Iel s’appelle Drag Couenne. Cela fait sept semaines qu’on l’observe déployer son art, à la fois mélancolique et drôle, couture et conceptuel. Mais terriblement fierce. Nous avons rencontré la gagnante qui se confie à coeur ouvert sur son expérience.
Il y a quelque chose de terriblement intime quand on entrouvre la porte de l’univers d’une drag queen. Parce que c’est un art qui se construit de chair et de sueur, militant, identitaire et puissamment à fleur de peau, la frontière entre vie personnelle et créative est très floue. L’une se nourrit de l’autre dans une inventivité duelle. Quand j’allume ma caméra, je suis heureuse de revoir Drag Couenne, que j’avais vue la veille, lors de son couronnement.
C’est au théâtre du Vaudeville que l’équipe, les familles et les collaborateurs de l’émission Drag Race Belgique se sont réunis pour visionner la finale. Le suspense était intense: qui de Susan, Athena Sorgelikis et Drag Couenne allaient l’emporter ? Le lipsync de feu clôture l’épisode et la présentatrice Rita Baga annonce la gagnante. Après sept semaines d’une formidable compétition, Drag Couenne est officiellement la première Reine des Drag Queens de Belgique. Un moment historique.
Je suis donc heureuse de la retrouver alors qu’iel se prépare pour sa répétition au théâtre. J’ai l’impression d’être dans la werk room par écrans interposés !
Comment s’est passé le réveil ?
Le réveil a été dur, on a bien fêté (rires). Et là je suis en répèt’ pour le théâtre. Une pièce de Lylybeth Merle intitulée « Hippocampe » au théâtre Varia. Elle mêle cabaret et théâtre avec des comédiens et des drag queens. Le but pour moi, c’est de voir comment mêler ces deux facettes de ma personnalité. C’est également l’occasion de travailler dans un environnement « queer safe » qui assure le respect de chacun·e·s.
Qu’est-ce que cela représente de gagner Drag Race Belgique ?
C’est énorme. En Belgique, nous avons le drag le plus précieux, car très varié, multiple, innovant, qui s’affranchit des codes du genre. C’est toute la richesse de la Belgique: on est un pays ‘WTF’ ! Le drag belge est totalement différent des autres franchises. J’espère que cette victoire me permettra de voyager, de rencontrer d’autres drags et de faire rayonner notre art belge.
Qu’est ce que tu as appris ?
D’un point de vue personnel, j’ai appris plein de choses esthétiquement, mais également dans l’acting: qui est Drag Couenne et comment communiquer ce que j’aime et qui je suis à un grand public ? C’est un challenge d’être accessible surtout pour moi qui suis conceptuelle. Le drag est en marge et le mien est à la marge de la marge (rires). Mais maintenant que je suis reine… l'est-il toujours ?
Comment définis-tu ton drag ?
Mon style est hybride, car je ne me considère ni comme une Queen, un king ou un clown, mais un mélange. C’est une façon de me démarquer. Je n’ai pas envie d’appartenir à un genre. Le but c’est de jouer sans règle, de m’attribuer les codes et de les réinventer. J’ai fait ma thèse de fin d’année (iel a fait l’IAD en interprétation dramatique - ndlr) sur comment créer le personnage de Drag Couenne. C’est là qu’elle est née.
À la base, je ne me sentais pas légitime, c’est dur d’accéder à ce milieu. C’est compliqué de comprendre comment en faire partie, je n’avais pas d’ami drag queen, alors je me suis formée toute seule en me renseignant et sur Youtube.
Pourtant, c’est un milieu qui semble inclusif. Pourquoi est-ce difficile ?
Oui il l’est, c’est certain. Mais quand tu as 20 ans, que tu regardes les drag queens avec admiration, tu es intimidé•e. C’est difficile d’aller voir une drag que tu ne connais pas pour lui demander de t’aider. Être « drag mother », c’est beaucoup de travail, il faut donc déjà un lien avant de commencer. Alors, pendant le confinement, on a commencé avec un groupe de potes, Chaymi Blu, Rose Gigot, Lady Leggy. On animait nos propres soirées et ça s’appelait Drag Bike parce qu’on était dans le bâtiment de l’ancienne ligue des cyclistes (rires). Ensuite j’ai été appelée par Lylybeth Merle et Blanket La Goulue pour faire le tour des squats avec l’initiative Not Allowed qui réunissait des personnes trans non-binaires: on créait notre propre endroit pour faire du drag. C’était en 2021.
Tu es très jeune, 25 ans. Comment as-tu vécu le fait d’être celle avec le moins d’expérience dans l’émission ?
Hyper bien, c’était ma force. Mon expérience est différente, elle est professionnelle au niveau du théâtre, d’ailleurs on a eu beaucoup d’acting challenges ce qui était un avantage. Le fait que je sois jeune est également un avantage, car je n’ai pas encore trop intégré les règles, je n’ai rien à déconstruire. Je pense que s’il y avait eu plus de challenges couture ça aurait été différent (rires) ! Même si j’ai fait 1 an de stylisme. Théâtre, danse, stylisme: j’ai tout fait pour devenir une bonne drag Queen. Il me manquait le make-up que j’ai appris toute seule. Et les perruques. Je ne les fais pas moi-même. D’ailleurs, est-ce qu’on peut arrêter de croire que tous les gays sont des coiffeurs ?
Parlons un peu de cette couronne. Tu gagnes 20.000€, mais tu en dépenses énormément également pour ce concours ?
Dans ce métier, l’investissement n’est pas du tout en proportion avec ce que l’on gagne. C’est un énorme problème. Certaines ne peuvent simplement pas concourir dans ce genre d’émission, c’est une réelle question. Moi j’ai pu avancer, car j’avais des contacts, des amis qui sont dans la mode et qui m’ont aidée. J’ai payé les artistes avec qui je bosse, mais à des prix avantageux. Les 20.000€ vont rembourser mes frais.
Après, ce n’est pas obligatoire. On peut aussi commencer avec rien. Au début, j’avais un string et une vieille perruque, c’est quand même du drag et c’est valide. Pour une émission comme Drag Race Belgique, on veut des looks pour impressionner, faire le show. Je n’allais pas venir en string sur tous les catwalks (rires) !
C’est donc aussi une histoire de mode. Toutes ces magnifiques pièces, brodées, tricotées, réalisées sur mesure, sont des oeuvres d’art. Qu’aimes-tu dans la mode ?
J’aime la mode qui raconte des histoires. Celle qui m’empouvoire. À la finale, je voulais me sentir une reine. J’aime aussi quand le vêtement est en mouvement et qu’il interagit avec la scène. Rei Kawakubo, la fondatrice de Comme des Garons, mais aussi Maison The Faux proposent des vêtements « performatiques ». « Comment transcrire les rêves que j’ai en tête en mots et ensuite créer une discussion et la retransmettre en vêtement? » C’est la question que je me pose quand j’imagine mes looks. Cela peut venir d’une histoire ou d’une photo que je vois. Mais ma plus belle source d’inspiration, c’est mon entourage. Artiste ou pas.
Si on parle de ton style, on y voit des corsets, des clous, du vinyle, aux inspirations BDSM.
Cela peut sembler paradoxal, mais ce côté « dark » je l’associe à la mélancolie de mon enfance. Une douleur mélancolique. C’est en restant connecté à l’enfant que j’étais que j’arrive à faire évoluer mon art. Je n’ai pas envie de vieillir, mais je me ferai sans doute un « vampire lift ». Rires.
L’humour est une dimension importante pour toi ?
Cet humour vient de l’autodérision, il ne faut pas se prendre au sérieux. Dans le dernier épisode, je n’arrête pas de dire que je vais gagner, mais je termine en disant que je viens de faire un pet. C’est l’aspect clown. C’est aussi un moyen de survivre dans un milieu hostile: quand on est queer, c’est en étant le clown de service qu’on s’en sort.
Est-ce que cette expériences a renforcé tes liens avec les autres participantes ?
Oui, énormément. Des liens amicaux, artistiques, on était obligées de se souder. Je ne les voyais pas comme des rivales, mais des alliées avec qui il fallait aller jusqu’au bout. Ce sont les seules à comprendre vraiment ce que j’ai vécu. Quand on se voit, on parle de ça pendant des heures et on se sent bien.
Quelle est la suite du programme de Drag Couenne ?
Je joue dans Hippocampe au théâtre Varia du 20 au 26 avril. Je vais jouer dans les PlayBack de Blanket La Goulue, au Cabaret Mademoiselle (qui appartient à Mademoiselle Boop), ensuite j’irai à Paris où je suis juré pour la scène ouverte du Marché Drag.
Tes envies ?
Je voudrais voyager, jouer dans des films. Je voudrais que le drag belge soit mieux reconnu internationalement, mieux payé et que l’on reconnaisse sa spécificité si particulière.
Un peu à l’image des Six d’Anvers qui, dans les années 80, ont fait rayonner la créativité de la mode belge tellement décalée. Mais lequel d’entre eux seraient Couenne ? Martin Margiela, évidemment: le septième !
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