La créatrice s’expose au Musée Mode et Dentelle à Bruxelles à travers un parcours qui retrace les temps forts de sa carrière, de sa vie, ses combats et ses inspirations. Mais qui est-elle?
Pour moi, DVF, c’était un concept, un sigle. Je pourrais dire une icône, mais le mot est tellement galvaudé que j’ai plutôt envie de parler d’un concentré de symboles: la femme engagée, glamour, la businesswoman, le faste des années 70, l’audace, mais aussi beaucoup de distance: c’est New York, c’est les yachts, les vacances à Gstaad et la particule de princesse. C’est fou, toutes les idées qui peuvent tenir dans une abréviation ! Au moment de la rencontrer, j’avais en mains son livre que je venais de commencer. Le rendez-vous s’était improvisé la veille et elle me recevait en toute simplicité dans sa suite à l’hôtel Amigo.Là voilà, Diane Von Fürstenberg: son regard intense, ses cheveux rebelles et sa forte personnalité.
Collecteuse, pas collectionneuse
« Ce n’est pas une rétrospective ! » m’annonce-t-elle d’emblée, d’un air amusé. C’est vrai que l’idée ne colle pas à cette femme toujours en mouvement.« Ce qui s’est passé n’était pas du tout mon idée, à l’origine. C’est celle de Nicolas qui a 29 ans, superbe fashionista, ex-archiviste chez Chanel, curateur de différentes expositions. Je lui ai demandé ce qui pouvait donner envie à un jeune garçon de faire une expo sur moi, une vieille dame ? (Rires) Il aurait pu faire Margiela, Raf Simons, Dries Van Noten ! La vérité, c’est que ça me faisait plaisir. Il m’a répondu qu’il me trouvait ‘relevant’ (pertinente) aujourd’hui, mais aussi pour ce qu’il va se passer dans la mode d’après.
Dans ma carrière, ce n’est pas la première fois que des jeunes viennent me chercher ! » J’ai donc posé la question à Nicolas Lor, le commissaire de l’expo. Originaire de Normandie, diplômé en histoire de l’art, il a déjà accompli beaucoup de choses pour les grands noms de la mode (Chloé, Chanel, Margiela, Dior) avant de s’établir à Bruxelles en 2022 pour le Musée Mode et Dentelle. « Tu veux savoir ce qu’elle représentait pour moi avant ou maintenant que j’ai travaillé avec elle (rires) ? – Les deux ! – J’avoue que ça n’a pas été une idée foudroyante.
Quand je suis arrivé à Bruxelles, je me suis renseigné sur les créateurs bruxellois et j’ai découvert que Diane était née ici alors que j’étais persuadé que c’était une créatrice américaine. J’ai donc approfondi et je me suis rendu compte qu’elle avait commencé en Italie, que son entreprise a tout de suite eu une dimension internationale et qu’ensuite elle avait fait carrière aux États-Unis. La vision que j’avais de la marque DVF, c’était portable. Pratique. Évidemment, la robe portefeuille. Je l’ai donc contactée et, ce qui a vraiment lancé ce projet, c’est l’accueil incroyable que Diane m’a réservé. » Elle lui a littéralement ouvert les portes de sa Maison. « Nicolas est venu chez moi au Connecticut, il a passé une semaine dans mes archives. Cette expo, c’est son point de vue à lui. » Pendant des jours, il a fait sa sélection parmi des centaines d’archives, des vêtements, bien sûr, mais aussi des photos, des vidéos, des magazines, des étiquettes.
Diane garde tout, même ses journaux intimes. Serait-ce une collectionneuse ? « Je dirais qu’elle connecte les moments de vie plutôt » précise Nicolas. « Elle a un regard très rétrospectif sur les choses. Elle a toujours besoin de se reposer sur différents moments vécus et les regarder à nouveau.» Elle collecte les souvenirs. À travers cette expo, Diane von Furstenberg fait l’inventaire de sa vie: « Ma marque est un héritage que je vais transmettre à ma petite fille, Talita. Mais qu’est-ce que DVF ? C’est la femme avant la mode, c’est l’uniforme de la femme ‘in charge’, c’est la fluidité ! »
Art, nature et liberté
L’exposition s’ouvre sur la fameuse wrap dress, la robe portefeuille. Dans son livre, j’ai ri en lisant : « En fait de ‘portefeuille’ elle aura sûrement rempli le mien ! » En 1974, Diane travaille dans une usine d’impression en Italie lorsqu’elle a l’idée d’imprimer le jersey et de décliner un cache-coeur en robe. « Mais la wrap dress ce n’est pas uniquement la coupe, c’est le jersey, la fluidité, le body language. Quand je me suis lancée, mon ambition n’était pas de faire de la mode, c’était de donner confiance aux femmes.»
La deuxième partie de l’exposition concerne ses sources d’inspiration: l’art, la nature et la liberté. « Même si Diane ne le met pas énormément en avant, elle collecte beaucoup d’oeuvres depuis les années septante. Et je me suis vraiment dit en creusant et en voyant tout ce qu’elle avait chez elle, qu’elle s’inspirait de ce qui l’entourait pour les motifs de ses imprimés: ça va du dripping de Pollock à une représentation de fleurs d’Andy Warhol !
« ELLE A VRAIMENT EU L’IDÉE DE PRODUIRE DES VÊTEMENTS QU’ELLE NE TROUVAIT PAS SUR LE MARCHÉ »
NICOLAS LOR
Pour la nature, c’est assez évident, Diane me raconte qu’elle adore la photographier lors de ces longues randonnées, elle parle de la fluidité, des cycles qu’elle lie au naturel féminin. Mais pourquoi la liberté ? « Ce qui est particulier avec la liberté, c’est que c’est un concept qui anime Diane dans sa vie quotidienne, parce que depuis le début, elle a toujours voulu être indépendante dans ce qu’elle faisait. Dans les années septante, elle prônait la vie d’homme dans un corps de femme. Les mentalités ont évolué, mais cette liberté est restée. » Et puis elle a été marraine de la Statue de la Liberté en 2019, ce n’est pas rien pour une Belge immigrée aux États-Unis.
Diane, c’est notre Lady Di
« Elle a vraiment eu cette idée de produire des vêtements qu’elle ne trouvait pas sur le marché, c’est pour ça qu’elle est encore tellement pertinente aujourd’hui » explique Nicolas Lor. « Cette problématique qui était déjà celle de Gabrielle Chanel s’étend jusqu’à Esther Manas aujourd’hui (la créatrice bruxelloise qui crée des vêtements à partir de moulages de son propre corps -NDLR).
« Je suis heureuse de découvrir que la troisième partie de l’expo se concentre sur la femme d’affaires. The American Dream. Comment cette femme qui arrive en Amérique sans formation de couture, mais avec énormément de bagout et de conviction, a-t-elle construit son empire ? Elle s’était mariée au Prince Egon von Fürstenberg, elle aurait pu rester chez elle et profiter de sa vie luxueuse. « Mais ce n’est pas du tout ce que je voulais! » explique Diane en souriant, probablement de me voir rêver à cette potentielle vie de palace. « Je me suis inventée, une chose après l’autre. Je me vois comme une petite tige verte au milieu de cendres. Enfant de survivante de la Shoah, je suis un triomphe de la vie: le jour où je suis née, j’avais gagné. Alors oui, j’ai épousé un prince. Mais j’ai utilisé ses connexions pour lancer ma marque. Il faut toujours rester « true to yourself » (fidèle à soi-même), c’est comme ça que j’ai développé l’idée de la femme ‘in charge’, c’est un engagement envers soi-même.
« Le livre que j’ai entre les mains s’intitule La femme que je voulais être. Pendant qu’elle me le dédicace, je ne résiste pas à la tentation de lui parler du Studio 54 et d’Andy Warhol. « Je ne sais pas comment j’ai fait ! C’était un tourbillon de fêtes, j’étais célibataire, j’avais deux enfants, je lançais mon affaire, mais j’en ai profité ! » Ce que je découvre de Diane surtout, c’est que… c’est une amoureuse ! Elle a eu beaucoup d’histoires d’amour incroyables/rocambolesques/improbables (il faut lire le bouquin !), mais je ne parle pas uniquement des hommes.
Elle est amoureuse des gens, de la vie. « Au-delà de ce que j’ai pu apprendre sur la mode des années 70 aux États-Unis, des anecdotes intimes de la vie de Diane ou du fonctionnement d’un studio de design aux États-Unis, j’ai surtout beaucoup appris sur moi » me confie Nicolas. « Diane est une femme extrêmement généreuse qui voit la bonté de l’être humain et qui a vraiment envie de l’élever.
C’est la première fois que je travaille sur un commissariat d’exposition et que ça a autant de répercussions sur ma vie personnelle. Depuis le début de notre travail ensemble, on s’appelle toutes les semaines pour prendre des nouvelles. »
Own it ! Sinon qui le fera pour toi ?
L’exposition s’achève sur la thématique des Femmes. « Intitulée Wearable Stories, l’histoire portable, avec un petit jeu de mot sur « We are able», « nous sommes capables » explique Nicolas. « Nous montrons les femmes qui ont porté du DVF des années septante à aujourd’hui: de la Reine Mathilde à Paris Hilton en passant par Rita Hayworth et des personnes beaucoup moins connues avec notamment quatre Bruxelloises qui portent du DVF. » Inévitablement, l’exposition se conclut sur la dimension philanthropique de la vie de Diane. Son engagement, ses DVF Awards qui soutiennent les femmes qui changent la vie d’autres femmes. Avec les préceptes d’être ‘in charge’ et ‘own it’, qu’elle défend dans son livre d’ailleurs et qui encouragent les femmes à se réaliser. Diane m’explique:
« Je ne savais pas ce que je voulais faire enfant, mais je savais quelle femme je voulais être: une femme responsable d’elle-même.
« JE NE SAVAIS PAS CE QUE JE VOULAIS FAIRE ENFANT, MAIS JE SAVAIS QUELLE FEMME JE VOULAIS ÊTRE : UNE FEMME RESPONSABLE D’ELLE-MÊME»
C’est pour elle que je dessine des vêtements. Au quotidien, comment cela se traduit ? Quatre mots: ‘connect, expand, inspire and advocate’. Connecter, développer, inspirer et défendre. Tous les jours, essayez de connecter une personne avec une autre qu’elle n’aurait jamais eu l’opportunité de connaître. Une fois par semaine, passez 20 minutes de temps de qualité avec une personne avec qui normalement vous ne parleriez pas. Vous croyez que vous le faites pour elle, mais en fait vous vous enrichissez. Ce qui inspire, c’est le narratif, mais ce ne sont pas les succès. C’est quand vous ouvrez votre vulnérabilité, vos challenges, vos difficultés. Et enfin, défendre. Choisir les causes, contre la violence, l’injustice, il y a beaucoup de travail à faire ! » Mais Diane ne s’arrête jamais (et l’expo non plus) puisqu’on pourra retrouver son histoire dans le livre Women Before Fashion.
Diane Von Fürstenberg, dirigé par Nicolas Lor aux éditions Rizzoli (octobre 2023) ainsi qu’un documentaire de la réalisatrice pakistanaise Sharmeen Obaid-Chinoy qui sera tourné en partie à Bruxelles. Définitivement, la ville où il faut être. Avant de partir (je n’étais pas très pressée), je demande à Diane quel sens a encore la mode pour elle aujourd’hui ? Je n’étais pas prête pour sa réponse: « Tu vois qui est l’actrice Anna Hathaway ? – oui, elle a fait la couverture de notre dernier numéro ! – Anne m’a présenté sa mère qui m’a confié que c’était dans une robe DVF qu’elle avait séduit son père et qu’Anne avait été conçue avec ! L’actrice Isla Fisher, épouse de l’acteur Sacha Baron Cohen, m’a fait la même confidence : ses 3 filles ont été conçues dans une robe DVF. Chaque fois qu’un designer réalise le dessin d’une robe devant moi, je lui demande: qui va s’envoyer en l’air dans ça ? On veut qu’elle soit sexy, mais aussi souple, légère. Pourquoi ferait-on tout ça, sinon ?
Cet article a été écrit en étroite collaboration avec Musée Mode & Dentelle.
www.fashionandlacemuseum.brussels
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