présentent d’eux·elles-mêmes au cabinet pour un souci d’alignement dentaire. Autre phénomène, ce sont désormais les adolescent·e·s qui demandent à leurs parents à pouvoir porter un appareil orthodontique. Et la demande est aussi en forte croissance chez les adultes. »
Pour le sociologue Jean-François Amadieu, il est important de souligner que la société est aussi de moins en moins tolérante envers certaines imperfections « C’est le cas de l’acné ou des dentitions irrégulières. Il n’y a quasi plus de tolérance à ce sujet. Avoir une belle peau et de belles dents est devenu un indicateur de votre milieu social, de vos moyens, de votre santé, de votre degré d’hygiène presque et même de votre intelligence. C’est devenu une injonction de prendre soin de soi. La société s’attend à ce que les gens fassent les efforts nécessaires pour correspondre à ces critères esthétiques. S’ils ne le font pas, est sous-entendu que quelque chose ne va pas chez eux. » La pression est donc maximale.
Le fait que la beauté soit valorisée socialement n’étonne en rien le docteur Pascal Castus, chef du service de chirurgie plastique des Cliniques de l’Europe qui, lui aussi, remarque un rajeunissement de sa patientèle concernant certaines demandes d’interventions. « Selon moi, c’est dû aux réseaux sociaux et au fort développement ces dernières années de la médecine esthétique qui n’inclut pas d’opérations lourdes et qui est moins coûteuse. » Ce volet complémentaire à la chirurgie propose une série de traitements non invasifs (dont les injections) capables de ralentir le processus de vieillissement et d’en atténuer les signes visibles. Il est ainsi possible de gommer des imperfections, de rajeunir, de revitaliser, mais « il faut de la bienveillance de la part des chirurgien·ne·s, du dialogue et que l’intérêt des patient·e·s prime toujours », précise le médecin. Car à force de trop injecter, on prend le risque de déformer. « Personnellement, je refuse régulièrement de pratiquer certaines opérations ou injections, soit parce que la personne est trop jeune, soit parce que ce n’est pas nécessaire, ou encore que la demande n’est pas adaptée. Malheureusement, certain·e·s de ces patient·e·s trouveront toujours un moyen de répondre à leur demande, que ce soit pour des injections ou des opérations. »
Le docteur Castus met tout de même en garde ce jeune public contre la promotion de plus en plus fréquente d’interventions médicales en tout genre sur les réseaux. « Les consultations pour gérer des complications liées à des interventions réalisées à l’étranger sont en augmentation. Dans certains pays, on vous propose une téléconsultation, une opération à prix réduit, une brève rencontre avec le/la chirurgien·ne une heure avant l’intervention et peu ou pas de suivi postopératoire. Les risques sont énormes. Ces pratiques ne sont pas autorisées en Belgique, il y a un cadre légal à respecter. Il faut garder en tête qu’il n’y a jamais d’urgence quand on parle de médecine esthétique. Il faut se renseigner, réfléchir, voir plusieurs spécialistes. » Et rappeler que la recherche d’économies, parfois très limitées, peut avoir des conséquences désastreuses sur la santé physique et mentale des patient·e·s concerné·e·s.
Lutter contre sa nature
Mais si, de façon naturelle, l’être humain est attiré par les personnes possédant certains critères physiques, comment éviter les discriminations ? « Il faut faire la différence entre les situations problématiques et les autres », précise le sociologue. « Dans les relations amoureuses ou amicales, il faut laisser faire la nature, après tout, chacun ses goûts. Par contre, dans la recherche d’un emploi ou d’un appartement, il faut lutter contre ce biais, car il est discriminant. Pas besoin d’être beau pour être compétent ou capable de payer un loyer. Il faut trouver un moyen de neutraliser ces inégalités. Laisser faire la nature n’est pas toujours légitime. »
Pour limiter les discriminations, certains algorithmes et outils d’intelligence artificielle sont prometteurs. Bien utilisés, ils permettent de réaliser des sélections de candidat·e·s en limitant le facteur humain et donc les discriminations liées à l’apparence physique. Mais attention à ne pas laisser ces outils être détournés de leur objectif premier et faire pire que mieux en écartant les femmes, les seniors, les personnes de petite taille…
En attendant la mise au point de ces technologies, souriez à pleines dents blanches et ne plissez pas trop le front, car être beau à l’extérieur, ça compte vraiment.
* Entre autres : M. Lynn, «Determinants and consequences of female attractiveness and sexiness: realistic tests with restaurant waitresses», Archives of Sexual Behavior, 2009, 38, p. 737-745. S.Kertechian, L’influence du maquillage sur le processus de recrutement, sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-I, 2015. Alibi Aicha, L’impact de l’apparence physique sur la sélection des candidats, sous la direction de J.-F. Amadieu, université Paris-I-Cergos, 2010.
** E. Dechter, Physical Appearance and Earnings, Hair Color Matters, School of Economics, University of New South Wales, Sydney, 2012.
*** loi du 10 mai 2007. La législation belge pose un principe général interdisant la discrimination directe et indirecte des personnes sur base, entre autres, du sexe, de l’âge, de l’origine ethnique ou nationale, de la conviction religieuse ou philosophique, de l’orientation sexuelle, du handicap, etc.
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