Très préoccupée par le rangement et l’alignement des objets qui occupent sa maison, Laura vit son obsession du ménage avec joie et résignation.
Je souffre d’une forme de trouble de l’ordre et de la symétrie. C’est un trouble obsessionnel compulsif courant qui me fait ressentir un besoin incontrôlable de propreté, de rangement, d’exactitude dans mon environnement. Il n’y a pas eu de déclencheur, pas de trauma, rien qui puisse expliquer ça. Pour moi, c’est de l’ordre du goût, de la passion.
J’ai toujours été ordonnée. Je rangeais mes jouets méthodiquement, je piquais des crises s’il manquait une pièce au puzzle et j’aimais classer tout ce qui était Lego, baguettes Quisenaire ou crayons et marqueurs par taille, par couleur… Je « jouais à mettre de l’ordre » et je n’embêtais personne. Quand je suis partie en kot, c’est devenu plus compliqué : ma chambre était impeccable, mais les communs étaient toujours en bordel et ça me rendait dingue. Je passais mon temps à ranger la cuisine qui était systématiquement retournée en quelques heures. Le frigo était le plus problématique, car chacun·e avait son étage et ça me rendait malade de voir que rien n’était aligné dans les parties réservées à mes colocs. Je ressentais le déséquilibre jusque dans mes membres. J’avais l’impression que mon bras droit, et plus généralement tout ce côté, était plus lourd que le gauche. Alors je rangeais. C’est vite devenu un signe distinctif, un truc un peu classe. À cette époque, on me comparait avec Monica de « Friends ». Je trouvais que c’était un compliment. Pour gérer le stress et la pression de mes études, je rangeais énormément. Mes vêtements, mes chaussures, mes chaussettes… Certain·e·s faisaient du sport pour décompresser, moi, je nettoyais les plinthes à la brosse à dents.
J’ai avancé en âge, j’ai eu mon propre appartement et ma première vie de couple. Là, c’était à Bree Van de Kamp de « Desperate Housewifes » (le personnage ordonné et pontifiant de la série, NDLR) que l’on me comparait. Elle m’inspirait d’ailleurs beaucoup. Mon amoureux de l’époque souffrait lui aussi de TOC de symétrie. Chez lui ça se manifestait autrement : il se foutait du ménage, de l’ordre et de la propreté, mais il devait effectuer des gestes parasites pour « s’équilibrer ». S’il se cognait l’épaule gauche contre un obstacle, il devait se cogner l’épaule droite. S’il était entré dans une pièce du pied droit, il devait en sortir du pied gauche. Rien de grave ni de vraiment handicapant (je n’aurais sans doute rien remarqué si je n’y avais pas été sensible), mais comme il comprenait mes besoins irrépressibles, je ne ressentais plus le besoin de me contrôler. L’appart est devenu pour moi un véritable terrain de jeu pathologique.
Après le rangement « simple » (comprenant tout de même des prises de tête dans le pliage des vêtements ou le rangement des produits sous l’évier) sont venus les étiquetages de tout, les classements dans des boîtes de différentes tailles, les alignements méthodiques. Plus tard sont arrivés Pinterest et Instagram et avec eux les comptes d’Américaines dispensant des conseils avisés sur la manière de classer et de conserver ses aliments, de transformer son étagère à épices en chef-d’œuvre architectural, de nettoyer sa machine à laver comme si la vie de l’humanité était en jeu. Là, c’est devenu incontrôlable. Je passais plus de temps à ranger, ordonner, trier, recycler, jeter et racheter qu’à travailler, sortir ou me reposer. Il y avait toujours une nouvelle idée de bricolage, toujours une version améliorée du tiroir de bureau idéal. Mes déplacements hors de la maison sont aussi devenus plus compliqués parce que j’avais besoin de balader des trousses contenant chacune des choses que je jugeais essentielles. Une trousse pour les médicaments, une pour les pansements, une pour les chargeurs et câbles, une pour les retouches make-up et coiffure, une pour l’hygiène (lingettes, déo, gants lavants, pour chaussures, gel hydroalcoolique avant l’heure)… Pour aller faire une course, je devais remplir un sac à dos entier « au cas où ». Pour aller au bureau, c’était pire puisqu’il fallait y ajouter des snacks, des stylos et surligneurs, une tenue de rechange dans d’autres trousses. « Au cas où, au cas où. »
Puis est arrivé le premier confinement. Décrochage total. Quand on a compris que ça allait durer plus que quelques jours, j’ai décidé de diviser l’appart de 80 m2 en zones matérialisées par du ruban adhésif. 107 zones en tout : armoire à pharmacie = 1 zone, tiroirs de cuisine = 1 zone et ainsi de suite. Chaque zone eut droit à son rangement-nettoyage intégral. Je sortais tout, je cleanais tout, et je réorganisais tout. J’ai vu plus tard que la photographe Barbara Iweins avait passé deux ans à photographier chaque objet de sa maison. 10.532 objets classés selon leurs couleurs, leurs matériaux… J’aurais adoré être un artiste et avoir cette idée. À force de ranger, j’ai une idée vraiment très précise de ce que je possède. Beaucoup de brol, beaucoup de « petites choses » (comme des mini-gommes ou des mini-jouets genre de Polly Pockets vintage que j’accumule), mais de moins en moins, parce que j’ai appris à recycler, à donner, à revendre pour avoir moins de présences à gérer.
Est-ce que je suis suivie ? Plus depuis que je parviens à vivre harmonieusement avec ma pathologie. Elle ne prend plus toute la place ni tout mon temps. Je vis avec elle, je dispense des conseils non sollicités à mes proches pour les encourager à ranger. Je ne suis ni plus ni moins zinzin que la majorité des gens. Je ne souffre pas, je ne fais souffrir personne. Et mon évier de cuisine est toujours impeccable.
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